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Après « L'ordre du jour », époustouflant récit sur les coulisses de l'Anschluss, Éric Vuillard revient avec un autre récit tout aussi détonnant et qui nous fait pénétrer dans les mensonges et les petits arrangements qui ont eu pour conséquence la sortie de la France de cette lointaine colonie : l'Indochine.
Avec une précision, une efficacité un rien brutales, l'auteur met en pleine lumière ces mécanismes de l'ombre, ces tractations dans des salons feutrés tandis que des hommes triment et sont maltraités dans les plantations d'hévéas de l'empire Michelin et que des soldats originaires des colonies françaises, meurent pour permettre à d'autre de s'enrichir.
La guerre d'Indochine, qui aura duré de 1946 à 1954 pour les français, on ne l'étudie pas vraiment dans ses détails et l'on comprend pourquoi lorsqu'on se penche sur les tribulations des hommes politiques de cette IVe République pas très reluisante. Très vite, face à une défaite inéluctable, Edouard Herriot président de l'Assemblée nationale et les députés, tous de mèche avec les grands industriels et les banquiers qui ont fait leur beurre de cette Indochine exploitée chercheront cette « sortie honorable ». Côté militaire, ce n'est pas mieux.
Éric Vuillard déroule son récit par le biais de portraits sans concession de ces hommes qui ont joué un rôle pas toujours reluisant dans cette guerre. Ainsi la piteuse intervention du général de Lattre de Tassigny à la télévision américaine. J'ai trouvé incroyable le portrait de Christian Marie Ferdinand de la Croix de Castries, vieille aristocratie française, dont la photo orne la couverture du livre, et que l'on suit jusqu'à la chute de Diên Biên Phu.
Et lorsque l'auteur nous ouvre les portes du conseil d'administration de la Banque de l'Indochine, on est sidérés par tant de cynisme car la banque a gagné énormément d'argent tandis que tombaient les soldats dans cette guerre inutile.
Les américains succédant aux français, le conflit s'étendra sur trente ans. Les chiffres des morts font froid dans le dos : quatre cent mille pour français et américains confondus alors qu'il y en aura trois millions six cent mille côté vietnamien. Une vérité d'autant plus effroyable et impitoyable que cette guerre aura servi les intérêts des puissants.
Bien documenté, écrit d'une plume incisive, ce récit lève sans pudeur un pan sombre de l'histoire et ces 200 pages m'ont passionnée.


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1950 : la France refuse d'admettre qu'elle vient de perdre la guerre d'Indochine avec la défaite de Cao Bang. Elle décide de maintenir l'offensive, ne serait-ce que pour s'offrir une sortie honorable, et tuer ainsi dans l'oeuf toute velléité de contagion au sein de ses autres colonies. le conflit va s'éterniser encore quatre ans, avec l'appui des Américains qui continueront ensuite seuls la guerre du Viêt-Nam. Quatre ans d'entêtement, pour un bilan humain catastrophique et une issue finalement très piteuse pour les Français. Quoique… pas pour tout le monde : la Banque privée française d'Indochine aura eu tout le temps de rapatrier ses avoirs, tout en s'enrichissant de l'effort de guerre.


Avec l'intelligence et l'élégance subtilement ironiques qu'il emploie pour croquer l'Histoire en quelques traits choisis, d'une sobre et féroce précision, c'est un bien consternant tableau que nous peint Eric Vuillard : d'un côté, la population indochinoise, éreintée dans les mines et les plantations d'hévéas qui servent de poules aux oeufs d'or aux Français ; de l'autre, une coterie politique prête à tout pour la stabilité de son pouvoir et de ses intérêts économiques, et qui, pour ne pas perdre la face devant ses colonies, n'hésite pas à « relancer la guerre pour en finir et reconquérir l'Indochine avant de la quitter » ; au milieu, des troupes largement composées de tirailleurs africains et vietnamiens, envoyées à la boucherie avec une inconséquence qui fleure l'incompétence, à en croire ce qui apparaît en ces pages comme l'aberration militaire de Diên Biên Phu.


