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279 pages
Librairie Centrale (10/06/1866)
4.5/5   2 notes
Résumé :
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
On le sait, la postérité est ingrate avec les humoristes. Pierre Véron fut un pilier du journalisme humoristique sous le Second Empire, puis sous la IIIème République. Il incarna à lui tout seul l'esprit du célèbre "Charivari", dont il fut l'un des plus fameux rédacteurs avant d'en devenir le directeur. On lui doit près d'une cinquantaine d'ouvrages humoristiques de toute sorte, et tant de travail acharné sur une carrière qui s'étale sur plus de quarante ans ne lui a guère valu qu'un oubli précoce.
Pierre Véron, il est vrai, était un monument de légèreté grivoise, un humour caustique mais bon enfant qui reflétait l'insouciance et la puérilité réjouie d'une époque qui était trop belle pour durer, et qui s'est noyée dans le gouffre sanguinaire de la Première Guerre Mondiale. Pierre Véron n'aura pas assisté à cette fin, il mourut subitement chez lui un jour de novembre 1900, comme s'il pressentait qu'il ne serait plus à sa place dans ce siècle naissant de guerres féroces et d'idéologies fanatiques.
Car Pierre Véron était tout sauf un idéologue : il y a chez lui un esprit caustique qui annonce le post-modernisme, la célébration du dérisoire. Un "nonsense" à la française, c'est-à-dire peu soucieux de paraître élégant, jouissant de rire férocement de tout ce qui fait pleurer les gens. Pour appuyer l'efficacité de cet humour grinçant, Pierre Véron cultivait un style extrêmement épuré : phrases courtes, langage parlé et claquant, renvoi à la ligne après une ou deux phrases maximum, tout cela via un simplisme de feuilletoniste pour concierges qui reste pourtant très actuel : beaucoup de ses livres peuvent se lire comme une série de sketches à jouer sur scène. Loin d'un style verbeux, ampoulé, enrobé dans du velours comme chez Alphonse Allais, Pierre Véron cherche la punchline, la phrase qui tue, la conclusion qui se passe de commentaire. Même sa mauvaise foi ne se discute pas, puisqu'il la reconnaît volontiers. Il y a chez Pierre Véron quelque chose de ces ivrognes qui vous attrapent au comptoir et, pris d'une inspiration subite et d'une sympathie encombrante, vous débitent leur petite philosophie personnelle d'une voix mal assurée. Pour autant, Pierre Véron n'était pas lui-même un ivrogne, mais il avait compris tout le potentiel comique d'un ivrogne qui cherche à expliquer, à démontrer, à asséner une conviction ridicule ou douteuse, et qui, l'esprit embrumé par l'alcool, s'emmêle les pinceaux dans les arguments qu'il cherche à donner, ou choisit un exemple qui n'a aucun rapport avec le sujet.
C'était la principale tactique littéraire de Pierre Véron, mais il fut également un pasticheur qui préfigura, avec plus d'un siècle d'avance, l'humour des Monty Python : il aimait à rire de ce qui ne fait pas particulièrement rire, comme le pathos, la compassion, les secrets de famille, les déveines conjugales, les célébrités littéraires du moment, les drames politiques, en détournant des situations-types ou en balançant des phases incongrues au moment où le lecteur s'y attend le moins. C'est le cas notamment dans ce qui demeure son oeuvre la plus célèbre, « le Roman de la Femme à Barbe » (1863), l'histoire d'un de ces phénomènes de foire hélas courants jusqu'au siècle dernier, et que Pierre Véron présente comme la "success story" d'une artiste maudite dont on ne prend pas la barbe au sérieux, mais qui finira, par détermination et sacrifice, à mettre les puissants de ce monde "aux pieds de sa barbe".
