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Citations sur Romance viennoise (4)

La famille Kobler habitait un grand appartement aux nombreuses chambres luxueusement meublées. Ils étaient riches. M. Kobler, la cinquantaine, avec une barbe respectable et blanchissante, était un Juif de Moravie né à Vienne, il achetait et vendait des actions à la Bourse, s’occupait de wagons de marchandises que personne ne voyait jamais et qui n’existaient que sur le papier, dans des registres ou sur des listes. Il avait un bureau au nom des « Frères Kobler, Import-Export » (la firme s’appelait pompeusement « Frères Kobler » mais il était l’unique frère, les autres n’étaient pas nés). Il possédait quelque part une grande ferme où il n’allait jamais, une belle villa à Bad Ischl où ils séjournaient en été, quand ils n’allaient pas au bord de la mer à l’étranger. Kobler se préparait à recevoir le titre de « conseiller à la Cour », titre auquel il s’essayait avec un plaisir anticipé : « Monsieur le conseiller Heinrich Kobler, qu’en penses-tu, Emmie ? »
Sa femme Emmie était une chrétienne de basse extraction qui avait épousé Kobler parce que « les Juifs ont de l’argent ». Elle s’était toujours sentie supérieure à lui à cause de ses origines chrétiennes, mais à vrai dire ce n’était pas une méchante femme. Tous ses efforts convergeaient vers la sauvegarde de sa jeunesse passée à laquelle elle s’accrochait de toutes ses forces, avec ses gestes, son rire qui se voulait jeune mais sonnait faux et ridicule. Elle niait la fatigue, et si quelqu’un s’en plaignait devant elle : « Moi, je ne suis jamais fatiguée ! disait-elle. Dieu merci, je n’ai pas encore l’âge. » Et chacun pensait : « Vieille chiffe ! »
Et son mari, Heinrich Kobler, qui la voyait fripée et ridée le matin au saut du lit, sans le masque du maquillage et des vêtements à la mode, entretenait une petite maîtresse blonde qui lui coûtait quelques centaines de couronnes par mois et avec laquelle il passait trois après-midi par semaine. Les autres jours, il vivait en bonne entente avec sa femme qu’il aimait. À force de répéter « Mon Emmie qui est d’origine aristocratique », il avait fini par y croire. Par ailleurs, Kobler évitait la fréquentation des Juifs, cherchait la compagnie exclusive de ceux qui ne l’étaient pas et, parmi eux, de ceux qui avaient un titre. Titre qu’il prononçait ostensiblement, avec l’humilité, la gratitude et la fierté de faire partie des intimes. Il se montrait généreux à l’égard des institutions de charité chrétiennes, surtout celles auprès desquelles il pouvait acheter sa renommée. Mais ses amis proches comme ses obligés disaient de lui dans son dos : « Ce Juif méprisable. »
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Markus Schwartz arborait tous les accessoires d’un dramaturge : chapeau noir au bord large comme une roue, cheveux longs, barbichette, lunettes d’écaille, foulard au vent, manteau de velours, pantalon rayé, chaussures noires vernies, bague à la tête de mort, canne originale, cartable plein de drames, crayons noir et rouge, et un gros livre sur la dramaturgie. Il avait l’habitude d’aller au parc, son cartable sous l’aisselle, un livre ouvert à la main qu’il lisait tout en marchant et soulignait au crayon rouge ou marquait de points d’interrogation ou d’exclamation appréciatifs. Il avait toujours à la bouche Sophocle, Eschyle, le Faust de Goethe, Shakespeare, Les Tisserands de Hauptmann, qu’il mêlait à toutes les conversations. Ses drames avaient failli être mis en scène d’innombrables fois à Berlin et même dans cette ville-là, c’est du moins ce qu’il racontait à qui voulait bien l’entendre, mais chaque fois la censure s’était mise en travers… Une hostilité permanente régnait entre lui et Dieu, et dans ses drames que personne n’avait jamais vus, il accablait à toute occasion le Ciel, la censure et bien évidemment tous ces pays rétrogrades… On peut même dire qu’il n’existait que par la censure, son adversaire, sans laquelle aucun obstacle ne se dressait sur son chemin.
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Elle tira de son cartable un bloc de papier uni et commença à écrire attentivement, avec des lettres bien rondes : « Je ne vous connais pas. Je ne veux pas vous connaître. Vous avez fait irruption dans ma chambre, et vous voilà assis au pied de mon lit, en train de sourire. Pourquoi souriez-vous ainsi sans la moindre honte ? Votre vue m’est insupportable. Je ne vous aime pas. Je ne vous aimerai jamais. Effacez de votre visage ce sale sourire hypocrite. Je vais vous tuer. Je vous rendrai froid, dur et laid. Je vous tuerai. Je vous embrasserai. Je vous tuerai. Je mordrai. Je vous enfermerai dans ce tiroir et vous ressortirai à ma guise, vous serez à moi. À moi, à moi, à moi ! Pas à vous. Ni à elle. Alors peut-être je vous aimerai une toute petite fois et je vous jetterai. Parce que je n’aurai plus besoin de vous. Sortez d’ici, lentement, s’il vous plaît. Je vous en prie. Quittez cette chambre. Vous avez le droit de me donner un petit baiser, ici. Et maintenant, sortez. Si vous pensez que je suis belle, dites-le-moi avant de partir. Je commence au bout de mes orteils et m’achève au sommet du crâne, ne l’oubliez pas. Tout cela, c’est Erna Stift. Moi. »
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Une idée se fit jour alors dans l’esprit de Rost : voilà l’essentiel. Tout valait la peine pour cet instant unique. Même cinquante ans de tourments. Même une vie entière pour cet instant unique.
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