Même adulte, je garde toujours au fond de moi certaines peurs de mon enfance et, dans mon imagination enfantine, cette pièce a toujours regorgé de monstres et de fantômes. Je sais aujourd’hui que les monstres n’existent pas, mais une part de moi croit peut-être encore aux fantômes. Probablement, puisque mon imagination est toujours aussi grande que dans mon enfance. Peut-être même plus… Mon thérapeute m’avait dit que c’était un don que je devrais tourner à mon avantage. Mais, aujourd’hui encore, j’ai du mal à la voir comme quelque chose de positif. Que m’a-t-elle apporté jusqu’à ce jour à part des peurs irraisonnées ?
Comme lors de notre toute première rencontre, j’ai éprouvé de la jalousie à son égard mais, cette fois-ci, pour de tout autres raisons. La vie avait donné à Louise un enfant alors que, moi, j’en serais à jamais privée. J’avais eu connaissance assez jeune du fait que je ne pourrais jamais donner la vie. J’avais eu le temps de m’habituer à cette idée, j’avais appris à vivre avec, cependant je ne pouvais pas m’empêcher d’éprouver du ressentiment lorsque je voyais des personnes dans des situations précaires avoir des enfants qu’elles étaient incapables d’assumer. Pour moi, Louise rentrait dans cette catégorie de personnes.
C’est horrible en fait d’être famille d’accueil car, à tout moment, après des années, on peut vous enlever un être cher sans que l’on ait son mot à dire. Dès lors, mes parents ont refusé de renouveler leur agrément et nous avons gardé le contact avec Louise qui a continué de venir nous voir régulièrement.
Vingt-sept ans ! Ce n’est pas un âge pour mourir surtout lorsque l’on élève seul son enfant. Malheureusement, la vie en a décidé autrement et la maladie a gagné. Il faut croire que certaines personnes naissent sous une mauvaise étoile et toutes les qualités de mon amie n’auront pas suffi à conjurer le mauvais sort. Louise a joué de malchance dès son plus jeune âge. Sa mère est décédée lorsqu’elle avait cinq ans et son père a sombré dans l’alcool. Maintenant que j’y repense, je trouve que c’est une sinistre coïncidence puisqu’elle avait le même âge que Lizon lorsqu’elle s’est retrouvée sans maman.
Je pensais pouvoir rapidement trouver le sommeil mais, au bout d’une heure, je dois me rendre à l’évidence. Mon corps est épuisé mais pas ma tête ! Mon cerveau est encore en ébullition et pense à tous les aménagements qui restent à entreprendre pour que cette maison devienne la nôtre. Je n’ai pas encore branché la télévision et mes livres sont toujours dans un carton… je vais donc devoir me contenter dans l’immédiat de regarder le plafond. C’est impressionnant ce que les plafonds peuvent être hauts dans ces anciennes bâtisses, trois mètres, je pense, pourtant les gens n’étaient pas plus grands il y a cinquante ans ! C’est bizarre. Non, en fait, ce qui est bizarre, c’est la tournure que prennent mes pensées. Comme si la hauteur des plafonds avait une quelconque importance ! Ce qui est important aujourd’hui, c’est de donner un nouveau départ à Lizon pour qu’elle puisse se reconstruire sans sa maman.