Alors, me direz-vous, avec d'aussi bonnes recettes humoristiques, Pierre Véron est-il aussi drôle à lire aujourd'hui ? C'est une question difficile à trancher, d'une part, parce qu'aussi prémonitoires que furent ses recettes, elles apparaissent aujourd'hui bien éculées, tant de nombreux humoristes se sont engagés dans cette voie désormais bien représentée, et d'autre part, parce que toute forme d'humour se moque d'abord des travers de la société de son temps, dont les poncifs, les débats sociaux, les idées nouvelles ou au contraire rétrogrades n'ont plus beaucoup de pertinence quelques siècles plus tard. le français moyen du XXIème siècle n'est plus celui du XIXème siècle. On peut toujours stigmatiser la sottise de l'homme de la rue, mais cette sottise n'est plus tout à fait la même qu'il y a 150 ans. Les portraits de citoyens que croquent Pierre Véron sont pour nous des portraits d'inconnus, alors qu'à l'époque où l'humoriste les a signés, on pouvait aisément y reconnaître un voisin, un collègue de travail ou soi-même.
Enfin, l'humour de Pierre Véron se nourrit beaucoup d'allusions à des personnalités politiques ou artistiques, à des tableaux célèbres en leur temps, à des personnages de pièces de théâtre ou de chansons en vogue, dont les noms se sont perdus dans les méandres du temps. Certaines métaphores ne nous sont même plus compréhensibles aujourd'hui, même avec l'aide de recherches sur Internet. Par exemple, un personnage de ce livre est comparé à un type de "Prudhomme-Vampire". Difficile de savoir à quoi cela cela pouvait bien se référer…
En revanche, Pierre Véron demeure pour la postérité, et à quelque époque que ce soit, un aimable et astucieux plaisantin, qui ne fait pas mystère de son intention de nous embrouiller et de nous faire avaler des couleuvres, et il est aisé et fort distrayant d'entrer dans son jeu, même s'il ne nous arrachera pas non plus des fous-rires à se rouler par terre.
« Par Devant Monsieur le Maire » est une excellente occasion de découvrir le style particulier de Pierre Véron. le titre prétendument gaulois se veut juste une métaphore pour le mariage – mariage civil s'entend, car comme tous les amuseurs ou les artistes de théâtre et de music-hall, Pierre Véron rendait bien au clergé le mépris que ce dernier lui vouait, et ne parlait donc quasiment jamais de religion.
« Par Devant Monsieur le Maire » n'est ni un roman, ni un récit, mais une sorte d'essai prétendant démontrer la nullité profonde du mariage, par le biais de réflexions cocasses et surtout d'exemples-types, d'anecdotes censées être réelles, mais bien entendu imaginaires, ironiques et caricaturales, visant à prouver que le mariage est un poison, que l'amour qui en accepte l'enchaînement tourne rapidement en fiel, en haine, en tromperie ou en rancoeur; et qu'au final, la plupart des mariages ne sont que d'assez viles affaires d'argent ou de solitudes mal assorties.
Cette vision nihiliste et cynique n'est pourtant pas à prendre au sérieux, surtout de la part d'un homme qui s'est lui-même marié deux fois. L'idée est surtout de faire rire aux dépens d'une institution qui, en 1866, gardait encore dans la société une symbolique quasi-sacrée, souvent liée à une forme d'embourgeoisement ou de réussite sociale. Avec malice, tout en recourant à des exemples caricaturaux, Pierre Véron désacralise le mariage pour mieux s'en moquer, pour en faire voir les égarements et les hypocrisies, et surtout pour que chaque lecteur puisse apprécier le mariage pour ce qu'il est vraiment.
Au final, « Par Devant Monsieur le Maire » est donc d'abord une invitation déguisée à la vie de bohème, en opposant, à l'image sérieuse et bourgeoise du mariage, une opinion légère et perfide de jouisseur et de bon vivant, selon laquelle chaque heure de la vie doit être consacrée à l'amusement et au plaisir, fussent-ils éphémères et/ou moralement inconvenants.
Le mariage, selon l'auteur, c'est la vitrine de la société, et la société ne songe qu'à nous faire faire des choses absolument nobles et grandioses pour lesquelles nous ne nous sentons nullement inclinés, et qui nous ennuient profondément. Refuser le mariage, c'est refuser le devoir, c'est refuser la morale, c'est refuser l'embêtement d'une vie de contraintes.
