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Critique de HordeDuContrevent


J'ai aimé l'histoire de cette femme au bord de l'explosion. J'ai aimé la métaphore de la plongée, permettant de mettre en relief ce qui il y a au plus profond de notre personnage alors que sa surface est tellement écorchée. Je reconnais l'avoir lu en quelques heures. Mais je n'ai pas du tout aimé le style de David Vann, sa plume, souvent ironique, sa façon de décrire son personnage principal, Tracy, avec condescendance, vulgarité et mépris. Cette façon de la mettre plus bas que terre pour ensuite nous expliquer que la cause de son aigreur, de son amertume est tout simplement la maternité et la famille. La relation de cause à effet qu'il veut nous mettre en évidence, nous dégoutant au passage, est pour moi inversée. Ce qu'il prend pour cause est pour moi conséquence.

Je suis passée de l'énervement à la tristesse dans cette lecture. L'énervement, voire la colère, dans la première partie, la sidération puis la tristesse dans la seconde partie. Et je n'ai pas accepté ce que David Vann veut nous dire en filigrane. Ça semble parler de lui tant c'est violent, je ne connais pas du tout son histoire personnelle découvrant cet auteur mais il y a une haine et une amertume telles que je me suis vraiment demandée quelle était la part d'expérience personnelle là-dedans. Comme Tracy, j'ai finalement été tiraillée entre le fonds de cette histoire et la surface si tourmentée. Je suis restée tout le long entre deux eaux.

C'est l'histoire d'une femme, Tracy, au bord de la crise de nerf, qui semble même être à la lisière du meurtre. Une femme qui ne comprend pas comment elle en est arrivée là, qui se sent esclave, prisonnière de sa vie, de ses jumeaux de 5 ans. Prisonnière de ses propres injonctions contradictoires : sa vie est devenue un enfer à cause de ses deux enfants mais elle sait « qu'elle aurait regretté d'être seule. Elle était si déterminée à fonder une famille. Elle n'aurait jamais été heureuse sans ça. Elle était donc condamnée, quel que soit son choix ». Esclave du rôle de mère dans lequel elle est enfermée et dans lequel la société, y compris son mari, l'enferme.

Dans la première partie, nous la découvrons avec sa mère rejoindre son frère sur l'île de Komodo en Indonésie pour quelques jours de vacances tant mérités vu que depuis 5 ans elle élève, quasiment seule, ses jumeaux. Son frère Roy fait partie d'un groupe de plongeurs dont il attend à la fin du séjour un certificat de moniteur. Tracy et sa mère savent et aiment plonger.
Nous découvrons immédiatement une femme aigrie, amère, jalouse, puérile, tout en reproches vis-à-vis de son frère et de sa mère. Tout est de la faute des autres, ses jérémiades sont incessantes. C'est insupportable. Mais en plus, David Vann, par sa plume, en profite pour la rendre incroyablement vulgaire, voulant sans doute renforcer la perception négative du personnage :
« Comment ça va ? je lui demande. — Très bien, dit-il. Tu parles très bien français. — Je n'arrive à prononcer correctement les R que si j'ai une bite dans la bouche, dis-je. Ça me permet de l'avoir bien au fond de la gorge ». Elégant…encore une petite citation dans le même style :
« Je m'assieds sur les toilettes, j'ai envie de chier mais n'y arrive pas »…
Les allusions « pipi-caca » sont très présentes et sans doute, je n'ai pas voulu creuser, cela signifie quelque chose en termes psy quant à son lien avec l'un des parents. Sans doute.

Cerise sur le gâteau, David Vann ose même l'affubler d'un problème hémorroïdaire, conséquence de la maternité nous dit-il, alors que ses enfants ont désormais 5 ans. Il lui enlève toute dignité, nous faisant spectateur d'un problème intime qui n'apporte rien à l'histoire si ce n'est de prouver combien la maternité détruit la femme, détruit son organe le plus intime, détruit donc tout désir…comment ose-t-il ? Je n'ai pas le courage de mettre les extraits tant j'ai trouvé ses propos indignes et inélégants…

Seules les descriptions sous-marines sont belles, par moment magnifiques, et nous les voyons au travers des yeux de Tracy. Comme si les profondeurs montraient ce qui est enfoui en elle, sous cette surface incroyablement rugueuse. « Sous moi se déploie un aquarium, des coraux multicolores mous ou durs, et cette impression que la lumière émane d'eux, qu'ils luisent, magiques. C'est dû à la clarté de l'eau. On ne voit pas les rais de lumière descendre à travers les particules de vase en suspension ».
On ressent bien la sensation de légèreté, d'apaisement, cette plongée en soi, ce refuge solitaire entouré de beautés marines, puis le choc de la remontée dans ce monde si dur.

