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300 pages
Michel Lévy frères (01/01/1875)
5/5   2 notes
Résumé :

I. Sagesse à refaire
II. Les Couronnes
III. La Semaine des quatre jeudis
IV. Entre Chiens
V. Un Nocturne de cabinets
VI. Nos Ennemis
VII. L'Enquête de ces dames
VIII. Poliphème Tardivet
IX. Éloge de la pluie
X. La Chiromancie de salon
XI. En Loge
XII. Le Robinson des Batignolles
XIII. In Vino
XIV. Le Vieil almanach
XV. Emplois de la journée
XVI. Mon Meill... >Voir plus
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Je suis las de ma vie, morne et monotone. Des appointements modestes, un médiocre appartement au quatrième sur l'ancien boulevard extérieur avec la vue sur le quartier des abattoirs, une femme de ménage et pas d'amour, — c'est trop peu.

J'ai soif d'aventures.

Je veux m'embarquer à la recherche de choses merveilleuses et imprévues. Il me faut des émotions, des commotions, des impressions. Ma vie n'est pas une vie ; je ne suis qu'un mollusque. En route !

Je m'achemine vers les Champs-Élysées, et là, je jetterai l'ancre dans le premier cœur situé qui se rencontrera.

Vogue la galère, et que le ciel me protège !

La traversée n'avait rien offert de très particulier jusque-là.

À la hauteur des chevaux, j'avais été éclaboussé par un cocher de fiacre qui avait profité de la circonstance pour me cribler d'injures.

Au rond-point, un cheval a failli me renverser. J'ai failli du même coup renverser le cavalier du cheval. Partant quitte. Au reste, rien de ce que je cherchais.

Soudain, à la hauteur de la rue Marbeuf, — j'ai aperçu un point sombre à l'horizon. C'était une femme qui cheminait devant moi. Quelle démarche houleuse ! Quel frémissement de soieries !

J'ai aussitôt tourné le cap vers elle, et au même instant, la tempête a commencé à se déchaîner. Tempête d'amour dont les yeux fournissaient les éclairs. J'essayais de lutter contre le courant qui m'entraînait. Je me cramponnais à des débris de volonté ! Peine perdue ! Une heure après, j'avais — dans les parages du Château des Fleurs — échoué en plein cœur de mon inconnue.

Le premier moment d'étourdissement et d'éblouissement passé, j'ai commencé à chercher à m'orienter dans mon nouveau séjour. Toutefois, ne sachant trop comment me reconnaître dans mes investigations, j'ai eu recours à quelques explorations adroites. Bien ! Un cœur parfaitement désert ; merci, Seigneur ! Mon rêve va donc s'accomplir !

Il s'agit de me montrer digne de la faveur que me fait le ciel et d'être à la hauteur de la circonstance !
Un cœur où il n'y a personne !... c'est admirable !
Je pourrai y cultiver les goûts que je voudrai, disposer, tailler, rogner, semer des plates-bandes d'illusions.
Moi, d'abord, je n'aurais pas pu supporter la vie à côté d'autrui. Je veux être seul possesseur du cœur où je régnerai.

Le cœur de Clara est vraiment un séjour enchanteur. On y entend gazouiller toutes sortes de chansons printanières, toutes sortes de serments délicieux !

« Si je t’aime, Adolphe !... À toi, pour la vie !... Et toi, m’aimes-tu ?... Ô mon adoré ! »

Que sais-je ?...

Les gazouillements durent du soir au matin. Et moi, je me laisse bercer à ces bruits charmants. Je n’ai même plus la force de travailler... Ma foi, tant pis pour le travail !

Et mon oncle ? Mon oncle, dont je dois soigner l’héritage, et qui est si à cheval sur la morale !

S’il allait apprendre que son neveu est domicilié dans le cœur d’un ange d’ici-bas ! La considération de l’ange ne l’arrêterait pas. Il serait capable de me déshériter pour mon manque de principes.