Tout cela apparaît en filigrane dans ce petit livre sans prétentions, où Pierre Véron ne reproche rien d'autre au mariage que de n'avoir aucune affinité avec l'amour et le bonheur. Les multiples exemples donnés ici se veulent autant de preuves d'avilissements que de privations de libertés. Sans jamais inciter à la débauche, Pierre Véron stigmatise tout ce qui, dans le mariage, l'éloigne totalement de la débauche, ce qui était une assez subtile façon de contourner la censure bonapartiste, plus tolérante certes que la censure monarchiste sur la pluralité politique, mais volontiers intraitable sur l'incitation aux mauvaises moeurs. Tentateur mais sage, ne songeant en apparence qu'à critiquer le travail des maires de France, et non celui du clergé ou de la morale chrétienne, Pierre Véron délivre ici un message subliminal gentiment anarchiste et viscéralement hédoniste.
Tout cela, évidemment, semblera somme toute assez gentillet au lecteur contemporain, mais pour son temps, Pierre Véron était un fort habile funambule des mots, et la maîtrise de son art fera encore durablement nos délices de lecteurs avides de littératures insolentes.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Ce que la veuve dit tout haut, vu l'intempérance de langue qui est un des plus beaux ornements de son sexe, le veuf, lui le pense tout bas, vu la forte dose de prudence dont nous sommes doués, nous autres.
Mais si j'étais femme...
Si j'étais femme, tous les millions du monde ne sauraient me décider à épouser un veuf.
Qu'est-ce qu'un veuf, en effet ?
Un monsieur qui, par suite de combinaisons quelconques, en arrive un matin à offrir son coeur et sa main - Musique de Paul Henrion - à un être féminin non moins quelconque.
Ils vécurent heureux, - plaisons-nous à le supposer, - ils vécurent heureux jusqu'au jour où la petite vérole, une chute d'omnibus, une indigestion, la foudre ou une autre catastrophe vint troubler les félicités.
Désespoir !
Le monsieur, voyant son être féminin en danger de trépasser, s'arrache des poignées de cheveux, - formule inexacte mais consacrée ! - Arrachements absolument perdus !
Vous avez lu Malherbe ?

"Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre
Est sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend pas les rois."

Et caetera.
Si bien qu'un matin le monsieur qui s'arrachait les cheveux descend son escalier, soutenu par deux amis, - un de chaque côté.
La porte de la maison est tendue de noir. On a bien fait les choses. Des larmes d'argent à trois francs par-dessus les tentures. Quatre chandeliers d'argent de supplément. Un corbillard avec des franges longues de ça.
Tout le quartier est aux fenêtres. Tout le quartier. Pâle, abattu, la tête dans son mouchoir, le monsieur prend la tête du convoi.
J'abrège ces horribles détails. À fendre le coeur, monsieur, à fendre le coeur...
Huit jours après, le même monsieur est en conférence avec le marbrier :
- Monsieur veut-il une pierre couchée ?
- Heu ! Heu !
- Quel âge avait la défunte ?
- Hélas !
(Le monsieur essuie une larme attardée.)
- Je demande quel âge avait la défunte, parce que si c'est une jeunesse, la pierre couchée serait un peu sérieuse.
- Elle avait vingt-huit ans.
- Le bel âge... Alors il ne faut pas de pierre couchée...
- Un ange !
- Je vous crois.
- Que faut-il donc ?
- Un grand mausolée avec plaques de marbre blanc. Tout ce qui se fait de comme il faut...
- Ce luxe exagéré ne cadrerait pas avec les goûts de la pauvre chère regrettée... Elle était si simple...
(Un soupir profond.)
- En ce cas, monsieur, nous avons le petit parterre avec une croix en fonte ornementée de têtes d'ange aux quatre coins. Plus un entourage également en fonte ouvragée.
- On peut mettre une inscription tout de même ?
- Comment donc, monsieur ! Il y a place pour plus de cinquante lettres... Je vous en montrerai des modèles en magasin. Nous en possédons un assortiment varié... Des "Adieu, attends-moi !", des "Nous nous rejoindrons là-haut !", des...
- Je préfèrerais simplement "Regrets éternels".
- Comme monsieur voudra. C'est moins nouveau, mais c'est toujours bien porté. Il y a des modes comme ça - n'est-il pas vrai ? - qui ne passent jamais. C'est sans comparaison, de même que les chaînes de montre gourmette.
- Alors, c'est convenu... Des "Regrets éternels" peints.
- Convenu !
- À l'huile, bien entendu.
