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Critique de BenoitMX


Nous sommes dans les années 90 et il n'est pas encore question d'Internet ou de la prolifération des écrans actuelle : on est encore au temps des magazines et de la bonne vieille télé… Mais peu importe, au Pérou comme dans les démocraties occidentales, l'époque est déjà à cette frénésie d'alimenter la demande voyeuriste du public, et ceci parce que, comme dit le journaliste Rolando Garro, « le voyeurisme est le vice le plus universel qui soit (…) nous voulons connaître les secrets et, de préférence, les secrets d'alcôve. »
Alors de photos volées en révélations scabreuses, c'est le rouleau compresseur du « poids des mots, [du] choc des photos » qui est décrit dans ce roman : il fonctionne comme la rumeur qui, une fois lancée, ne peut plus être arrêtée… A cet égard, le grand héros du livre est le magazine Strip-tease, capable de défaire les notoriétés et les carrières des artistes, mais aussi des hommes d'affaires ou des politiques… Mais ce grand déballage, l'irrespect de plus en plus assumé de la barrière entre le privé et le public – qui était pourtant l'une des plus digne conquête de l'individu moderne – ne semble pas encore le pire aspect du déferlement médiatique. Ne finit-il d'ailleurs pas par avoir des effets positifs en politique ? – je n'en dis pas davantage pour ne pas spoiler…
La pire tragédie est ailleurs, dans un autre aspect du pouvoir médiatique – et s'il est un regret à avoir, c'est que cet aspect ne soit évoqué qu'assez furtivement. Il apparaît dans les regrets poignants de Juan Peineta : celui-ci a connu son heure de gloire comme récitant public de poésie… mais il a commis l'erreur d'accepter, pour l'argent, un poste de guignol à la télé. Il y a perdu son honneur, car dans ce nouveau contexte, ce que l'on attendait de lui n'était plus la qualité de ses déclamations, mais la simple incarnation d'un personnage de déclamant que les autres guignols pouvaient baffer à leur guise… Dérive des attentes sociales et de l'offre médiatique : c'est qu'on ne veut pas seulement du voyeurisme, mais aussi de la vulgarité, du défoulement, des exutoires…
Juan Peineta n'a même pas pu se maintenir dans l'emploi, une campagne de dénigrement menée par Rolando Garro ayant obtenu son renvoi – pas assez vulgaire… Il n'est plus connu désormais que comme cet homme pathétique qui agonit son ancien persécuteur de lettres de protestation, perdant peu à peu la mémoire (un comble pour un récitant !), touchant et philosophe malgré tout : « il en riait tout seul : ‘Quelle triste sortie pour le célèbre Juan Peineta !' » Il incarne ainsi le naufrage de toute forme un tant soit peu raffinée de l'esprit à l'ère du déferlement médiatique. Il est le clown blanc de cette farce terrible : l'esprit meurt et tout le monde rit.
La tonalité burlesque de ce livre, avec son côté « comédie de moeurs », par moment licencieuse (cf les toutes premières pages), pourra dérouter les amateurs de Mario Vargas Llosa : loin de ses chefs d'oeuvre, la donne sociale est ici caricaturale, et l'atmosphère lourde de dictature, de terrorisme passe au second plan – ce n'est qu'un décor… Pourquoi un tel parti-pris de la farce ? Non que le sujet ne soit pas grave – il s'agit tout de même de l'avilissement de l'homme, par un nouveau pouvoir en plein essor, et pas des moins pernicieux... Mais c'est que, comme dit Kundera dans L'art du roman, « l'union d'une forme frivole et d'un sujet grave dévoile nos drames dans leur terrible insignifiance. »
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