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300 pages
Lévy Frères (01/01/1865)
5/5   2 notes
Résumé :
I. Mon titre
II. D'où l'idée m'en vint
III. L'Argent
IV. Généralités et contrastes
V. L'histoire de Benzinet
VI. Le Million
VII. A la Crüel
VIII. Les Temples du Dieu
IX. L'École des caissiers
X. Une Étude d'Huissier
XI. Ecce Homo
XII. Un conte fantastique
XIII. Le Créancier
XIV. De l'utilité de l'usure
XV. La Contrainte par corps
XVI. La Graine de carotte
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Figurez-vous que l'autre nuit j'ai fait un rêve. C'est la faute des journaux aussi ! Avec leurs satanés bulletins de Bourse, leurs diables de bilans de Banque et toutes leurs tartines financières, ils vous donnent des idées... des idées... Et puis leurs tirages de loterie !... Le 20 irrévocablement ! Le 30 sans remise ! Les gros lots qui poudroient... Les louis d'or qui jaunissaient ! Bref, l'autre nuit, j'ai fait un rêve. Un drôle de rêve, sur ma parole, et que je vous demande la permission de vous raconter.

Il me sembla d'abord... Mais au préalable, il est bon de vous dire à qui vous avez à faire. Position sociale à créer... capital en espérance... première hypothèque sur le domaine des illusions...
Bast !...
Si je n'ai pas tout à fait vingt-cinq ans, je n'habite pas non plus tout à fait un grenier.
Il y a compensation.
Je reviens à mon récit. Il me sembla donc d'abord que j'étais chez moi dans mon fauteuil vert, — le seul, — celui qui rit sur toutes les jointures. Quand tout à coup on frappa à la porte.
« — Entrez !
— Monsieur, c'est une lettre.
— Donnez. Qui donc peut m'écrire ? »

Et dans mon rêve de décacheter la lettre. Elle était ainsi conçue :
« Monsieur,
J'ai l'honneur de vous faire part de la perte douloureuse que vous venez de faire en la personne d'un de vos cousins qui vous était inconnu, car il avait quitté la France pour aller habiter l'Uruguay bien avant votre naissance. Ledit cousin, monsieur, que des spéculations heureuses avaient enrichi, n'a pas voulu, en succombant, se montrer oublieux de ceux-là même qui n'avaient jamais pensé à lui. En conséquence, il a laissé un souvenir à chacun de ses parents, au nombre desquels vous figurez, monsieur, pour une somme de cinq mille francs. Je tiens cette somme à votre disposition, ce testament étant fait sain de corps et d'esprit, parfaitement valable et exécutoire. Agréez, je vous prie, mes salutations empressées.
Bibolet,
Notaire, rue... »

5.000 francs !... Mon cousin que je ne connaissais pas... Un notaire m'écrivant... à moi ! Je vous avouerai que, même en rêve, la première impression fut aussi violente que si l'on était venu m'annoncer les débuts de mademoiselle Thérésa à la Comédie-Française. Mais, reprenant mon équilibre :

« 5.000 francs ! m'écriai-je... 5.000 francs ! Pauvre Clairette (Clairette, un sentiment à moi, 25 ans, fait la fleur artificielle et en cultive de réelles dans mon existence.)
Pauvre Clairette ! Va-t-elle être contente !... Je lui achèterai pour le moins une demi-douzaine de robes... des bleues, des grises, des rouges, des tricolores.
Et Jules, Albert et Frédéric !... De vrais camarades... les compagnons des mauvais jours ! Quels sardanapalismes je vais leur offrir ! 5.000 !... Allons chez le notaire ! »

Sur ce, je partis, — toujours dans mon rêve, — pour me rendre sans délai chez cet officier ministériel. Mais en route :

« — Avec 5.000 francs, tout de même, on peut faire quelque chose... Il ne s'agit pas de jeter cette somme au vent. Sans doute Clairette a du bon, — mais un seul cadeau suffira. Quant aux amis... je les inviterai, c'est évident... mais il faudra prendre garde à ne pas leur ouvrir la poche trop large. Ils seraient capables d'y pratiquer des drainages intempestifs. Et il m'importe qu'il me reste de quoi faire quelque opération avantageuse... Ah ! l'étude du notaire !
— Monsieur, je viens pour l'héritage de mon cousin de l'Uruguay.
— Très bien, jeune homme...

