On était partis pour une histoire de Robinson Crusoé au monde de la neige et du froid, avec ce premier roman de
David Vann traduit en français,
On termine dans un drame... qui n'est pas forcément celui qu'on pouvait imaginer…
Ce roman fut muri par l'auteur pendant dix ans, sous différentes versions, puis écrit en 17 jours (Le Monde). Puis, demeura impossible à publier pendant des années, avant de remporter le Prix Médicis en 2010.
Un homme et son fils de 13 ans s'enferment volontairement sur une île au large de l'Alaska pour un an, c'est le projet (du père).
Huis clos dans une nature sauvage qui peut être aussi belle qu'hostile.
Le livre se scinde en deux parties très distinctes dans leur style, et dans leur genre.
Entre les deux, une phrase-charnière, une seule : la dernière de la première partie.
Le drame nous percute alors de plein fouet.
Et retourne le roman.
La première partie est donc celle à laquelle je m'attendais : le récit des astuces et ruses -façon « Castor Junior »- des deux hommes pour se protéger des ours ou du froid par exemple, et pour profiter de la beauté et des ressources alimentaires de la nature. Pas toujours très au point, d'ailleurs.
Comme dans
Komodo lu précédemment, Vann excelle dans la description de la Mère Nature qui est vue à travers le prisme des hommes à son contact (grandiose). Aussi bien la mer de
Komodo que l'ile de Sukkwann.
La seconde partie est plus surprenante : on pourra trouver qu'il y a « surenchère » dans le drame et dans le sordide...
Mais il me semble qu'on la lit très différemment lorsqu'on sait que l'auteur s'est «plus qu'inspiré» de sa propre histoire, il l'a en fait réécrite : du coup, il s'agit là d'une oeuvre de transformation du réel...
Une oeuvre de « sublimation » en quelque sorte, donc, sûrement à la fois thérapeutique et en tout cas artistique...
Et l'on pourrait se pencher sur les interprétations à donner aux différents événements qui transforment successivement les personnages, psychologiquement et physiquement, en regard à ce qu'a vécu le jeune
David Vann dans la réalité.
Impossible d'en dire plus sans spoiler le roman...
Ce roman, facile à lire au début et qui se complexifie au fur et à mesure, virant à la tragédie, peut être difficile à terminer sauf si, comme je le dis plus haut, on y voit une forme de symbolique.
NB : Pour les fans et futurs fans de
David Vann, plusieurs petites interviews que je viens de savourer sont disponibles sur le web.
L'auteur y parle par exemple du ressort de la Tragédie grecque qui anime son écriture.
Il dit aussi l'importance pour lui d'exister par l'écriture.
Que dire par exemple de la liquéfaction littéraire du fils, position de fils qui fut celle du jeune David à la mort de son père, dont il a pu se sentir responsable compte-tenu des circonstances (son propre refus d'accompagner son père sur une ile (Le Monde))...
On peut avoir l'impression que l'auteur chasse ses démons en réécrivant l'histoire «telle qu'elle aurait pu être » si l'enfant qu'il était avait finalement accepté de suivre son père dans cette aventure qui lui fut proposée, et de prendre sur lui sans doute la dépression paternelle...?
J'ai cru voir par exemple la liquéfaction du Roy du roman comme un miroir « symbolique » de la décomposition (la « liquéfaction psychique» ?) du jeune David de 13 ans à l'annonce du suicide bien réel de son père. Retournement de la tragédie. (Interprétation personnelle : je suis à l'écoute des vôtres ! ).
David Vann semblerait en tout cas avoir «trouvé la solution littéraire » et la trame du roman en inversant les rôles, transformant, « digérant » ainsi sa propre histoire, et son deuil, et son sentiment de culpabilité . [\masquer]