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Critique de Jdo


Jdo
11 septembre 2012
Fort de mes lointains souvenirs de quelques romans phares de Jules Verne lus dans une autre vie, c'est sans aucune surprise que je découvrais à la lecture pour moi nouvelle du « voyage au centre de la terre » qu'à la différence de l'adaptation destinée aux familles nord-américaines des années cinquante qu'en fit ce vieux Walt, cette aventure était exclusivement et délibérément masculine. En effet et ce malgré l'existence d'une fiancée pourtant elle aussi minéralogiste émérite et dont il est écrit qu'« elle en eût remontré à plus d'un savant », pas plus de femme conviée dans ce roman à visiter le centre de la terre, que dans d'autres échouant sur la plage déserte d'une île mystérieuse ou présente dans les coursives du Nautilus ou le ballon de Samuel Fergusson, ni non plus accompagnant Phileas Fogg à travers son tour du monde.

J'avais par contre totalement oublié à quel point chez Jules Verne le caractère de ses personnages est ramené à un simple trait, et que celui-ci non seulement les définit d'emblée dans leur intégralité mais qu'il a cette toujours même caractéristique que sa simplicité ne vient pas de ce qu'il n'est qu'une ébauche ou une épure mais au contraire de ce qu'il est destiné à être définitivement arrêté. Ainsi, les trois héros de ce roman : le professeur Otto Lidenbrock, minéralogiste érudit et polyglotte dévolu à la science jusqu'à la psychose et façonné de certitudes au demeurant pour la plupart ratifiées par les faits, son jeune neveu Axel, narrateur de l'expédition et dont la jeunesse ne peut signifier que candeur, enthousiasme, éclairs d'inspiration mais aussi fragilité à laquelle parfois se mêle un rien de couardise ou de dolence et enfin leur guide Islandais recruté sur place, Hans Bjelke, sorte de sherpa nordique idéal, immanquablement efficace, irrémédiablement mutique et prêt à emprunter n'importe quelle voie du moment qu'on ne sait où elle mène et dès lors que c'est au côté de ses deux employeurs, fleurons d'une Europe éclairée, puissante et expansionniste, tels ils ont entamés ce voyage hors norme, extraordinaire dans le plein sens du mot, tels ils le finiront.

Dans cette traversée du complet inconnu, du presque inexploré puisque c'est en réalité sur la trace laissée par Arne Saknussemm qui trois siècles auparavant fut le premier à ouvrir les entrailles de la terre qu'ils se sont lancés, et bien que livrés à eux-mêmes, à eux-seuls pendant plusieurs mois, oubliés du monde de la surface et faisant, jour après jour, l'expérience de l'euphorie et du désespoir, de la peur et de l'éblouissement, rien ne les aura changés. Ils n'ont pas bougé d'un iota, ni dans leurs certitudes, ni dans leur candeur et encore moins dans leur mutisme, à peine en ressortent-ils quelque peu amaigris et hirsutes. Ainsi, définitivement, cette équipée au centre de la terre n'est en rien le récit d'une aventure humaine, mais bien plutôt celui de l'Aventure de l'Humanité avec un « A » et un « H » majuscules, comme on parlera pratiquement un siècle plus tard de ce grand pas fait par elle avec à peu près le même esprit conquérant et colonialiste que du temps du second empire durant lequel Jules Verne vécut et installa son oeuvre. de cette aventure, pourtant toute intérieure, le bon docteur Freud semble être si loin que c'est comme s'il ne devait même jamais advenir, et cependant il arrive, il n'est déjà plus très loin, au point qu'il pourrait bien avoir été un des jeunes lecteurs de Jules Verne et quelles belles pâtures en effet lui auraient alors faites ces sombres boyaux descendant dans le ventre de la terre, ces couloirs inviolés et étincelants, étincelants parce qu'inviolés, cette mer interne, immensément répandue, régulièrement bouleversée d'orages aussi soudains que furieux, ces cavernes lumineuses où la nuit ne vient jamais mais cependant habitées de monstres immémorés entièrement occupés à s'entredévorer et bien sûr cette remontée finale à travers un étroit conduit d'une mer originelle transformée par un acte manqué en eaux soudain rendues effrénées et bouillonnantes puis bientôt en lave libératrice, et cela, encore une fois, sans aucune femme présente en ces lieux, seul un mystérieux berger à peine entrevu, sans âge et sans époque, veille là sur d'improbables troupeaux silencieux.

Mais ce qui pourrait ainsi ne nous paraître que faiblesse et inconsistance dans un siècle littéraire plutôt voué à l'exploration des comédies humaines, de la complexité des âmes et des sentiments et des ressorts politiques d'une société déjà vieillissante et nous tirer ainsi un peu de mépris condescendant, en constitue en réalité tout le charme et la singularité. Car, et comme cela n'est pas si fréquemment le cas ailleurs, les héros de Jules Verne traversent leur aventure comme si eux-mêmes n'en étaient que les lecteurs et puisque, de par cette ascèse rationaliste et positiviste à laquelle ils ont consacrés leurs voeux, ils occupent plus de temps à commenter objectivement cette aventure qu'à la vivre avec passion, ils nous laissent ainsi, sans nul nécessité de nous identifier à eux, tout à fait libres de visiter ces lieux sans être en rien gênés par leur présence. Au contraire, ils sont comme des guides parfaits dépêchés par Jules Verne dans le but de nous faire visiter dans des conditions idéales son musée merveilleux, son théâtre d'ombres chinoises et dont on peut, de temps à autre, se laisser aller à écouter par politesse les explications raisonnées et savantes aussi désuètes à nos jours qu'elles étaient déjà superfétatoires à l'époque sans que cela ne gâche en quoi que ce soit notre concentration à vouloir profiter pleinement du spectacle des lieux. On attend d'eux seulement qu'ils portent la lumière et choisissent des routes que sans leur curiosité nous n'aurions jamais eu le courage, voir même l'idée, d'emprunter.

Aussi de ce qu'il advient de ces héros au delà de leur aventureux périple finalement peu nous importe. Qu'Axel dès son retour à Hambourg épouse sa Graüben dont il a donné le prénom à un embarcadère souterrain naturel (il n'est décidément pas possible que le bon Sigmund n'ait pas lu ce livre), cela va de soi. Que le Professeur Lidenbrock tire quelques gloires de salon de son courage sans faille d'explorateur à tout va, c'est la moindre des choses. Quant à l'impavide Hans Bjelke, il semble traverser la vie avec une telle sagesse innée de moine tibétain qu'on peut l'imaginer aussi bien retournant à ses chasses solitaires d'eiders islandais que consacrer le reste de sa vie à tricoter au fond d'une Isba entourée de geysers des chandails en poils de rennes ou de renards bleus.

Ils sont passés en ne laissant au bout du compte rien d'eux-mêmes. de la belle écriture de Jules Verne précise et sans afféteries et dont le primordial du très respectable travail littéraire consiste à rendre réel l'impossible et à donner une architecture concrète et cohérente au merveilleux, ne restent donc, mais c'est bien là l'essentiel, que ces lieux révélés, devenus pour nous presque familiers par la justesse de leur description et qu'on peut désormais visiter, sans besoin d'autre guide que notre mémoire de lecteur, chaque fois que le coeur nous en dit.
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