« [I]l se demande comment il se sentirait s'il vivait à Sunnylakes et qu'il devait faire face à une journée parfaite de plus, enfermé dans sa cuisine parfaite, attendant que ses enfants parfaits soient couchés afin que son mari parfait puisse lui en faire un autre. […] Cette maison est bizarre. M.
Haney, sa mère et Mme Ingram, ils sont tous, comme… – du plastique, dit Joseph. Des mannequins dans une vitrine. Des simulacres. » ● En cet été 1959, à Sunnylakes, une banlieue de Los Angeles, on se croirait presque dans le Truman Show tant tout est parfait : les pelouses bien taillées, les vastes maisons enfouies dans les arbres, les belles voitures qui attendent dans l'allée… Mais ce décor à la Wysteria Lane cache des réalités bien moins belles, et notamment des femmes sous médicaments qui assument toutes les charges domestiques, aidées par des bonnes noires exploitées. Joyce
Haney, qui est apparemment une heureuse mère de famille, disparaît soudainement en laissant derrière elle ses deux petites filles, Barbara et Lily, et une grosse trace de sang dans la cuisine. Que s'est-il passé ? Son mari Frank est-il impliqué ? le détective Mick Blanke, un transfuge de la police de New York à la réputation sulfureuse, va devoir enquêter. ● C'était le temps tant honni où le mâle blanc cisgenre dominait tout et pouvait presque tout se permettre. Dans le quartier de Sunnylakes, les femmes, blanches, ne pensent qu'à s'apparier à un homme et à fonder une famille pour pouvoir se conformer à ce qu'on attend d'elles – être piégées dans des rôles domestiques. de l'autre côté, la communauté noire doit subir un racisme exacerbé et une exploitation éhontée qu'il est aujourd'hui difficile de lire tant c'est choquant. ● La construction du récit m'a paru bien maîtrisée, engendrant un suspense qui fait tourner les pages. Il y a une belle tension narrative même si parfois les fausses pistes sont explorées de façon un peu trop longuette. ● Les personnages sont quelque peu caricaturaux ; l'inspecteur de police semble dénué de la moindre jugeote, tandis que Ruby, elle, comprend tout très vite. le contraste est évidemment voulu, mais il m'a paru manquer de nuances. Ne parlons même pas du chef de la police Murphy, qui, lui, est un stéréotype sur pattes, passant son temps à engueuler Mick. ● La fin m'a semblé clownesque. Elle tire le roman vers le bas. ● A la fin on se demande ce qu'a voulu faire l'autrice : un roman dénonçant la société américaine des années cinquante (et, j'imagine, ses répercussions aujourd'hui) ? Un roman policier ? Les deux, sans doute, mais pour un premier roman elle court trop de lièvres à la fois. ● Et que dire de ce que se sent obligée d'ajouter l'autrice dans une « Note » finale pour se conformer à l'évangile woke et éviter l'accusation honteuse d'« appropriation culturelle » : « Je suis douloureusement consciente qu'en tant que Londonienne blanche d'origine germanique, j'ai fait un choix critiquable en imaginant un tel personnage [Ruby, la bonne noire]. » Comment pourrait-on écrire de la fiction en s'interdisant d'imaginer certains personnages ? L'adverbe « douloureusement » me paraît si hypocrite, si lèche-bottes…