La Cité des Saints et des Fous

Permettez-moi de vous prédire vos réactions, ce qui vous permettra peut-être de franchir plus vite ces étapes afin d'aller à la rencontre de votre destin. Vous commencerez par gémir. Vous hurlerez. Vous essayerez même de vous échapper.Vous refuserez d'un "non" catégorique même une fois que nous vous aurons maîtrisé. Nous vous menacerons. Vous faiblirez. Puis vous direz à nouveau "non", mais cette fois nous saurons, au ton interrogateur de votre voix, que vous vous êtes approché de la réalité, de l'action. Puis le cycle se répétera. Et ensuite, enfin, que cela prenne une heure ou une semaine, vous vous retrouverez à accomplir votre tâche, parce que même le plus misérable des chiens a envie de sentir le soleil briller sur son dos un jour de plus

La Chouette dit avec une précision implacable : "Alors nous vous dépouillerons de votre visage jusqu'à ce qu'il n'en reste que des bandes de chair accrochées au crâne. Nous découperons vos doigts et vos orteils comme autant de carottes pour la soupe. Vous deviendrez une énigme rouge sang qu'un chien résoudra dans une ruelle quelconque"

Nous devons arriver à un accord, vous et moi, fondé uniquement sur votre état d'esprit actuel. Les mensonges, je les renifle, vous savez. Même quand ils ressemblent à du sirop, ils sentent le poison.

Dans sa quête pour se mettre dans la peau d'un Calmar royal,le calmarologiste apprend forcément à penser comme un calmar. Comme le détective qui enquête sur un meurtre et se perd dans l'identité du meurtrier, le calmarologiste peut, parfois, se perdre dans l'identité du calmar (qui,je l'admets n'a commis aucun crime). Que certains s'y perdent sans retrouver la « normalité» est inévitable, et peut-être louable. Pourquoi fustiger les gens possédés toute leur vie par une obsession particulière parce qu'ils ont satisfait celle-ci? Punirait-on un artiste d'avoir, d'un dernier accès de génie entaché d'aliénation, créé le chef-d'œuvre que le monde attendait depuis le début de sa carrière? Car ne vous y trompez pas... en ce qui concerne la calmaranthropie, le calmarologiste amateur désire effectuer l'ultime bond synergiste qui sépare l'observateur de l'observé, le patient du docteur. Le docteur étudie la chose que le patient est devenu, tandis que le patient
attend avec impatience de s'étudier et de se comprendre.

La calmaranthropie n'est pas, comme certains l'ont identifiée par erreur, le domaine des philanthropes calmars, mais plutôt une forme d'aliénation dans laquelle une personne se prend pour un calmar. Elle peut conduire le sujet à se mettre à l'eau pour tenter de rejoindre ses congénères calmars, avec des conséquences, soyons honnêtes, souvent fatales, ou bien à une simple confusion dans sa physiologie: le sujet s'imagine par exemple couler alors qu'il se trouve sur la terre ferme, souffrir de l'absence de branchies ou de manteau, perdre la capacité de marcher et se retrouver à barboter dans les fontaines publiques.

Je fais des cauchemars, en ce moment. Pas sûr de savoir qu’en tirer. Ils suggèrent des réponses à des questions sur les chapeaux gris. Cela se passe toujours sous terre. Et il fait sombre. Il y a une machine. Sa façade est d’une rassurante matière translucide ou réfléchissante.

(9) Apprendre à quitter la chair. Même si j’ai confisqué cette histoire à X au début de son séjour dans notre délicieuse institution, je la joins au cas où elle présente un quelconque intérêt, l’ayant soigneusement séparée de la collection de X. J’ai lu plusieurs fois l’histoire, dans l’espoir de la déchiffrer. Elle contient, ai-je le sentiment, et bien davantage que les nombres tapés à la machine, des indices sur l’endroit où se trouve X. L’histoire est lumineuse… Elle semble presque rayonner de lumière quand on la lit. Je dois admettre vous l’envoyer surtout pour m’en débarrasser.

Mais hélas, c'est la nature de l'écrivain de remettre en question la validité de son monde, en se basant toutefois sur ses sens pour le décrire. De quelle autre tension la grande littérature pourrait-elle naître ? Et pourtant, il était piégé, condamné par sa nature, ces dons et talents qu'il avait cultivés et perfectionnés pour maîtriser son art.

C’était une brume coléreuse, une brume ricaneuse qui se frayait un chemin dans le ciel, dans les espaces entre les objets, et qui dissimulait la nuit. Elle sentait le fleuve: le limon et l'eau saumâtre, le poisson et les mangroves. Elle traversa Lac comme s'il n'existait pas. Et à cause de cela, le priva de substance, car Lac ne voyait plus ni ses bras ni ses jambes, ne sentait plus rien à part cette humidité écœurante qui s'accrochait à lui, qui descendait sur lui. Il était un fantôme. Il était libre. Aucune réalité ne pouvait exister dans ce monde embrumé. Aucune réalité ne pouvait exister pour Lac tant qu'il se trouvait à l'intérieur de cette brume.

Nous avons traversé tant de salles étranges et inquiétantes, remplies de constructions d'un autre monde, de spectacles d'un autre monde - quelles merveilles j'ai vues !
De lumineux champignons violets palpitant dans l'obscurité. Des créatures invisibles tant quelle ne sourient pas, leur peau reflétant leur enviton. nement. Des salamandres sans yeux, aveugles, vibrantes, qui appréhendent petit à petit par d'autres sens l'obscurité morte. Des animaux aile qui parlent. Des choses sans tête qui chuchotent nos noms. Et toujours, partout, les chapeaux gris.