Je vais écrire à cet homme d’âge pour détourner ses soupçons.

« Mon cher oncle, ne vous étonnez pas de ne pas me voir et contentez-vous de recevoir de mes nouvelles. Je suis en voyage pour mon administration. On m’a envoyé explorer des terrains gypseux sur lesquels on doit faire passer une nouvelle ligne de chemin de fer... Dès mon retour, je tomberai dans vos bras. »

Voilà qui est fait !...

Depuis que j’ai écrit à mon oncle, j’ai réfléchi. Tôt ou tard, il finira par savoir le naufrage de ma vertu dans le cœur de Clara. Et alors !... Pour détourner les conséquences de cette révélation, je ne vois qu’un moyen... Oui, parbleu ! C’est décidé. Je vais écrire de nouveau à mon oncle pour lui faire part de mon prochain mariage avec Clara. C’est encore la meilleure manière de m’assurer la possession de mon domaine à tout jamais.

Horreur et mystère ! Au moment où, plein de sécurité, je me laissais aller à tous les rêves, au moment où je jouissais en paix d’un bonheur que je croyais sans nuages, au moment où je me disposais à réinstaller par un mariage pour le restant de mes jours... je le répète : Horreur et mystère ! Ce matin, en scrutant un coin du cœur de Clara que je n’avais pas encore exploré, j’ai découvert... J’en suis tout tremblant !... J’ai découvert des vestiges humains. Un autre homme a pénétré dans ce cœur... Quel était cet homme ?

J’ai suivi la trace de son souvenir pendant un certain temps... Au-delà, plus rien. C’est alors qu’il aura rejoint Clara !... Je suis bien malheureux.

Mais c’est scandaleux, infâme, abominable... Ce n’est plus un seul rival qui m’a précédé... Ce sont plusieurs rivaux ! En poursuivant mes investigations, j’ai acquis la certitude que j’avais été effroyablement trompé. Sapristi ! nous allons avoir une explication !

Ouf ! je n’en puis plus. L’explication... Merci !... Moi qui croyais... je ne me doutais pas que j'allais sur un volcan.
Dès ma première tentative de reproches, l’éruption a commencé.

Les épithètes pleuvaient, la colère bouillonnait, les gros mots débordaient comme une lave. J'essayais de me raccrocher à des excuses !... Impossible.

De sorte que, secoué, abîmé, désillusionné, je suis resté étendu sur le rivage. Un de mes amis qui passait m'a recueilli.

« Maudite Clara ! »

J'ai réfléchi depuis. Il faut être fou pour courir à notre époque après les aventures. Quant à moi, j'en suis dégoûté à jamais. Pour faire une fin, je suis capable d'épouser ma femme de ménage. Car j'en ai acquis la certitude...

À notre époque, il n'y a pas plus de cœurs déserts que d'îles désertes. Tout ce qui est habitable est habité !...
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J'ai lu l'histoire des oppresseurs célèbres, mais jamais, j'ose l'affirmer, il n'exista un despote aussi complet que celui dont je veux vous entretenir.
Néron, Caligula, Denys, Héliogabale et cent autres encore fusionnés ensemble ne sauraient aller à la cheville de ce tyran-là. Au reste, vous allez en juger vous-mêmes par les indications véridiques qui vont suivre.

Les célébrités de l'autocratie dont j'énumérais les noms tout à l'heure n'exerçaient leur domination arbitraire que sur une partie du globe : le tyran dont j'entreprends de crayonner le portrait exerce la sienne sur toute la surface de la terre ; tout plie devant lui, ses fantaisies sont des ordres, ses caprices des décrets.

Et pourtant, chacun sait combien il est déraisonnable.

Ne connaissant d'autre règle que son bon plaisir, sacrifiant tout à ce qui l'amuse, sans pitié pour ce qui lui déplaît ou l'ennuie, il ne tient compte, dans ses colères soudaines et dans ses réclamations irréfléchies, ni des services, ni des affections, ni des dévouements.

