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Critique de Apoapo


[Titre de mon volume : La Critique sociale au XXe siècle – Solitude et solidarité. Titre d'origine : The Company of Critics, Social Criticism and Political Commitment in the Twentieth Century]

Julien Benda – le fustigeur des clercs qui s'immiscent au pouvoir –, Randolph Bourne – l'opposant à l'intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale –, Martin Buber – le sioniste partisan d'un Israël bi-national –, Antonio Gramsci – le dirigent communiste qui réfléchit à l'hégémonie culturelle depuis un confinement qui l'isole entièrement du peuple italien, Ignazio Silone – l'écrivain qui abandonne un certain christianisme hérétique pour le communisme, puis le Parti communiste pour un certain socialisme humaniste, George Orwell – qui s'oppose au communisme internationaliste et prône une gauche spécifiquement anglaise respectueuse de la propriété privée (...) –, Albert Camus – qui, dans le contexte de la guerre d'Algérie, se défend de renier ses solidarités familiales pied-noir –, Simone de Beauvoir – qui ne parvient pas à se libérer de la contradiction entre l'existentialisme et la position de la femme qu'elle développe dans le Deuxième Sexe –, Herbert Marcuse – qui, dans L'Homme unidimensionnel, s'en prend à un Américain moyen, antihéros repu et satisfait qu'il n'a peut-être pas vraiment compris –, Michel Foucault – qui se veut « politique solitaire » car « antidisciplinaire » –, et enfin Breyten Breytenbach – le critique d'Afrique du Sud exilé en France : tels sont, dans l'ordre les « compagnons » critiques que l'auteur choisit comme amis ou plus souvent comme antagonistes pour illustrer la critique dans ce XXe siècle caractérisé par deux spécificités : un relativisme éthique tel que lui, Walzer « s'oppose […] à l'affirmation selon laquelle les principes moraux seraient extérieurs à l'expérience quotidienne » (p. 11) ; et une synchronicité entre ladite critique et la révolte populaire.
Dans cette démarche de présentation de penseurs – dont l'ordre chronologique n'est qu'une apparence superficielle voire un leurre – il existe toujours un sous-entendu de conformité croissante ou décroissante avec un type idéal de méthode ou de théorie que l'auteur lui-même s'est approprié et qu'il embrasse ou dont au contraire il se démarque dans sa pensée. J'ai songé d'emblée à un ouvrage dont l'étude me fut prescrite il y a très longtemps, dans mon cursus de deuxième cycle : Les Sociologies contemporaines de Pierre Ansart ; l'ordre de présentation des sociologues français correspondait là à l'importance croissante que ces derniers accordaient à l'individu plutôt qu'à la « structure » – un parti pris légitime, du moment qu'il est clairement affiché, un cheminement de construction de la propre pensée de l'auteur qui s'y engage et dont on le tiendra responsable.
Le parti pris de Michael Walzer dans cet essai est d'ordre normatif : le critique doit être, pour lui, éloigné de toute doctrine – on pourrait dire qu'il doit refuser le dogmatisme – autant que proche ou au moins solidaire d'un peuple, caractérisé par ses particularités, sa proximité nationale, communautaire, le voisinage de valeurs d'intérêts et même de lingue avec lui-même, selon le modèle idéal des prophètes bibliques qui représentent la voix de leur peuple au moment de leur prophétie. La dissidence dans l'enracinement.
Ce parti pris ne me convainc pas. Je suis sans doute trop français pour être aussi communautariste, trop élitiste pour voir le rôle de l'intellectuel réduit à celui du porte-voix d'une cause contingente ou traditionnelle, pour voir la critique réduite à être « nationale populaire ». Ce parti pris, au lieu d'être annoncé dès l'Introduction, n'est énoncé que dans la Conclusion. Surtout, appliqué comme critère de validité à l'oeuvre de penseur si différents opérant dans des contextes aussi divers et s'intéressant à des problématiques très spécifiques, il m'a paru ressembler à un lit de Procuste, provoquant deux conséquences aussi déplorables l'une que l'autre : la pensée d'hommes et femmes illustres en résulte caricaturée, au point de me paraître méconnaissable – pour les philosophes avec lesquels j'ai une certaine familiarité – ; Walzer se pose de manière extrêmement arrogante en arbitre et juge – je pense en particulier à Michel Foucault qualifié sans procès de « gauchiste infantile » (p. 207) – ; la lecture, sous un prisme unique, peu explicité, paraissant souvent très peu pertinent dans des cas précis, devient particulièrement ennuyeuse, laborieuse, insatisfaisante, énervante à la fin. L'agacement a fini par m'éloigner définitivement de la thèse du livre, qui pourtant propose une méthode qui pourrait avoir une certaine validité, dans certains cas et à une échelle locale, à condition justement qu'elle ne soit pas érigée à paramètre universel, conduisant son auteur précisément au dogmatisme qu'il conteste à autrui... « Solitude et solidarité », écrivait-il dans son sous-titre, n'est-ce pas... ?
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