Fort de son évidente imprégnation du sujet, Eric Vuillard présente de la guerre d'Indochine une vision éminemment dérangeante, débarrassée de l'apprêt des souvenirs historiques officiels. En quelques coups de pinceaux d'une impressionnante efficacité, pointant le regard sur un ensemble de faits dont la parfaite exactitude vient pilonner jusqu'à l'ébranler la conscience du lecteur, l'écrivain met le talent manifeste de sa plume au service d'une lucidité teintée d'ironie douce-amère qui laisse longtemps songeur. Car, au-delà du contexte colonial et de ses guerres, c'est le système général que nous avons choisi à travers la planète, dont nous profitons tous plus ou moins, qui engendre régulièrement de tristes aberrations humanitaires, la vie pesant parfois moins lourd que les rapports de pouvoir, et surtout les prépondérants intérêts économiques. Et l'on frémit du plus pur effroi rétrospectif en découvrant la proposition américaine faite à la France, d'utiliser l'arme nucléaire pour se sortir de Diên Biên Phu…


Un ouvrage remarquable pour l'intelligence, comme pour la sobriété et l'élégance littéraires, avec lesquelles il mène son propos. Nul n'envisagera plus la guerre d'Indochine du même oeil, après cette troublante lecture !

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Pas de vacances dans les colonies.
Comme à son habitude et avec sa vision très partisane, Eric Vuillard décrit de façon concise et impitoyable l'acharnement de la France en Indochine malgré l'inéluctabilité de la défaite. Les dessous de la 4ème république sont souillés et les années d'entêtement après le chaos de Kao Bang vont aboutir au sacrifice de milliers de vies pour servir les intérêts politiques et économiques de quelques-uns.
Chaque roman de cet auteur est un hommage aux révoltés anonymes contre des dirigeants politiques et des industriels corrompus. Panorama sur la médiocrité morale des classes supérieures et des grands méchants capitalistes. On peut reprocher à Eric Vuillard son manichéisme mais pas le sérieux de la reconstitution et l'art de déterrer les cadavres des tiroirs de l'histoire.
Eric Vuillard nous offre la chronique d'un désastre annoncé à travers le déni stupéfiant de certains, des stratégies militaires aventureuses pour ne pas dire suicidaires, quelques portraits acides de figures historiques peu inspirées, l'avidité des profiteurs de l'ombre.
L'auteur parvient une nouvelle fois en peu de pages à décrire tous les moyens déployés par les puissants de l'époque pour retarder l'échéance et trouver « une sortie honorable », titre d'une glaçante ironie quand on connait le bilan de cette guerre dans les deux camps. Les américains prendront la suite…
Lecture passionnante, condensé de scandales, le récit est peut-être un peu trop chirurgical et pas assez romanesque à mon goût mais je dois avouer avoir été une nouvelle fois bluffé par la capacité de synthèse d'Eric Vuillard à autopsier l'histoire et en exhumer les turpitudes en si peu de pages. Un condensé de Genevoix.
Je termine par une réserve de taille liée au parti pris du procureur, pardon… de l'auteur. Dans une approche moins partiale, j'aurai aimé aussi suivre en parallèle et avec la même acuité le parcours d'Hô Chi Minh ou de Giap durant cette période ou celui d'autres figures Viêt-Minh, dont l'évocation relève ici du mythe.
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Éric Vuillard analyse avec précision remarquable, dans un texte superbe d'intensité et un style époustouflant, les derniers soubresauts de la présence française en Indochine. ● L'intrication des intérêts économiques et des enjeux militaires est décortiquée avec un incroyable souci d'exactitude sans que pour autant le récit se perde dans des détails superflus. ● Tout est dit avec une économie de moyens ahurissant. L'auteur renouvelle le tour de force de L'Ordre du jour. Beaucoup de formules font mouche. Par exemple : « C'est si difficile de décrire un visage, mélange de chair et de pensée. » Ou encore, celle-ci, qui est si vraie : « un bel héritage est pris pour un destin ». Une autre me laisse songeur dans ses implications : « Chaque jour, nous lisons une page du livre de notre vie, mais ce n'est pas la bonne. » ● le portrait des dignitaires de la IVe République est sublime. ● C'est faire à l'auteur un faux procès que de dire qu'il n'ajoute rien à ce qu'on connaît déjà de la guerre d'Indochine, car c'est faire fi de la beauté du texte ; il ne fait pas ici oeuvre d'historien. Mais je dois dire que moi qui ne connaissais pas grand-chose à cette période de l'Histoire, j'ai beaucoup appris. ● On peut aussi critiquer sa perspective marxisante mais on doit porter à son crédit la cohérence de l'analyse et la force de l'argumentation. ● Une oeuvre à la fois brillante et captivante.
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Fin des années 80, dans ma prépa d'un grand lycée parisien. Je me bats avec Mishima, Balzac et Saint-John Perse. Jeune cornichon idéaliste, je rêve de carrière. Alors en parallèle, je lis Larteguy, Sergent, Bergot, Saint-Marc, et même Salan. Les récits d'Indochine sont ma passion. Il paraît qu'il faut que jeunesse se passe…

