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Critique de madameduberry


Je viens de finir ce livre, qui m'a sidérée. Que faisiez-vous, de 1980 à 1990? Pour ma part, je n'ai cessé de m'adresser cette question, en même temps que je suivais Fabienne Verdier dans sa quête initiatique personnelle, dans sa réponse à un appel, dont elle dit n'avoir jamais connu l'origine, mais seulement la force irrésistible.Pourquoi partir, et surtout pourquoi rester dans un pays évoquant la Colonie pénitentiaire de Kafka, à l'échelle d'un continent? Pourquoi risquer de perdre sa jeunesse, sa santé, sa liberté, sa vie, à la recherche de Maîtres d'un art dont les communistes chinois ont voulu la disparition? Pourquoi se confronter aux horreurs subies au passé et au présent par un peuple martyr, mais qui continue à cautionner une justice et des exécutions d'un autre âge?Pourquoi quand on recherche la beauté et la perfection, accepter de passer dix ans au milieu des uniformes, de la pollution, en butte à une bureaucratie sauvage et impitoyable, isolée, c'est le pire, au milieu de la surpopulation chinoise, durant des mois sans amis, durant des années sans amour; en butte à la méfiance de ceux qu'elle admire, et à la concupiscence de ceux qu'elle abhorre? Il y a de la bergère de Domrémy, une pureté et une droiture extrème au milieu d'une société avilie et réduite à l'esclavage de la pensée, chez cette française ascétique, aux traits émaciés, et qui aime la culture chinoise bien plus que les chinois eux-mêmes, a-culturés, abâtardis, génocidés, abrutis, sans parler de ceux qui furent mutilés, affamés, torturés, poussés au suicide au nom de la révolution culturelle.Jamais cependant Fabienne Verdier ne s'autorise à moraliser, ou à mépriser ces hommes réduits à renier ce qui les reliait à leurs racines. Et elle s'en veut durablement d'avoir, pour cuisiner elle-même des plats qu'elle pourrait absorber, après une hépatite gravissime, d'avoir donc accepté de consommer à elle seule l'électricité de cent condisciples étudiants avec son réchaud électrique personnel.Etudiante, disciple, puis attachée culturelle, Fabienne Verdier voit peu à peu disparaître tous ses liens antérieurs avec ses racines françaises. Passagère d'une initiation dont elle ne peut plus s'affranchir, elle est guidée par des passeurs qui sont eux-mêmes des survivants, et qui finalement lui reconnaissent un talent propre, en plus de son apprentissage si dur et si long de l'art ancien de la calligraphie. Thèse: la quête d'un ailleurs, le départ de France et le renoncement aux Beaux Arts occidentaux. Antithèse: le voyage dans les ténèbres de son ignorance. Synthèse: une artiste singulière, pareille à nulle autre, et qui est une survivante. Survivante de l'orgueil occidental, et survivante de l'horreur uniformisatrice déshumanisante et génocidaire de la Chine rouge. Je pose ce livre, et je me demande ce que j'ai fait, de 1980 à 1990, sans savoir ce que cette femme hors du commun poursuivait, et dans quelles conditions. J'ai vécu, voilà tout, et maintenant grâce à ce livre je sais un peu mieux ce qu'un désir irrésistible peut faire accomplir à un être humain, dans le sens de la vie, mais au risque de sa propre mort.
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