Ce n'est pas à un pareil gaillard qu'il faudrait aller parler de gouvernement constitutionnel. Des conseils, il s'en rit. Moins il sait, plus il a de confiance en lui-même.

Pour ce qui est de l'intérieur, il semble se faire une science du désordre. Bouleversant le lendemain ce qu'il édifia la veille, jetant sans cesse la perturbation, se levant avec une idée pour se coucher avec une autre, il rend toute organisation impossible.

En ce qui concerne les finances, c'est bien autre chose encore. Il faut que tout converge vers lui ; tant pis pour les budgets que déséquilibrent ses lubies ! Quand il a dit : "Je veux", on doit répondre : "Ainsi soit-il." Sans quoi, vous verriez comment il prendrait la chose.

Pour les relations extérieures, le tyran dont je parle n'est pas moins absurde, un signe de lui et voilà souvent la guerre allumée ; un signe de lui et il met aux prises des gens qui s'aimaient et vivaient en parfaite intelligence depuis de longues années.

Car, à l'instar de la plupart des tyrans, il a un goût prononcé pour les engins belliqueux. Il adore les mises en scène de bataille, les panaches, les tambours, les fusils.
A tel point qu’il passe souvent des journées à répéter la même manoeuvre. C’est presque une monomanie. Pas plus, d’ailleurs, en ceci qu’en autre chose, il ne raisonne. Toujours et partout, c’est son instinct qui l’entraîne. Tant pis pour le sens commun. Sa constitution ne se compose que d’un seul et unique article : « tous les citoyens sont égaux devant ma domination. » contents ou non, obéissez.

On n’a souvent parlé des excentricités de costume auxquelles se sont livrés certains despotes fameux.
Soulouque (empereur d'Haïti), par exemple, fut un des modèles du genre avec ses plumets invraisemblables, ses tuyottes à l'écère cerclées d’or…
Le d’argent-tyran dont nous esquissons la physionomie va encore plus loin en fait d'originalités et de monstruosités. Ces derniers temps surtout, c'est un débordement effréné de toilettes folles.
Quels affublements, mon Dieu !
Le rouge, le blanc, le vert, le jaune, se livrent sur sa personne des hiatus horrifiants. Le beau, c’est le laid pour lui.

À dire vrai, ce n'est pas absolument sa faute, c'est plutôt la faute de ses concitoyens. Il en a, en effet, toute une cohorte, tout un peuple. C'est à qui, parmi ceux-ci, s’extasiera sur le charme des travestissements ridicules que nous indiquions.
C’est un choeur perpétuel :
« Qu’il est bien, qu’il est beau ! »
Comme ce pourpoint abricot lui sied à ravir ! Que cette toque à plumes tricolores couronne agréablement son chef !

Ces flatteries ne contribuent pas peu à fausser ce que le tyran pourrait avoir de sens commun. Car ce ne sont pas seulement ses toilettes que l’adulation applaudit sans vergogne.
À peine le tyran a-t-il ouvert la bouche, fut-ce pour dire une monstrueuse bêtise, que la bande des claqueurs toute entière avec des intonations idolâtres :

« Mais c'est charmant. Plein d'esprit ! Comment fait-il pour mettre autant de sel dans ses moindres mots ? »

Là-dessus, les gazettes, car la presse est naturellement aussi à sa dévotion, de s’en aller colporter avec amour telle ou telle réplique absolument idiote.

On fait mieux. Lorsque le tyran ne dit rien, on lui fabrique des mots qu'ensuite on propage en les lui attribuant. Et les claqueurs applaudissent toujours.

Mais, me direz-vous sans doute, un aussi absolu tyran ne pourrait longtemps maintenir son pouvoir ; c'est précisément là ce qui vous trompe. Ce pouvoir est si solidement établi qu'il défie à présent toutes les révolutions.
Les autres tyrans, tôt ou tard, expient leurs excès ; celui-ci semble consolidé par les siens.
Il y a bien ça et là quelques tentatives de révolte, mais sitôt comprimées ! Leurs auteurs sont les premiers à faire leur soumission et à venir demander pardon de leur irrévérencieuse tentative.