- Pour qui monsieur prend-il notre maison ?... Faudra-t-il aussi un porte-couronnes ?... Vous savez, au-dessus, pour empêcher que la pluie ne pourrisse le souvenir. Dame ! Pour ce qui est de ça, c'est selon ce que vous comptez faire subséquemment, parce qu'il est clair que si l'on n'a pas l'intention d'apporter des couronnes, il n'est pas besoin du...
- Vous en mettrez deux au lieu d'un... Et vous entretiendrez les fleurs que j'apporterai moi-même...
- Monsieur peut être tranquille.
- Je viendrai toutes les semaines... Plutôt deux fois qu'une, le jeudi et le dimanche... Soignez-moi tout cela, si vous tenez à garder la pratique.
- Comment donc monsieur... À une autre fois !

Ce dialogue, pure nature, terminé, le monsieur rentre chez lui, mais non pas avant d'être allé donner un dernier coup d'oeil au tertre sous lequel gît la dépouille de l'être féminin qui... (Voir plus haut).
Six mois après, c'est avec un tailleur qu'il est en conférence pour la confection d'un habillement complet, paletot, pantalon et gilet pareils.
Il s'agit d'avoir ce costume pour le jour de l'Ascension, jour où il doit être présenté à une jeune personne charmante dont les parents ne veulent donner leur fille qu'à un homme mûr...
Un an plus tard, le monsieur convole de nouveau, et la croix de fonte ouvragée se rouille dans la solitude.
Supposez maintenant que la jeune fille charmante décède à son tour, on en sera quitte pour recommencer la scène précédente. Elle aura sa croix et sa rouille, elle aussi.
Voilà ce que c'est qu'un veuf. Aussi je le réitère :
Ah, si j'étais femme !....
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Balzac comptait vingt-trois causes de mariages déterminantes :
- L'ambition... cela est connu;
- La bonté, pour arracher une fille à la tyrannie de sa mère;
- La colère, pour déshériter des collatéraux;
- Le dédain d'une maîtresse infidèle;
- L'ennui de la délicieuse vie de garçon;
- La folie, c'en est toujours une;
- La gageure, c'est le cas le plus rare;
- L'honneur, comme Georges Dandin;
- L'intérêt
- La jeunesse;
- La laideur, en craignant de manquer de femme un jour;
- Le machiavélisme, pour hériter promptement d'une vieille;
- La nécessité, pour donner un état à un fils;
- L'obligation, la demoiselle ayant été faible;
- La passion, pour s'en guérir plus sûrement;
- La querelle, pour finir un procès;
- La reconnaissance, c'est donner plus qu'on a reçu;
- La sagesse, cela arrive encore aux doctrinaires;
- Les exigences testamentaires; quand son oncle grève son héritage d'une fille à épouser;
- La vieillesse, pour faire une fin;
- L'usage, à l'imitation de ses aïeux;
- Le zèle, comme le duc de Saint-Aignan qui ne voulait pas commettre de péché.
Aujourd'hui, les vingt-trois motifs de Balzac se réduisent à peu près à un seul.
De haut en bas de l'échelle, M. "Combien" épouse mademoiselle "Qu'a-t-elle ?".
Nous avons benoitonné tout cela.
La théorie conjugale de 1866, elle est tout entière résumée dans les mots d'un papa Très-Bien.
Il s'agissait d'unir une pauvre jolie fille avec un financier qui comptait, hélas, plus d'années encore que de centaines de mille francs.
Les parents de la jolie fille - que nous appelerons mademoiselle X. - traitaient leur futur gendre.
Celui-ci au dessert - emporté par une habitude que son âge expliquait sans la justifier - laisse retomber sa tête sur son épaule et cède à un sommeil intempestif.
Un des invités, choqué de cette familiarité, se penche vers le papa Très-Bien, un gratte-liard endurci qui trouvait qu'il faisait une affaire superbe en accouplant les dix-huit printemps de sa fille aux rhumatismes du sexagénaire, et lui désignant le fiancé somnolent :
- Voyez donc... Vilain présage pour l'avenir, fit l'invité ironique.
- Chut, mon ami, fit M. X. avec une sévérité majestueuse, ne plaisantez pas. C'est de l'argent qui dort.
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