Mon rêve suivait son cours, je me voyais ensuite, comme par un changement à vue, transporté dans un appartement cossu. Simple, mais bigrement cossu. Une bonne de la meilleure tournure entrait :

« — Monsieur, un billet de la part de votre agent de change.
— Merci. »
Le billet disait :
« Mon cher client,
Vos comptes de fin de mois se soldent par un bénéfice considérable, la hausse a fait des progrès rapides. Vous êtes aujourd'hui à la tête d'un capital de 100.000 francs. »
« 100.000 francs !...
— Monsieur.
— Qu'y a-t-il encore, Julie ?
— Deux autres lettres...
— Fort bien... »

Ah ! celle-ci de Clairette, celle-là de Frédéric... Une brave fille que Clairette... Mais dans ma nouvelle position, il devient indispensable de lui faire comprendre que je ne puis la recevoir chez moi.
J'irai la voir... de loin en loin.
Que diable... cela nuirait à mon établissement... et avec 100.000 francs on peut prétendre à une dot panachée.
C'est comme Frédéric, un bon garçon, mais d'un débraillé, d'un manque de tenue. Il compromet ma dignité d'homme posé vis-à-vis de mon portier. Je lui insinuerai adroitement que je vais en voyage... pour dix-huit mois. 100.000 francs !... quel avenir !
Le temps passe vite quand on rêve. Je ne sais combien d'années me semblaient tout à coup s'être écoulées. J'habitais un hôtel de première catégorie. Des tapis où l'on enfonçait jusqu'à la cheville... des potiches à loger une famille d'employé. Des glaces... des dorures... des laquais. De magnifiques laquais. J'étais à la tête de trois millions.
Trois millions !...

"— Monsieur ira-t-il au bois avec le coupé ou avec la calèche ?
— Je n'irai pas du tout, j'ai la goutte.
— Monsieur ira-t-il au bal du ministère ?
— Je me coucherai à huit heures, j'ai mon asthme.
— Monsieur, voici le menu du dîner : chevreuil, faisan, turbot...
— Je ne dînerai pas, j'ai ma gastrite...
— Monsieur veut-il... ?
— Une tasse de camomille et du baume tranquille... Allez ! Aie ! la goutte !... Ouf ! la gastrite !"

M'y voilà donc arrivé au but de mes rêves... Je possède ces millions que je convoitais. Je l'occupe cet hôtel que je regardais autrefois avec un respect jaloux... Riche !... je suis très riche... Les médecins sont des ânes... ne pas savoir guérir un millionnaire !
Cet animal de domestique avec son chevreuil, il avait l'air de se moquer de moi. Il sait bien que je ne puis plus ni manger, ni marcher, ni respirer.

Quand je me rappelle le temps où je dévorais un jambonneau avec l'os, où je faisais mes six lieues à travers champs, à moi tout seul...

Ouff !... le cœur... C'est ma femme qui s'avance. Ma femme... celle que j'ai épousée au prix de 100.000 francs, valeur reçue comptant.

Une perche anguleuse, revêche, sotte, et le reste. Quand un mot d'affection me vient aux lèvres, elle me glace d'un regard.

« — Mon amie, je suis bien souffrant.
— Ah !
— Ne passerez-vous pas auprès de moi une partie de la journée ?
— Impossible... mes devoirs de charité me réclament... J'ai en outre un sermon... deux conférences religieuses... une assemblée générale de dames patronesses de l’Oeuvre des vieillards malades. »

Comme je ne suis que vieillard et malade, mais que je ne suis pas de « l’Œuvre » de charité, la voilà partie.
Pas un ami... des parasites !
Pas une affection... des calculs mathématiques ! Ce n'est pas Clairette qui m'aurait laissé ainsi tout seul.
Cette chère Clairette ! Avec son chapeau de dix-sept francs et son châle imprimé !... Et les anciens des temps passés !... Les insoucieux camarades !...
Allons ! voilà ma quinte de toux, Heu... heu... heu... heu !...

Je me réveillai. Je toussais en effet, car j'avais oublié en me couchant de fermer la fenêtre. Mais un soleil d'été en profitait pour me rire au nez. Clairette, qui avait tourné la clé sur la serrure, me regardait dormir.
Et comme je me frottais les yeux :
« — Qu'est-ce que tu as donc eu ? me demanda-t-elle, tu te débattais, tu soupirais.
— Rien... j'ai rêvé, » lui dis-je en cueillant au vol un baiser...

« — Quoi donc ?
— Des choses qui, Dieu merci, ne sont pas, » fis-je en fouillant dans ma poche absolument vide de millions.

« — Mais quoi donc, enfin ?
— Des folies... J'ai rêvé que j'appartenais à une grande fortune qui faisait de moi un bien bête d’emploi… ! »
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IIème nouvelle humoristique - "Le seul de ma classe ayant réussi" (extrait)

Doué d'un goût prononcé pour le confort et la vie paisible, il se livra, — la veille du jour où il passa sous les fourches caudines du baccalauréat, à des méditations prolongées.
A quoi songeait il ?
Au choix d'une carrière. Grave et périlleux instant !