Alors forcément, sitôt ouvert Une sortie honorable de Éric Vuillard, les souvenirs de ces lectures remontent. Différents. Bien différents. le Haut Tonkin, la gifle de Cao Bang, la valse des commandements, les crédits qui s'épuisent… En 1950 en Indochine, les forces doutent. À Paris, le pouvoir hésite.

De 50 à 53, de Cao Bang à Diên Biên Phu, Vuillard revient sur ces trois années décisives qui mirent fin à la colonisation de l'Indochine, illustrant magistralement l'incroyable décalage entre l'impasse du théâtre des opérations et "l'indécision" indolente et bourgeoise des "décideurs" à Paris.

Dans ce livre court, la plume sert des phrases intelligentes et élégantes, qui retombent généralement avec une pointe de sarcasme ou d'ironie qui touche juste à chaque fois. Les portraits des politiques (Herriot en tête) sont sans concession ; ceux des députés truculents ; ceux des militaires souvent cruels, notamment pour de Lattre lorsqu'il s'égare chez les Américains ; seul Mendès France s'en sort.

Mais là où Vuillard est à son meilleur, c'est dans sa démonstration de l'opportunisme de guerre des affairistes parisiens. Autrefois sponsors des exploitations esclavagistes des expatriés locaux venus chercher latex et autres matières premières, ils ont su retirer leurs billes aux premiers coups de fusils et les placer dans des contrées plus tranquilles.

Et dans la foulée, se précipiter pour financer l'effort de guerre. Et gagner ainsi des deux côtés. Au lendemain de la chute de la cuvette de Diên Biên Phu et de ses postes avancés, mamelons rocheux aux prénoms féminins, le conseil d'administration de la Banque d'Indochine, boulevard Haussmann, se gargarise du triplement des bénéfices distribués. Ou comment perdre en gagnant beaucoup.

Vuillard brosse avec une certaine férocité cette bourgeoisie française de la IVe république qui dirige la France depuis le 8e arrondissement, confortée par l'ancienneté et la renommée de ses assises provinciales patiemment construites depuis la révolution. Et rappelle sans le dire que certaines choses ont peu changé. Ou à peine…

Ainsi, il fallait au pays « une sortie honorable » à ce conflit. Certains l'eurent. Pas le pays ni ses combattants, dans ce conflit qui ne se termina réellement qu'un jour de 75, avec cet hélicoptère surchargé s'envolant dans la panique au-dessus de l'ambassade US de Saïgon. Et un bilan de près de 4 millions de morts. Pas tout à fait le même récit que mes lectures de jeunesse…
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Un livre que je recommande pour tout ce qu'on apprend sur les personnages de cette période même si Une sortie honorable oscille entre récit et roman.
À la fin de la guerre d'Indochine, les politiques cherchent une sortie honorable. À partir de documents d'époque, Éric Vuillard imagine les scènes et les écrit. Il fait des liens et crée des conversations dont il ne reste aucune trace, pas plus, bien évidemment que celles des pensées.
Les premières pages s'ouvrent sur une inspection de Delamarre dans une plantation d'hévéa exploitée par Michelin. Ce qu'il trouve fait froid dans le dos. L'inspecteur fera un rapport qui ne change rien et Michelin cette année-là fera un profit exceptionnel.
Le récit continue sur la bataille de Cao Bang. Une rapide recherche montre que les militaires de l'époque n'avaient pas inventé le lance-pierre (et ça semble ne pas s'être arrangé par la suite). Ce fut la première victoire décisive du Việt Minh.
Deux jours plus tard, le lecteur assiste à un débat à l'Assemblée générale.
J'ai pris conscience à quel point cette guerre était oubliée. C'est le côté positif de la lecture.
Côté problématique, l'auteur entre dans la tête du général Henri Navarre commandant en chef des forces françaises en Indochine ou d'Émile Minost, président de la Banque d'Indochine, ce qui est le privilège du romancier.
Non pas qu'Éric Vuillard narre des choses surprenantes, il est convaincant ; les profiteurs de guerre ont existé de tout temps. Mais son livre qui est une vision de cette période — vision à laquelle j'adhère — aurait plus honnêtement été appelé roman.
Ou alors, si récit il y a, j'aurais aimé qu'il cite ses sources.

