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Critique de 4bis


4bis
05 février 2024
Recevoir un recueil de poésie, c'est comme ouvrir sa porte à qui demande à être ami.

Dans son avant-propos à La Matière-émotion, livre tant aimé et tant lu que je l'ai sans doute fait moi, Michel Collot écrit « L'émotion n'est pas l'état intérieur d'une belle âme ; elle ne prend corps qu'à travers la substance des choses et des mots : « le sentiment, comme tu le sais, est enfant de la matière ; il est son regard admirablement nuancé » (René Char, le rempart de brindilles, Les matinaux, Pléiade, 1983, p 360) le sujet lyrique ne repose pas en lui-même comme une entité psychique autonome ; il n'existe qu'à s'incarner dans une langue et dans un monde. »

C'est cela que je reçois quand je lis des poèmes : la trace d'un je incarné dans une langue et un monde, la « mise en oeuvre simultanée de l'émotion et de la matière verbale. »

La joie des hirondelles est un petit recueil qui travaille ainsi les mots. « Tendre Beaujolais » chante l'amour, les vignes, le paysage et le désir. « Dans un étau de vie aux confins mordorés / Mes yeux ensemencent un pauvre coeur arable ».

« Amant de la ville Amoureux de la campagne » reprend le chemin buissonnier de Rimbaud, la passante de Baudelaire peut-être aussi, van Gog et ses nuits étoilées, déambule dans une nuit urbaine où se mêle l'humus, aspire à une danse passionnée et furieuse avec la rue.

« Aux quatre vents » esquisse la « Ritournelle catatonique des luttes contre l'au-delà de soi » pour déplorer, cynique ou désabusé finalement, le « Hoquet d'une société au mouvement spasmodique ».

« Initiation au voyage » est comme un condensé des Fleurs du mal, de son initial « Au lecteur » où nous sommes consacrés « frère » du poète, à la cloche fêlée, au phare et aux réminiscences d'une « douce langue natale » de « L'invitation au voyage ». Plaisir tout intellectuel de saisir les allusions, de lire sous ce texte le palimpseste qui lui confère ses couleurs.

« Pthar », insecte, hapax ou prophète ?, grand poème de sept sections, tisse les résonnances bibliques en des accents incantatoires rappelant les Vents de Saint-John-Perse. « Les vipères discrètement vitupèrent les grands calculateurs. / Dans la discorde sourde et muette, en entend tonner les alarmes célestes ». C'est là qu'on y trouve le « Vol des rigolardes hirondelles ». Une forme de grandiloquence dans le dernier vers aussi.

Plaisir et joie de la découverte donc et néanmoins, c'est peut-être de l'addition de ces minuscules moments où j'ai eu l'impression qu'on voulait sursignifier que mon étreinte avec le texte s'est desserrée. Dans cette volonté de Gribraïl Vlahovic d'être, ainsi que le souligne la courte biographie sur le rabat de la couverture, « engagé dans l'écriture comme dans la société, […] dans la vie comme dans un combat, celui qu'il mène contre l'immobilisme et l'inertie. » Moins de combat, moins d'engagement militant, moins de formalisme, d'académisme parfois et plus de matière-émotion, voilà ce qui m'aurait mieux convenu.

Mais cela n'est qu'une lecture et La joie des hirondelles en provoquera nul doute bien d'autres. Chacun pourra trouver dans la vingtaine de propositions en vers que constitue ce livre, l'occasion de se perdre, de se laisser emporter par la musicalité et l'étrangeté des tournures dans un monde de résonnances et d'échos.

Ouverture vers l'ailleurs de chacun, célébration d'un mouvement vital, tissage avec des livres de la Bible et bien des oeuvres poétiques passées, La joie des hirondelles propose au lecteur de résonner à son empreinte sur le monde. Pourvu que nombreux soient ceux qui répondent à cet appel !

Merci à Babelio et aux éditions L'échappée belle de m'avoir fait découvrir ces textes à l'occasion d'une masse critique non fiction.
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