AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ODP31


ODP31
05 décembre 2020
Je crois que je perds la mémoire, et mes clés.
- Chérie, tu sais où sont mes clés ?
- Là où tu les as laissées…
Quelques mots à l'encre pas vraiment sympathique pour ne pas effacer toute trace de cette lecture Alzheimerisée.
J'avais pourtant aimé les derniers romans de François Vallejo, son écriture élégante, sa "polyvaillance" romanesque, mais cette enquête autour de la mort mystérieuse de collectionneurs d'art, m'a autant inspiré que l'oeuvre d'un taggeur de sanisettes.
« le consortium de l'angoisse », amicale fortunée de spéculateurs qui font et défont la cote d'artistes contemporains, sorte de Girafes Club de l'art contemporain, mandate un expert pour enquêter sur plusieurs décès suspects parmi leurs ouailles guindées.
Point commun entre un chinois ventru faisant la planche dans la baie de Hong Kong après une overdose de sucre, un volatile interlope new yorkais mijoté à l'acide, un investisseur suisse trépassé dans un téléphérique – comment va-t-il s'acquitter des 135 euros ? – et quelques autres : ils ont tous acheté l'oeuvre d'un artiste underground, répondant au nom de jv. Où va-t-il ? On s'en moque et s'est bien cela le problème.
François Vallejo a fait le choix de narrer cette histoire sous la forme de rapports de l'expert snobinard vers ses commanditaires invisibles. C'est certes mieux écrit que le diagnostic d'un comité Théodule sur la migration des canards de baignoire mais ce style qui empêche de changer de trottoir pour rejoindre l'histoire, impose une distanciation sociale avec le lecteur qui m'a privé de toute palpitance, n'en déplaise à ma vieille grammaire.
Maigre pitance jusqu'à l'irruption dans le récit du mystérieux artiste qui performe pour créer son propre mythe et le détruire. A mon avis, Banksy a pas mal inspiré François Vallejo. le roman prend vie avec lui. Il utilise des copies de chef d'oeuvre et les détourne. C'est comme peindre à dada une moustache à Mona Lisa à la Duchamp.
Au-delà de l'enquête, le roman interroge la finitude de l'artiste et de son oeuvre. Dépassée l'époque où la postérité s'acquérait dans le temps long. L'art se dématérialise. La signature se pirate. La réalisation des oeuvres se sous-traite, comme pour un vulgaire objet de consommation.
François Vallejo met en évidence avec subtilité l'évolution du rapport entre l'artiste et son oeuvre. Désormais, certains veulent survivre à leurs oeuvres, être l'oeuvre, selfie masqué, et performent pour buzzer, en quête d'absolu et de reconnaissance immédiate. On a le pinceau capitaliste, la renommée éphémère.
La charge est féroce, pas tant envers les créateurs, l'auteur rend hommage à certains comme Keith Haring, mais plutôt à l'encontre de cette intelligence de plus en plus artificielle qui régit ou veut régir l'art comme le reste du monde.
J'ai été beaucoup plus intéressé par deux thématiques majeures et moins abstraites du roman : la manipulation et l'authenticité. Qui de l'artiste ou de l'expert instrumentalise l'autre ? Quelle influence le collectionneur peut avoir sur le succès d'une oeuvre ? Suffit-il de poser une tête de clown sur la victoire de Samothrace pour créer une oeuvre ? Ai-je réellement perdu mes clés ?
je reconnais à l'auteur une vraie inventivité et une narration subtile. Trop. Une démonstration trop alambiquée qui manque d'eau de vie à part dans sa dernière partie.
Bizarrement, mes clés étaient effectivement rangées à l'endroit précis où mes mains les avaient posées. Il faudra m'en souvenir.
Commenter  J’apprécie          825



Ont apprécié cette critique (82)voir plus




{* *}