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On peut reprocher à Éric Vuillard de s'emparer encore d'un pan de l'Histoire plutôt que d'inventer une histoire. Certes, mais il le fait très bien. Ses textes sont remarquablement écrits et on y apprend toujours quelque chose. Vuillard reprend ici un de ses thèmes favoris : la complaisance et la compromission des élites au pouvoir.
Il n'a pas son pareil pour dénoncer la collusion des hommes politique avec le complexe militaro-industriel. Dans son roman, il fustige les fossoyeurs de la Quatrième république. Des notables bouffis, des nobles consanguins, des maires à vie, intouchables en leurs fiefs, confortablement installés sur les bancs du Palais Bourbon, que Vuillard caricature avec soin et férocité (exemples pages 29, 41-43, 112, 129, 170-173).
De leurs bassesses et de leurs calculs, sont nées quelques réformes et beaucoup d'approximations. Quand il s'agit de morceler l'empire, ces messieurs s'indignent et rechignent. La défaite de 40 est encore dans leurs esprits et, lorgnant sur les continents, ils ne peuvent se résoudre à l'inévitable : l'indépendance des colonies qui ont enrichi leurs entreprises et qui, au nom des droits de l'homme – une idée brevetée en France - aspirent à la liberté.
Diên Biên Phu (ce désastre : « Il reste deux jours de vivres et Castries n'a plus qu'une bouteille de Cognac ») fait partie de ces territoires, comme la passe de Khyber ou les plaines russes, qui s'est refusée aux envahisseurs. Les Français n'ont pas retenu la leçon. Les Américains non plus. Et l'auteur de rappeler qu'on a déversé sur l'Indochine devenu le Viêt Nam plus de bombes que pendant la seconde guerre mondiale. Les occidentaux ont l'honneur mal placé.
À noter, les cinglantes critiques (à peine détournées) adressées aux promoteurs de la Start-up nation (page 179) et aux gouvernements aveugles à la détresse des populations migrantes (p198).
Bilan : 🌹🌹🌹
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« Une sortie honorable » : le titre est explicite, empreint de mépris envers le peuple assujetti. Comment sortir la tête haute de cette sale guerre embourbée en Indochine, « épicentre de quelque chose, une angoisse, un désir aphasique, silencieux, avare ». Ici les choses sont claires d'entrée, on se fout royalement des pertes humaines, surtout locales. Il s'agira avant tout de « relancer la guerre pour en finir et reconquérir l'Indochine pour la quitter». Il y aura bien en 1950 Mendès-France pour évoquer une sortie par la négociation de cette guerre trop onéreuse, idée vite balayée dans l'Assemblée par un vent d'indignation dans une analogie funeste, car « la capitulation, c'est toujours Munich ou Vichy, lieu commun de la rhétorique de tribune ».
C'est aussi et surtout à une galerie de portraits sans concession à laquelle on aura droit au long de ce court récit, un festival de piques mordantes envers les caciques du pouvoir de l'époque. Hommes politiques, militaires ou banquiers, de Maurice Viollette à de Lattre de Tassigny en passant par Henri Navarre et Marie Ferdinand de la Croix de Castries mais aussi Emile Minost, tous ne sont pas connus, mais tous seront épinglés par la verve ironique d'Éric Vuillard. Même s'il faut toutefois les nuancer : « si les militaires avaient bel et bien pratiqué la torture, le bombardement des civils, l'emprisonnement arbitraire, si les parlementaires avaient encouragé la guerre, adoptant à la tribune le ton des grandes heures, en revanche, les administrateurs de la banque n'avaient officiellement rien dit. » On apprendra sans réelle surprise à la toute fin qui touchera le jackpot.
Sans se perdre dans le détail historique, Eric Vuillard construit son récit en ciblant une éloquence avant tout persuasive et explicite, dans des chapitres courts aux allures de scénettes sans lien forcément apparent entre elles, même si le puzzle indochinois se révèlera au final avec maestria. Ses sources documentées et variées s'intéressent à des éléments factuels d'époque, mais aussi aux « éléments du langage » comme pour le titre, ou par exemple le lexique à connaître pour ce guide touristique de l'époque : « va chercher un pousse, va vite, va doucement, ...relève la capote, conduis-moi à la banque, chez un bijoutier,.... ». Des éléments de langage restitués dans son langage à lui, acerbe et corrosif, précis. Ça étrille et ça dézingue, les mots y sont comme des coups de poignard dans la cuirasse de la IVème République. Mais il y a aussi le rire (jaune) qui peut surgir à l'improviste chez le lecteur. de Lattre de Tassigny invité à « Meet the Press », émission politique de la NBC, ou encore Henri Navarre tourmenté d'avoir mal appris « ses leçons à l'école de guerre », en révisant son Jomini après une cuisante défaite...

