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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Noble fils, maintenant que ta respiration a presque cessé, voici pour toi le moment de chercher une voie, car la lumière fondamentale qui apparaît lors du premier état intermédiaire va poindre..."
(Bardo Thödol, le Livre Tibétain des Morts)

Sépulcrale lumière matinale d'octobre, paisible lamaserie deux-sévrienne...
Gong.
Noble lecteur, te voilà prêt à entamer une errance de 49 jours, à travers les sept chapitres du Bardo (or not Bardo ? toute la question est là !) volodinien. Prêt à être surpris et étonné par ce qui t'arrive, à te sentir perdu en passant d'un état intermédiaire à l'autre, et à t'approcher peut-être de la Claire Lumière. Dans le meilleur des cas tu entreras au Nirvana littéraire que peuvent apporter les romans post-exotiques... dans le pire (ce que je ne te souhaite pas), tu te réincarneras sans peine en lecteur de romans ordinaires, qui n'aura plus jamais envie de franchir la porte phosphorescente et délabrée du Volodinestan.

Gong.
"Bardo or not Bardo" est la création la plus drôle, la plus "théâtrale" et la plus tragiquement burlesque de tous les romans de Volodine que j'ai pu lire jusqu'au présent. Mais pour en profiter pleinement, il n'est peut-être pas inutile d'être déjà familier de l'univers du barde post-exotique, qui peut paraître aussi obscur et fantasque que le système de médailles babéliotes. Tous ses romans sont plus ou moins bardés de Bardo de façon sous-jacente, mais celui-ci nous fait entrer directement dans l'Espace Noir, et explorer ses affres en même temps que les personnages.
Selon la tradition bouddhiste, le défunt doit être accompagné pendant les sept semaines de son séjour au Bardo - dans un état entre la vie et la mort - par le lama, lui récitant les textes de "Bardo Thödol". Il sera ainsi guidé vers un reposant néant ultime, qui signifie la fin des souffrances. Si le travail est mal fait, il dévie de son trajet en prenant le chemin de la prochaine réincarnation, dans une matrice souvent peu enviable. Qui d'entre nous voudrait devenir pingouin ?
Et vous pressentez déjà que ça va barder... depuis l'ouverture par "Baroud d'honneur avant le Bardo", jusqu'à la rencontre finale au "Bar du Bardo".

Gong.
Dans une interview, Volodine disait ne pas supporter l'idée de la mort : c'est pour cela qu'elle est si souvent déclinée dans ses récits, de façon détournée et grotesque, qui permet d'exorciser ces craintes. Est-ce de l'humour noir ? Bien évidemment, mais c'est un humour noir qui n'appartient qu'à cet univers post-exotique brillamment conçu. Si la vie s'apparente à l'univers carcéral, qu'en est-il de la mort ? Une libération ? L'idée du néant, d'un Rien définitif et inaltérable, est presque aussi effrayante que l'idée même de mourir, et il n'est pas étonnant que les trépassés de Volodine se sentent quelque peu paumés et hésitants sur leur chemin vers la Claire Lumière. D'autant plus que leur mémoire est encore pleine des souvenirs terrestres. Ils sont tous dûment accompagnés, et leurs guides du passage dans l'au-delà sont pleins de bonne volonté, mais... voyez-vous, même dans la vraie vie il y a souvent une grande différence entre les choses telles qu'on les imagine, et telles qu'elles le sont vraiment. le Livre Tibétain des Morts devrait fonctionner, mais à quel point doit-on se fier à tous ces textes qui font office de loi ?

Gong.
Les sept scénarios sont tous minimalistes : un défunt et son guide à travers le Bardo, qui communiquent, ou du moins essaient d'entrer en contact dans l'Espace Noir. Mais cela suffit amplement à Volodine pour imaginer des situations aussi comiques que désespérantes. Comme d'habitude, tout foire.
Abram Schlumm alias Kominform se fait descendre dans le poulailler d'une lamaserie par une faction ennemie. le bon lama Drumbog se démène entre ses tourments gastriques, les reporters qui envahissent le poulailler et son assistant, incapable d'apporter le livre demandé. Les errances de Kominform seront donc accompagnées par un livre de cuisine : "l'Art d'accommoder les animaux morts", et par "Cadavres exquis, une anthologie surréaliste".
Glouchenko du chapitre suivant a une certaine chance, mais (un clin d'oeil à son nom) il reste sourd à la voix du lama, et continue à chercher obstinément une pile électrique.
Schmollowski, l'ancien terroriste, va sympathiser avec le banquier Dadokian, et malins comme ils sont, ils décident d'ignorer le délai des 49 jours. Après tout, c'est sympa, le Bardo, et rien n'empêche d'y rester pour l'éternité. Ah, vraiment ?! Et quand la voix du lama fait défaut, peut-être que le vieux juke-box pourri au fond d'une caverne pourrait délivrer un message fiable, le tout c'est de bien l'interpréter.
En passant par le "Micmac à la Morgue" (comment résister ?), "Le Bardo de la Méduse" interprété aux lapins et aux arbres par l'unique membre restant de l'ancienne corporation The Baba and Nyonya Theater (comment résister, bis), et autres "histoires dans l'histoire", on se dirige sans faute vers le bar du Bardo et l'affligé clown du cirque Schmühl, qui ferait tout pour que son défunt ami et collègue Grümscher trouve la voie de la Claire Lumière. A la fois triste et hilarant, comme toutes les histoires de Volodine.

Gong.
Toujours le même monde post-exotique, plein de grands idéaux et de petits moyens. On sait à peu près ce qu'on va trouver en franchissant sa porte, mais à chaque fois il nous réserve de nouvelles surprises, et nous fait retrouver des vieilles connaissances sous une autre identité... n'est ce pas, Dondog ? C'est pour cela qu'on y retourne encore et encore, avec plaisir. Excellent livre, rempli de "Cadavres exquis" cités plus haut, dont la qualité augmente encore à mes yeux par sa mise en valeur des lamas et des lamaseries. Une étoile pour chaque coup de gong.
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