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Citations sur Les loups (82)

Depuis quatre ans qu’il est en poste à Kiev, Ivanov a appris à mépriser autant qu’à craindre ce peuple ukrainien dissipé et brouillon. Après une carrière chez les sauvages d’Asie centrale, il a pris ce poste prestigieux et sensible plein d’illusions : à Moscou, espions et diplomates sont formés dans l’idée que les Ukrainiens ne sont que de vagues cousins dégénérés à qui il convient de taper régulièrement sur le crâne pour leur rappeler les bonnes manières. L’ambassadeur a vite déchanté. Ses hôtes se sont révélés pires que des Latins. Individualistes, besogneux, mais frondeurs et jaloux de leur indépendance, capables de brusques réveils grincheux. Gare alors à celui qui est aux commandes du pays ou à celui contre qui est dirigée leur colère.
Les oligarques ukrainiens sont le reflet de cette mentalité de cosaques. Perpétuellement en guerre, prêts à des coups de poker insensés, voire à guerroyer contre le pouvoir politique quand ils ne cherchent pas à le conquérir. Leurs homologues russes leur ressemblaient, dans les années quatre-vingt-dix, avant que Vladimir Poutine ne leur passe la bride au cou. Depuis, à côté des Ukrainiens, les Russes font pâle figure – soumis au chef, sans cesse rappelés à l’ordre par de simples officiers du FSB, les services de sécurité, et parfaitement conscients que leur fortune peut s’évaporer sur un claquement de doigts au Kremlin.
Ce paysage bigarré rend distrayantes les missions secrètes d’Ivanov. Les services russes ont le champ libre en Ukraine. Dès l’indépendance, le FSB et son homologue de l’armée, le GRU, ont infiltré le renseignement, l’armée, le business et même les milieux nationalistes ukrainiens. Les agents russes sont capables de recruter un tueur en vingt minutes dans le moindre village de montagne. Mais faire s’affronter entre eux les locaux est bien plus efficace et gratifiant. C’est presque un jeu d’enfants, tant ceux-ci aiment s’entre-dévorer ou concevoir des combines tordues contre les uns ou les autres.
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Tout doit être fait de façon irréprochable et l’ambassadeur connaît la susceptibilité de ses clients ukrainiens. Rustiques dès qu’ils sont entre eux, cassants avec ceux d’un rang inférieur, les oligarques [ukrainiens] exigent les plus grands égards dès lors qu’ils côtoient des étrangers. Particulièrement les Russes.
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À Vienne, le russe fait office de deuxième langue officielle, derrière l’allemand un peu pâteux que pratiquent les derniers natifs de la ville. Dès le début des années quatre-vingt-dix, les Russes ont fondu sur la capitale autrichienne, qui, comparée aux métropoles sauvages qu’ils laissaient derrière eux, faisait figure de rassurante maison de poupée. Venus en touristes ou en exilés, ils sont restés. Dans le quartier populaire d’Ottakring, le russe se mêle au turc, au serbe, à l’arabe. Dans le centre historique huppé, il voisine avec l’anglais.
Les Russes ne sont pas les seuls à avoir colonisé Vienne. Toutes les langues de l’ex-URSS s’y font entendre. Les mercenaires de Ramzan Kadyrov y donnent la chasse aux réfugiés politiques tchétchènes. Les Azéris ont noyauté les organisations internationales installées là, distribuant leurs valises de billets aux fonctionnaires internationaux. Les oligarques kazakhs en disgrâce cohabitent avec les officiels d’Astana qui cherchent à les descendre.
Les Ukrainiens ne sont pas en reste. Les rustiques gars de l’Ouest vendent leurs bras dans la construction, regagnant Lviv, Ivano-Frankivsk ou Tcherniguiv après avoir amassé un pécule suffisant pour construire le deuxième étage de leur maison. Les ballerines de Kiev peuplent les travées de l’Opéra. Les prostituées arrivent de Donetsk, de Kharkiv, d’Odessa. Les touristes, eux, viennent s’essayer à la douceur de la vie occidentale et se faire des frayeurs aux premières loges de l’invasion musulmane. Dans cette faune post-soviétique, personne ne voue un attachement plus profond à l’ancienne capitale impériale que les oligarques ukrainiens. Ils y éprouvent la sensation rassurante d’être protégés par le calme délicat de cette ville en déclin. Certains éprouvent peut-être l’espoir secret de voir se déverser sur eux une partie du prestige attaché aux vieilles et dignes pierres du centre. Le plus déterminant est l’accueil enthousiaste qui leur est réservé. Les banquiers et les avocats viennois peuvent se prévaloir d’une longue tradition de coopération avec les hommes d’affaires de l’Est ou des Balkans. Les banquiers, comme les maîtres d’hôtel ou les chauffeurs de taxi, y font preuve de cette déférence discrète qui semble vous rappeler en permanence que vous vous trouvez dans un pays de culture ancienne, supérieure à la vôtre, mais où l’on sait se mettre à votre service au nom d’intérêts bien sentis. Si ces intérêts comportent plusieurs zéros, vous aurez même droit à quelques courbettes.