Le Goncourt avait consacré « L'ordre du jour », récit sur l'Anschluss. Ici le lecteur reconnaîtra la manière singulière d'Eric Vuillard dans ce nouveau récit historique aux mots punchy et corrosifs, au ton caustique et ironique, au phrasé virtuose et à la construction éloquente. À la différence que cette sortie honorable a été organisée près de chez nous, il y a moins d'un siècle.
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Curieusement, malgré très certainement un art consommé de la distorsion des faits, avec un manque criant d'objectivité ( ce n'est vraiment que ma perception) , je reviens vers les livres D E.Vuillard , vers la littérature, la vraie, qui peut transformer le réel en récit imaginaire.
Depuis son dernier livre sur le nazisme "L'ordre du jour"(Goncourt2017), je ne vois plus les Mercedes du même oeil d'ailleurs.
Cette fois, c'est en Indochine qu'il nous emmène. C'est d'abord dans les années 30, vers Saïgon dans une exploitation d'hévéas appartenant à Michelin qu'il pose le décor et décrit l'enfer que vivent les coolies. Trente ans plus tard, c'est à l'Assemblée nationale que continue le drame à venir. S'y déchirent à belles dents et belles apostrophes E.Herriot, Mendés-France et quelques grandes gueules de l'hémicycle.
Faut-il dire la "vérité" aux français sur le chaos en cours au Tonkin,la débandade, sur DiênBiên Phu?
On peut transposer ces épisodes sur pas mal d'évènements bien plus proches dans le temps, Kaboul, le Mali. E. vuillard ne s'attendrit pas ni ne moralise, il se contente d'imaginer le réel, il suffit de 200p pour cela.
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Depuis une bonne dizaine d'années, Eric Vuillard publie régulièrement des récits très condensés, jetant un regard neuf sur le double mouvement d'appropriation du monde et des richesses, d'un côté, et par le mouvement contraire, d'émancipation, que cet élan de conquête suscite. Se constitue ainsi une nouvelle comédie humaine, ayant peut-être à voir avec les grands écrivains sociaux des derniers siècles, mais débordant du cadre national, reflétant l'aspect planétaire des problèmes de notre époque. « Une sortie honorable » représente un nouveau tome de cette passionnante série après « Tristesse de la terre » (2014), « 14 juillet » (2016) et bien sûr « L'ordre du jour », récompensé du Prix Goncourt en 2017, tous publiés chez Actes Sud dans un format très agréable.

La force du texte m'a impressionné, une fois de plus ! Méthode Vuillard : une banale page de publicité et un guide de voyage sur l'Indochine de 1923, lus de manière attentive et critique, l'amènent à enquêter sur une période historique tragique de l'Histoire. Aucune formule de politesse n'est proposée dans le lexique de base du voyageur, dévoilant un mépris total pour le peuple colonisé.

