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Critique de JIEMDE


Fin des années 80, dans ma prépa d'un grand lycée parisien. Je me bats avec Mishima, Balzac et Saint-John Perse. Jeune cornichon idéaliste, je rêve de carrière. Alors en parallèle, je lis Larteguy, Sergent, Bergot, Saint-Marc, et même Salan. Les récits d'Indochine sont ma passion. Il paraît qu'il faut que jeunesse se passe…

Alors forcément, sitôt ouvert Une sortie honorable de Éric Vuillard, les souvenirs de ces lectures remontent. Différents. Bien différents. le Haut Tonkin, la gifle de Cao Bang, la valse des commandements, les crédits qui s'épuisent… En 1950 en Indochine, les forces doutent. À Paris, le pouvoir hésite.

De 50 à 53, de Cao Bang à Diên Biên Phu, Vuillard revient sur ces trois années décisives qui mirent fin à la colonisation de l'Indochine, illustrant magistralement l'incroyable décalage entre l'impasse du théâtre des opérations et "l'indécision" indolente et bourgeoise des "décideurs" à Paris.

Dans ce livre court, la plume sert des phrases intelligentes et élégantes, qui retombent généralement avec une pointe de sarcasme ou d'ironie qui touche juste à chaque fois. Les portraits des politiques (Herriot en tête) sont sans concession ; ceux des députés truculents ; ceux des militaires souvent cruels, notamment pour de Lattre lorsqu'il s'égare chez les Américains ; seul Mendès France s'en sort.

Mais là où Vuillard est à son meilleur, c'est dans sa démonstration de l'opportunisme de guerre des affairistes parisiens. Autrefois sponsors des exploitations esclavagistes des expatriés locaux venus chercher latex et autres matières premières, ils ont su retirer leurs billes aux premiers coups de fusils et les placer dans des contrées plus tranquilles.

Et dans la foulée, se précipiter pour financer l'effort de guerre. Et gagner ainsi des deux côtés. Au lendemain de la chute de la cuvette de Diên Biên Phu et de ses postes avancés, mamelons rocheux aux prénoms féminins, le conseil d'administration de la Banque d'Indochine, boulevard Haussmann, se gargarise du triplement des bénéfices distribués. Ou comment perdre en gagnant beaucoup.

Vuillard brosse avec une certaine férocité cette bourgeoisie française de la IVe république qui dirige la France depuis le 8e arrondissement, confortée par l'ancienneté et la renommée de ses assises provinciales patiemment construites depuis la révolution. Et rappelle sans le dire que certaines choses ont peu changé. Ou à peine…

Ainsi, il fallait au pays « une sortie honorable » à ce conflit. Certains l'eurent. Pas le pays ni ses combattants, dans ce conflit qui ne se termina réellement qu'un jour de 75, avec cet hélicoptère surchargé s'envolant dans la panique au-dessus de l'ambassade US de Saïgon. Et un bilan de près de 4 millions de morts. Pas tout à fait le même récit que mes lectures de jeunesse…
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