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Critique de Annezzo


Le grand bonheur. Découvrir une écriture bien spéciale, s'y couler sans trop de difficultés, et se repaître de cette histoire avec queue, avec tête, une histoire délurée comme un gloussement de môme gourmand.
Au Noooord, c'était le Pérou. Capitale, Lima. Dans un coin d'Amazonie péruvienne, il y a Iquitos. Il y fait chaud, et moite, ce qui agite considérablement les bistouquettes des soldats nouvellement basés dans le coin. du coup ça trousse ça chevauche et ça engrosse n'importe qui n'importe comment, ce qui n'est pas bien pour le blason de la très catholique armée. Il faut faire quelque chose. Une sorte de bordel de campagne, mais discret, organisé, avec des lois implacables et une main de fer pour tenir tout ça.
Tiens, on va prendre ce Lieutt', là, Pantaleòn Pantoja. le gars est sérieux comme un pape, marié, il vit avec son épouse Pochita et sa môman Leonor, est tout dévoué à l'armée sa grande famille, respectueux des ordres, idéal. On va le nommer Capitaine et l'envoyer avec ses affidés à Iquitos, ses adorables 40° et ses 100% d'humidité, un régal.
La pauvre Pochita et madame Mère ne sont pas ravies d'aller transpirer si loin, surtout que, par mesure de discrétion, on les loge hors de l'enceinte bénie de la Grande Muette tout confort, fi de la vie sociale des épouses de trouffions. Mais Pantaleòn, lui, il obéit. Prend son rôle très au sérieux. Sa première mission lui fera prendre contact avec une mère maquerelle un peu désoeuvrée, Madame Chuchupe, son aide de camp Wong le Chinois, et le serviteur des basses oeuvres, de très petite taille et fort efficace, Choupette. Quelques filles sont d'abord contactées, dont la célèbre Gros-Lolos, la préférée, et trois autres damoiselles en perdition. Les "lavandières", prostituées amateurs qui vont de maison en maison proposer de "laver le linge" avec des gros clins d'oeil tu-m'as-compris-tu-vois-ce-que-je-veux-dire, rejoindront le staff des Visiteuses avec soulagement.
Et Pantaleòn Pantoja, rebaptisé Pan-Pan, va gérer ça de main de maître. Gros succès, soldats heureux, filles ravies d'exercer un métier quasi honnête dans un encadrement salutaire, médecins en visites régulières, ordre et service. Toujours dans le plus grands secret, même s'il devient de plus en plus difficile à garder, notamment auprès de ces dames Pantoja qui croient leur mari/fils en mission d'espionnage.
L'écriture de Mario Var-Llo est étrange. Un coup à prendre. Exemple :
- Ta mère et moi nous nous sommes faites à l'idée d'aller à Iquitos - plie des mouchoirs, range des jupes, enveloppe des chaussures Pochita.
- Vous êtes notre homme, Pantoja - se lève et le prend par les bras le colonel Lopez Lopez. Vous allez mettre fin à ce casse-tête.
- Nous pouvons réciter par coeur vos états de service - ouvre le dossier, brasse des fiches et des imprimés le général Victoria.
- Quel joli garçon tu fais en Capitaine, mon petit - installe la confiture, le pain et le lait sur la table Mme Leonor.
Des pages entières de dialogue comme ça, celui ou celle qui parle étant cité en fin de phrase après description de ce qu'il-elle fait. Un coup à prendre. D'autant qu'on peut passer d'un bureau militaire à un salon familial, sans prévenir, sans trop de concordance des temps non plus. Mais on s'y fait. Je ne sais pas si Vargas-LL utilise ce même style dans ses autres livres (on m'a vivement conseillé la Tante Julia et le Scribouillard), mais ayé, j'ai mon brevet de vargas-llocisme, je suis prête à tout.
Et ce n'est pas le seul style employé. On se retrouve avec des rapports militaires, puis des articles de journaux, puis des diatribes radiophoniques. le sérieux militaire des rapports est hilarant, les coups de coude que se donnent les différents gradés entre eux sont savoureux, les émois de la bien-pensance toute vibrante d'hypocrisie sont bien troussés, comme ces dames d'ailleurs.
Et nulle part trace de récit "normal". Tiens, je ferais bien une battle Vargas-LLosa VS Flaubert, tant l'un balance un style enlevé, avec cette déjante sud-américaine éperdue d'humour, tant l'autre passe des pages et des pages à nous conter le décor d'un salon bourgeois après avoir fait des mois de recherches sur le mobilier en cours cette année-là dans ce quartier là...
De plus, il n'y a pas que le style, dans la vie. L'histoire que nous conte MVL est toute pétée d'humanité, tout y est bien vu, les réactions les affections, les rapports humains, le pognon, les grincements de la hiérarchie, les attachements, les petites jalousies, les petites concessions, les délires religieux, la bêtise des uns, la bonne volonté des autres, la vie, quoi. On s'attache à nos personnages, on espère d'ailleurs qu'à la toute fin, Pan-Pan changera d'avis... Mais chut, le capitaine Pantoja autant que Mario VL font bien ce qu'ils veulent, ce sont les seuls maîtres à bord. Pour notre plus grand plaisir.
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