Le livre n'est pas épais mais d'une densité qui permet de découvrir par scènes successives, à partir du portrait des acteurs de cette tragédie, l'Indochine française des années 20 aux années 50, jusqu'à la défaite de Diên Biên Phu en 1954. Les tableaux sont brossés en maître, nous assistons au triste spectacle de milliers de vies sacrifiées pour le prestige et l'accaparement des richesses. Eric Vuillard parle de tactique, de champs de bataille, mais il le fait en décrivant par le menu l'origine et la psychologie des personnages principaux, telle une pièce de théâtre où l'on verrait le personnage sur scène, aussi son passé.

S'appuyant sur des rapports de l'inspection du travail – le récit est adossé aux documents et aux dialogues réels –, l'auteur dresse le tableau des coolies vietnamiens récoltant le latex de la plantation Michelin dans des conditions esclavagistes, vers 1930 !

Tableau marquant également de quelques séances à l'Assemblée en 1950 sous la présidence Herriot et des interventions d'un certain Édouard Frédéric-Dupont, député et homme politique : « élu soixante deux ans à Paris, un record, treize mandats de député, plus de quarante ans de vie parlementaire ; il a connu trois républiques et a été membre de dix formations politiques, pour finalement se présenter sur la liste du Front national...] » Militariste et colonialiste convaincu pour qui la patrie et l'honneur valent bien quelques millions de morts ! Sous cette quatrième république, réputée instable, quelques hommes sont de tous les gouvernements…

Chapitre de l'installation du camp retranché dans la vallée de Diên Biên Phu afin d'occuper le carrefour du nord-ouest, seul accès au milieu de la jungle. Il utilise la belle expression « des larmoyantes ferveurs » qu'ont en commun certains poètes et les militaires, autorisant ces derniers à appeler l'un des points d'appui du camp, du doux nom de Béatrice (amour de Dante).

Au total vingt-deux tableaux liés de manière magistrale par l'auteur. Autant dire un vrai musée d'une guerre dévastatrice dont la France passera le relais aux États-Unis, avec une débâcle à la clé en 1975 et fuite par hélico à partir des toits de Saïgon ! Prémices de cette fin peu honorable, la visite éclaire en 1954 de John Foster Dulles – le frère du Directeur de la CIA – dans un chapitre émouvant concernant les intérêts coloniaux croisés et les coups tordus de cette fratrie puissante au Guatemala pour un coup d'État sanglant, avec l'assassinat aussi du jeune dirigeant Patrice Lumumba, à peine était-il nommé Premier ministre de la toute nouvelle République indépendante du Congo.

Le tout se lit presque d'une traite, se relit aussi pour le plaisir de la langue, et de quelques mots précieux – peu nombreux, enrichissant la lecture, amenant le lecteur à se poser la question de la valeur du vocabulaire utilisé par les uns et les autres dont le mensonge contenu dans la formule « sortie honorable » (terme utilisé par le général Navarre, commandant en chef de l'Indochine française). le chapitre décortiquant l'intervention du haut commissaire en Indochine, de Lattre de Tassigny, à la télévision des États-Unis, est édifiant.
Je ne connaissais aucun des mots suivants, et vous ? – merveilleuse langue française qui permet toujours de belles découvertes : « félibrige  p 30 », « gidouille p 37 », « chonchonné » p 38, « pèguent p 84 », « prépotente » p 88, « aphasique » p 102, « cognation » p 171, « raptus » p 181…

Dans une note à la fin du livre, Eric Vuillard dresse un bilan effarant de cet entêtement colonial : « Du côté de la France et des États-Unis, il y eut en tout quatre cent mille morts, si l'on compte les tirailleurs, les supplétifs indochinois, troupes coloniales qui formaient inessentiel de notre armée. du côté vietnamien, la guerre fit au moins trois millions six cents mille morts. Dix fois plus. Cela fait autant que de Français et d'Allemands pendant La Première Guerre mondiale. »

Eric Vuillard utilise toutes les possibilité de la langue, fouille dans le langage afin d'autopsier L Histoire, faire émerger certaines parcelles de vérité, habituellement ignorées ou refoulées. Lire un récit de cet auteur c'est entrer dans un genre hybride, canevas d'Histoire, de romanesque, de poésie et d'éloquence. Ses livres très documentés font mouche, ils sont traduits dans quarante langues.
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Retrouvez cette chronique et celles des autres récits de Vuillard mentionnés ici, avec illustrations, sur Bibliofeel...
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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