La corde et la pierre

La femme qui fait notre bonheur n'est pas celle avec qui on a envie de dormir, mais celle à côté de laquelle on a envie de se réveiller.

En la personne d'oncle Mordouchaiï le socialisme perdit un édificateur sûr et fidèle lorsqu'en 1952, il avait manqué aux concepteurs d'un nouveau complot antisoviétique un six de pique pour boucler leur patience : un juif un peu bruyant. Et l'ange de la mort Sammael brandit son glaive et laissa tomber une goutte de son feu sur le citoyen converti Guinzbourg. Huit jours plus tard, les comploteurs étaient démasqués, neutralisés, poursuivis et châtiés.

Le divin nectar repose en ses vertes bouteilles dans d'innombrables caisses, unique remède qui apporte joie, et bonheur, et liberté(...). Ah, notre bonne petite vodka, noce heureuse de pétrole et de sciure, tu es toute notre vie ! Et tant que tu te déverses dans les intestins par toi consumés, le monde entier est en toi, et le monde est en moi.

Nulle part les gens ne sont aussi isolés que dans une queue pour le saucisson cuit, nulle part, compressés jusqu'à la nausée, ils ne sont aussi peu capables de s'entendre que dans cette chaîne multiple et serpentine, dont chaque maillon déteste le précédent et n'a que mépris et indifférence pour le suivant. L'hydre infinie ne diminue jamais, et les gens ont beau quitter le comptoir, la queue repousse instantanément, dans un brouhaha d'injures, excité par l'espoir méchant d'arracher ne serait-ce qu'un demi-kilo de saucisson cuit. Se pliant et se dépliant, les queues remplissent les magasins de leurs méandres infinis, en engloutissant paresseusement les restes ultimes de bonté, de bienveillance et d'humanité.

Chacun pouvait voir où nous étions arrivés, personne ne pouvait dire où nous allions.

Toutes la littérature apparue après que Iossak-le-Sanguinaire (Staline), eut crevé ne parlait que des victimes de ce monde de cauchemars. Mais personne n'eut le courage, ou la possibilité, ou assez de connaissances, pour décrire ceux qui avaient construit ce monde, qui l'avaient façonné et mis en marche. Alors que ces bourreaux, ces tortionnaires font partie du caractère indissolublement double de notre vie : on ne peut pas comprendre notre existence si on ignore le visage des bourreaux qui se sont engagés à verser un océan de sang humain pour une bonne ration, des bottes en box et l'exercice d'un pouvoir invisible.

Pour éduquer les gens, le châtiment vaut mieux que la loi. Frappe fort l'innocent, le coupable n'en aura que plus de peur.

Mais j'ai commis l'irréversible : j'ai déclaré que je n'étais plus une citoyenne soviétique de nationalité juive, mais une Juive, juste une Juive.

Les innocents avaient été tués depuis longtemps par ceux qui ne savent pas ce qu'ils font, et devenus coupables entre-temps. Ceux ci furent tués par ceux qui savaient ce qu'ils faisaient, encore plus coupables. À leur tour, ceux ci furent tués par ceux qui ne considéraient plus le meurtre comme une faute. Et les suivants savaient parfaitement qu'il était tout simplement nécessaire de tuer. Obéissant au premier des commandements : "Tu tueras."

Et si on refuse de me dire la vérité, j'en fabriquerai une avec vos mensonges éternels. Vous n'êtes qu'une machine, moi je suis un homme, et un homme est toujours plus fort qu'une machine. La légende de la lâcheté et de l'omerta - de l'impuissance de l'homme face à la machine - est née parce que la vérité a toujours payé.
Pour gagner contre la machine, on payait de sa vie.