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Critique de Dandine


David Vogel (prononcer Foguel) est l'ecrivain le plus atypique des lettres hebraiques de la premiere partie du XXe siecle. le seul a avoir produit – et reussi – un amalgame d'ambiance urbaine europeenne, de bouillonnement decadent et pourtant plein d'espoir, de personnages passionnes, frenetiques, sans aucun rapport a un quelconque sionisme, et cela en un hebreu vivant, petillant, allege de toutes charges provenant d'anciennes et sanctifiees ecritures, un hebreu seculier, laic, modernisateur.

Comment un ecrivain pareil aurait pu etre publie? Il ne l'a pas, ou tres peu, ete en vie ( La vie conjugale, par exemple, n'avait rien vendu a l'epoque). Des dizaines d'annees apres sa mort on deniche ses manuscrits dans des archives, on les edite, et un nouveau lectorat l'acclame. Ce petit opus n'a ete decouvert qu'en 2009, 65 ans apres son assassinat a Auschwitz.


Il y est question d‘un jeune homme, arrive a Vienne de son shtetl galicien, decide a flamber la vie, sans freins et sans oeilleres. “[Michael Rost] était jeune et avait en lui un petit fond de méchanceté qui parfois s'exprimait dans un acte, fût-il enfantin". Il ne fait rien: travailler c'est s'abaisser, se rendre. Mais il a de la chance: un magnat, charme par son assurance, l'aide financierement. Comme s'il lancait une experience sociale. Rost continue quand meme a frequenter une cantine juive minable et ses habitues, un anarchiste, un tenor enroue, un poeteux qui ne publie rien, un joueur de cartes professionnel borgne, et d'autres excentriques du meme acabit. Il loue une chambre dans les beaux quartiers et seduit sa logeuse puis sa fille adolescente. C'est la trame centrale du livre, et elle est traitee du point de vue des trois participants (les scrupules de conscience et l'eveil au sentiment amoureux de la jeune fille donnent des pages d'anthologie, qu'encore une fois je ne peux m'empecher de rapprocher du meilleur Schnitzler). Il est donc chasse, ou fuit ses responsabilites, l'auteur laissant le doute regner.


Vogel a concu un heros complexe. Un nomade impenitent (on le retrouve a Paris apres un certain temps) qui reve de se sedentariser. Un viveur pour qui tout plaisir est futile. Coquet mais se moquant des modes. Arrogant mais sensible. Egoiste mais sachant ecouter, et meme aider. Tant de conflits intrinseques donnent un heros insaisissable, et je n'ai pas arrete de me demander durant toute ma lecture comment il allait agir, ou reagir, a chaque moment. Rost est un personnage qui vit un present persistant, essayant d'ignorer le poids du passe comme la crainte du futur.

Le heros est a l'image du microcosme urbain ou il se meut, la Vienne aux boulevards brillants, aux cafes mondains, mais aussi aux ruelles non pavees, aux arriere-cours obscures, aux pitoyables cantines pour juifs et etrangers deguenilles. La Vienne complexe, comme toute grande ville de l'epoque, est admirablement peinte, dans toutes ses facettes. Et le Paris ou echoue Rost pour un chapitre? Il y a la Seine, il y a les grands cafes, mais aussi “Il y avait dans l'air un parfum d'automne et de prostituées, la torpeur des citadins, la fumée de charbon d'un train proche. […] En passant devant les bouches béantes des métros du centre-ville, on sentait soudain l'haleine épaisse et répugnante des gens, conservée depuis des années et flottant parmi eux”.


Vogel brosse un personnage interessant, deambulant dans des environnements vivants, nettement rendus. J'ai beaucoup aime. Pourtant le livre m'a donne une impression d'inacheve. Et c'est peut-etre ce qu'est ce manuscrit. Inacheve. Une premiere mouture, que l'auteur pensait retravailler et n'en a pas eu le temps. Qui sait? Ou alors une oeuvre de jeunesse, releguee par l'auteur dans un fond de tiroir (c'est ce que pense la chercheuse universitaire qui a decouvert le manuscrit). Une oeuvre tiree de ses propres souvenirs, d'etudiant pauvre, a Vienne (ou il a vraiment eu des rapports avec sa logeuse et avec sa fille). On ne peut que conjecturer. Et rester avec cette sensation de frustration, qu'accentue une fin un peu abrupte, malgre des personnages tres acheves, malgre la beaute de nombreuses pages.
En fin de compte une belle lecture.
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