Je passe ici le plus clair de mon temps à écrire. Je n’ai que ça d’ailleurs, le temps. Et le terrible ennui. Je l’écosse. Je le décompte en cris, cachets et convulsions. Je l’égrène en mots.
Des paquets de nuits tirés à bout portant tandis que j’avançais à tâtons vers la perpétuité.
Je prends les choses comme elles reviennent, dans le plus grand désordre, les attrapant à la gorge quand elles percent de ma camisole chimique. Ce sont tes cris, Noëline, le visage fêlé de tes sœurs ou la fosse emplie de nuit et de silence, les vœux du prêtre, pluies de riz et giboulées de roses, d’interminables routes entaillées dans le vide ou j’avance sans garde-corps, rasades de vodka, éclaboussures de sang, l’éblouissant crépuscule que dévore les crevasses.
Peut-on mieux dévoiler l'amour à ceux qui s'y destinent qu'en les séparant comme on tranche les siamois, en taillant dans la chair et brisant l'os iliaque, dans le vif des deux, en dédoublant le mal, en répliquant la nuit ?
Je ne pensais qu’à Noëline, à cette perdition où la menaient inexorablement nos noces ; et assis là, il me semblait l’y pousser avec les autres, lâchement, comme si l’on m’eût moi-même tenu la main, bandé les yeux et chloroformé.
Tu m’avais dit marions-nous le 21 juin, au solstice d’été. C’est le jour le plus long. À Rochecreuse, à la montagne, où le soleil consume longtemps les cimes.
Il ne nous aura guère fallu une vie entière pour qu’à l’image de ces couples que de longues années de vie commune façonnent l’un en miroir de l’autre, nous en venions à nous confondre.
Pour te retrouver, te voir, je suis du bout des doigts les nouveaux traits de mon visage, cette page de braille qu’est devenue ma face : arêtes, séracs, fissures, escarpes, l’exact calque en trois dimensions de ce pays montagneux dans les plis contractés duquel a couvé notre union.
Qu’ont-ils fait de nous, Noëline, qu’ont-ils fait de toi ? Peut-on mieux dévoiler l’amour à ceux qui s’y destinent qu’en les séparant comme on tranche les siamois, en taillant dans la chair et brisant l’os iliaque, dans le vif des deux, en dédoublant le mal, en répliquant la nuit ? Pour te retrouver, te voir, je suis du bout des doigts les nouveaux traits de mon visage, cette page de braille qu’est devenue ma face : arêtes, séracs, fissures, escarpes, l’exact calque en trois dimensions de ce pays montagneux dans les plis contractés duquel a couvé notre union. Il ne nous aura guère fallu une vie entière pour qu’à l’image de ces couples que de longues années de vie commune façonnent l’un en miroir de l’autre, nous en venions à nous confondre.
Comment imaginer la nuit que nous venions de vivre, à voir le soleil pointer si haut et les massifs percer le ciel bleu de leurs incisives ? Comme un pansement qu’on arrache d’une plaie vive et le soleil éclatant pour la cuire.