Les plongées mises à part, bien décrites, cette première partie aurait pu faire l'objet d'une belle introspection poignante, intense. Nous avons là un personnage détestable, usant, vulgaire que David Van, transforme même en cafard…

La 2ème partie est son retour dans l'appartement familial dans lequel nous assistons à un huis-clos oppressant et sordide, entre elle désemparée, épuisée, et ses deux jumeaux de 5 ans. Comme si alors elle plongeait non plus dans l'immensité de l'océan, seule, mais dans un aquarium tout petit dans lequel elle mène un combat. Dans lequel elle se fait requin. Dans lequel elle est obligée de s'asséner un coup de poing dans la paume chaque jour pour s'empêcher de frapper ses enfants. de prime abord nous pensons comprendre : voilà pourquoi cette femme n'en peut plus et est aigrie. Sa fonction de maman l'a tout simplement épuisée. Mais ce serait trop facile… David Vann l'a tellement faite toxique et puérile que son rôle en tant que maman ne peut que s'avérer catastrophique. le drame solitaire vécu avec ses enfants n'est pas une cause mais bien une conséquence de ce qu'est cette femme, de ses traumatismes vécus, notamment durant sa propre enfance. Les enfants tombent facilement malades, sont souvent en crise, dans un environnement toxique.

La façon de percevoir les enfants, monstres égoïstes et violents, aux conversations « crétines et répétitives » est ainsi glaciale et ferait frémir toute femme pas encore maman…c'est extrême, péremptoire et si je peux comprendre cette perception lors de certains moments difficiles (qui n'a pas connu ça, ces moments d'abattement, d'immense fatigue face aux cris ?), je ne peux l'accepter poser ainsi comme vérité : « Une mère qui refuse d'être mère est une vraie paria. Paria, esclave, prisonnière. Qui elle est, ce qu'elle veut ou ce qu'elle pourrait être n'a aucune importance. Et les tyrans, si petits, dotés de traits de caractère qu'on n'accepterait jamais chez un ami, ni même chez un citoyen lambda : un égoïsme suprême, des exigences constantes, injustes et méchants et fous d'après les critères adultes, sans la moindre considération pour la loi. Violents, bruyants, destructeurs, incapables de raison. Leurs promesses n'ont déjà plus aucune valeur cinq minutes après les avoir prononcées, et impossible de négocier avec eux. Et la loi leur accorde tous les pouvoirs. S'ils la frappent, ça n'a pas d'importance. Libres à eux de le faire à chaque instant de la journée, chaque jour, des années durant s'ils le souhaitent. Mais si elle les frappe ne serait-ce qu'une seule fois, on parlera de crime ».

Avoir des enfants, ce serait prendre perpet' : « Ses obligations sont infinies. Attendre qu'ils s'endorment, attendre chaque soir pendant des années, et elle a encore treize ans de services devant elle. Une partie de ses obligations se mueront en peine à perpétuité. Elle sera toujours leur mère. Mais cet isolement au cachot ne durera que les cinq premières années, jusqu'à leur entrée à l'école. À ce moment-là, elle sera en liberté surveillée, un bracelet électronique à la cheville, obligée de rester dans les parages et de se présenter à horaires fixes, avec quelques heures ».

Alors oui, je le reconnais, David Vann souligne des problématiques contemporaines dans l'éducation des enfants, cette façon qu'ont les parents de vouloir aujourd'hui tout expliquer aux petits, de tout argumenter, de ne plus recourir à un peu de fermeté faisant des enfants le centre exclusif des attentions, faisant des parents des esclaves présents pour assouvir le moindre de leurs désirs, immédiatement. La faute aux parents. Non aux enfants.

Enfin je suis très surprise par la toute fin, j'ai trouvé ce dénouement final grotesque même, m'attendant à quelque chose de plus intense.

Sous couvert de nous montrer les dégâts que peut causer la famille, il me semble que David Vann a montré sa propre vision de la femme et des enfants. Et c'est effrayant. « Ce que les gens disent ou font se rapportent uniquement à leur propre vie » énonce-t-il. Cette histoire semble ne pas être celle de Tracy mais bien celle d'un homme désabusé par les femmes et la cellule familiale. Enfin, et surtout, David Vann est venu ici désacraliser ce qui a de plus précieux et important à mes yeux : les enfants. Pour toutes ces raisons, je n'ai pu apprécier ce livre et me suis sentie profondément mal à l'aise. En apnée.


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