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Depuis longtemps, ses goûts et ses envies ne comptent plus. Sa personne ne compte plus. S’il le fallait, si cela pouvait affermir sa position, elle irait se faire sucer avec les VIP dans les salons privés. Ce soir plus que tout autre, elle s’efface, elle n’existe plus. Ceux qui verraient là un sacrifice se trompent. Pour renaître, elle doit disparaître. Elle n’est plus un corps, plus un esprit, plus une femme ; elle n’est plus qu’un miroir dans lequel se reflète le pouvoir. Chacun, en la contemplant, doit trembler de crainte ou sourire d’ébahissement. Oublier la femme, oublier même la Chienne, ne voir que la Présidente.
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C’est à la vulgarité qu’on jauge le pouvoir, se dit-elle en regardant la fille balancer ses jambes dans une belle harmonie. Il n’y a que ces Européens arriérés pour croire que le luxe se mesure au silence feutré et au moelleux des fauteuils. Des coqs privés de griffes, des enfants gâtés engoncés dans leur timidité qui ont oublié une chose : le luxe est un combat, une victoire, qu’il convient de célébrer avec bruit et fureur. Avec du champagne et de la vodka, pas avec de la camomille.
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La politique est affaire de symboles : un pas en arrière, c'est une armée qui recule ; une génuflexion, tout un pays qui se fait vassal.
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L’ambassadeur a vite déchanté. Ses hôtes se sont révélés pires que des Latins. Individualistes, besogneux, mais frondeurs et jaloux de leur indépendance, capables de brusques réveils grincheux. Gare alors à celui qui est aux commandes du pays ou à celui contre qui est dirigée leur colère.
Les oligarques ukrainiens sont le reflet de cette mentalité de cosaques. Perpétuellement en guerre, prêts à des coups de poker insensés, voire à guerroyer contre le pouvoir politique quand ils ne cherchent pas à le conquérir. Leurs homologues russes leur ressemblaient, dans les années quatre-vingt-dix, avant que Vladimir Poutine ne leur passe la bride au cou. Depuis, à côté des Ukrainiens, les Russes font pâle figure – soumis au chef, sans cesse rappelés à l’ordre par de simples officiers du FSB, les services de sécurité, et parfaitement conscients que leur fortune peut s’évaporer sur un claquement de doigts au Kremlin.
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Peu à peu ses affaires ont gagné en organisation et en professionnalisme. Au lieu de ployer sous des ballots de plastique, elle remplissait les coffres de vieille Lada. Elle payait désormais le voyage d’autres femmes vers la République tchèque, l’Allemagne, en quête de nouvelles raretés et de ces jeans que la jeunesse et les nouveaux riches s’arrachaient. Valéri la regardait faire avec effroi, s’enfonçant encore un peu plus à mesure que sa femme sauver sa peau, s’élevait au dessus du mouroir. Le pays qu’il voyait naître dans les yeux d’Olena n’était pas celui qu’il avait imaginé, attendu, pas celui que lui promettait les articles qu’il lisait à la fin de la décennie précédente. Il condamnait ses combines minable, amorales, mais n’était même pas capable de sortir de l’appartement.
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Les Russes ne sont pas les seuls à avoir colonisé Vienne. Toutes les langues de l’ex- URSS s’y font entendre. Les mercenaires de Ramzan Kadyrov y donnent la chasse aux réfugiés politiques thétchènes. les Azéris ont noyauté les organisations internationales installées là, distribuant leurs valises de billets aux fonctionnaires internationaux. Les oligarques kazakhs en disgrâce cohabitent avec les officiels d’Astana qui cherchent à les descendre.
Les Ukrainiens ne sont pas en reste.
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La fille est suivi par quatre serveurs en costume blanc étincelant. Son travail à elle est de rouler du cul dans un pantalon de cuir, le leur est de ressembler à des matelot de « La croisière s’amuse ». Elle sans doute mieux payée qu’eux, d’ailleurs. Quelques centaines de dollars. C’est donc que les choses sont en ordre, à leur place. L’argent est le meilleur étalon, le plus incontestable des ordonnateurs. Pas un des convives ne songerait à remettre en question cette simple vérité
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