Les hommes les plus éminents, les savants les plus illustres, les génies les plus incontestables, plient humblement l'échine devant le tyran ; on a même vu (ceci est historique) des rois se mettre à quatre pattes devant lui.
Racine, dit-on, mourut du chagrin que lui avait causé un regard de Louis XIV ; de même, j'ai rencontré un vieillard, aussi recommandable par le talent que par le caractère, qui pleurait presque lorsque le tyran n'avait pas daigné lui sourire depuis deux jours.
Il y a, en effet, ceci de particulier, que c'est une tyrannie que l'on aime, au-devant de laquelle on court, et que ceux qui n'ont pas subi encore appellent de tous leurs vœux !

C'est un monstre, ce tyran ! Il a tous les défauts dont je vous ai donné une faible idée, il en a bien d'autres encore.
Comme un Vitellius, il est l'esclave de sa gourmandise ; comme un Théodorus, il est l'esclave de sa colère. Il est entêté, ignorant, dissimulé, tapageur, querelleur, vindicatif... J'épuiserais presque la kyrielle entière des épithètes défavorables.
Mais, à côté de ces défauts ou de ces vices, réside en lui je ne sais quel attrait magnétique qui fait qu'on ne peut résister. Malgré soi, on se sent prêt à mourir pour le sauver, et l'on a peine à comprendre comment l'on pourrait lui survivre.
Jamais, on peut l'affirmer, aucun autre souverain n'inspira de sentiments aussi profonds et aussi vrais. Ce ne sont pas ici des tendresses officielles à la formule banale, c'est un dévouement universel. Dans les moments même où l'on se prend à maudire le tyran, dans les moments même où les injustices indignent le plus, on se donne à soi-même des raisons pour l'excuser et pour le chérir davantage.

Et pourtant, il ne distribue, celui-là, ni places, ni rubans, ni dignités, ni sinécures, ni titres de noblesse, ni dotations. Il faut, sans cesse, lui donner, au contraire, pour ne recevoir souvent en échange que de l'ingratitude.

N'importe !

Il faut croire que celui-là est vraiment un souverain de droit divin, puisque personne ne songe à se soustraire à sa domination !

Je vous entends d'ici me demander dans quelle partie du monde règne et gouverne le tyran en question.

Je vous l'ai dit déjà : Partout ! En Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, en Océanie. Il a réalisé, le gaillard, l'unité de gouvernement rêvée par les utopistes.

Vous haussez les épaules et vous semblez me prendre pour un fou ou pour un mystificateur.

Ni l'un, ni l'autre. S'il faut vous le dire et si vous ne l'avez deviné, le tyran charmant et abominable, adoré et maudit, s’appelle le « Roi bébé »
C’est l’enfant devant qui, tous, tant que nous sommes, nous nous troublons, nous faiblissons ; l’enfant dont les décrets ayant force de loi sont promulgués par un regard ; l’enfant dont nous sommes les très-humbles, très-fidèles et très obéissants serviteurs et sujets.

Cette formule consacrée qui sonna faux bien souvent n’est ici, je vous l’assure, que l’expression de la réelle réalité.

Dieu nous le garde longtemps, le tyran !
Qu’il continue à son gré à faire la pluie et le beau temps, le soleil et les ténèbres, la tristesse et la gaieté. Qu’il continue à improviser, à sa fantaisie, des terreurs blanches et roses qui ont ceci de particulier que c’est pour sa tête seule que nous tremblons.

Et maintenant, voulez-vous que je vous dise pourquoi, à l’encontre de toutes les autres, cette tyrannie-là ne nous révolte pas ?
C’est qu’avant de la subir nous l’avons exercée.
Vive le tyran !
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