— Que faire ? se murmura-t-il.
La médecine est obstruée, le droit encombré, la photographie inondée !
J'aime le calme, j'ambitionne une position peu fatigante et agréablement lucrative.
Que choisirai-je ?... La diplomatie ? Trop de voyages. Les armes ? Elles sont trop perfectionnées. Le barreau ? Et mon larynx ! La médecine ? Jamais ! je suis pour l'abolition de la peine de mort.
Ce qu'il me faudrait, c'est une spécialité...

Quelle idée ! La spécialité ! Tout est là à notre époque. Le coiffeur qui a la spécialité d'une pommade conquiert des pignons sur toutes les rues de Paris. Le pharmacien qui a imaginé un remède contre les engelures, devient maire et roule dans des carrosses à ressorts innombrables.
Je serai spécialiste, moi aussi...
Mais spécialiste de quel genre ? Là gisait le problème.
Notre homme passa successivement en revue les plus usitées de ces industries alimentaires.
A la fin, il cessa de chercher. Le choix était fait.

M.Y... avait résolu — tout simplement— de devenir professeur d’hottentot (une langue oubliée) au collège de France.
Je ne connais pas votre opinion à ce sujet, mais de prime abord, quand on m'a raconté cette histoire, j'ai estimé, moi, que c'était un trait de génie.
Savait-il donc le premier mot de cette langue qu'on ne parle que dans les banlieues très éloignées de Paris ?...
Allons donc !
Et c'était là précisément le mérite !

Mérite d'autant plus grand que M.Y... a réussi. Depuis des années déjà, M.Y... est installé dans une chaire de hottentot qu'on a créée exprès pour lui.
On lui a donné une salle spacieuse et aérée, sur laquelle s'ouvrent deux grandes fenêtres. En été, la fraîcheur y est délicieuse ; en hiver, un poêle chauffé administrativement y entretient une chaleur qui ferait illusion à des bananiers.
On ne peut voir un cabinet de travail plus exquis. Quel silence ! Quel recueillement !

M.Y... entre, s'assied, promène les yeux autour de lui pour bien s'assurer qu'il est seul, comme à l'ordinaire, puis commence à lire son journal, à expédier sa correspondance ou à écrire quelques vers d'une tragédie qu'il destine sournoisement à la rue de Richelieu (rue d’un théâtre connu à l’époque).
Le sujet en est hottentot...Naturellement… Dirait-il s’il devait se justifier.

Quand un bruit de pas résonne dans le corridor, M.Y... élève la voix pour avoir l'air de parler une leçon. Cela dure aussi longtemps qu'il faut pour que le bruit de pas s'éloigne, sans entrer, —ainsi que de raison.
Après quoi il reprend la suite de ses petites affaires.

Dans les premiers temps, M.Y... a eu pourtant quelques émotions, pendant le cours de ses leçons.
Des bruits étranges lui faisaient croire, à tout instant, à la présence de quelqu'un.
Arraché à sa tranquillité, il tressaillait, regardait autour de lui, malgré l'invraisemblance, et ne redevenait serein que pour être de nouveau mis en éveil par la même cause.
Mais il ne tarda pas à découvrir que les bruits étaient produits par des souris qui avaient élu domicile dans un coin de la salle.
Au bout de peu de jours, le professeur et les souris, également amis de la quiétude, vivaient en parfait accord, ce qui prouve l'intelligence de ces animaux.

Maintenant, M.Y... est au comble de ses vœux…
Les papiers publics ne l'appellent jamais que "l’éminent linguiste".
Chaque jour on l'invite à dîner pour le supplier, au dessert, de dire aux dames une galanterie en hottentot ; ce qu'il ne refuse jamais : c'est un si brave homme !

Une circulaire a récemment fait ressortir "aux yeux du peuple français l'influence des études hottentotes sur le développement des mœurs (…)"
Enfin, le jour de gloire est arrivé.

M.Y., qui ambitionnait la décoration, a rédigé un volume de 499 pages sur l’étymologie indo-germano-celto-gallo-étrusque d'un adverbe hottentot.
Il ne faut évidemment pas être manchot, avoir une grande finesse, pour lancer 499 pages in-folio sur un pareil sujet !...
Tel a été l'avis unanime.

M.Y... ne pouvait avoir d'envieux, puisqu'il n'a pas de rivaux.
On lui a prodigué des éloges qu'on aurait marchandés à un autre ; on n'a parlé, pendant un an, dans les revues de prose, que d'étymologies indo-germano-celto-gallo-étrusques…
M.Y au jour de l'an suivant, a reçu le ruban rouge pour services exceptionnels !
M.Y… est, sans conteste, celui des soixante de ma classe (…) qui est allé le plus loin.
Cela tout simplement parce qu'il a eu la noble pensée d'enseigner à autrui ce qu'il ne savait pas lui-même.
Convenez que le procédé était tentant.
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Rêvez le plus possible, ami lecteur.
La réalité peut enseigner à se procurer l'argent dont on a besoin.
Le rêve fait plus.
Il apprend à s'en passer.
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