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Critique de Malaura


« -Hey, Orry. T'as jamais dit que t'avais été marié à Dawn Dewayne. Bon Dieu, Orry, c'est marqué noir sur blanc dans ce putain de journal ! »
C'était vrai, une photo du Matelot Première Classe Ordo Tupikos s'étalait dans ce journal où l'on pouvait lire un long article consacré à la célèbre vedette de cinéma Dawn Dewayne, la nouvelle incarnation de tous les fantasmes de blonde explosive.
Ordo en était resté sonné.
S'il avait bien été marié à une fille dans le temps, c'était avec une dénommée Estelle Anlic et elle n'avait vraiment rien à voir avec la pin-up du magazine !
La mère avait d'ailleurs fait annuler le mariage car sa fille était encore mineure à l'époque ; elle avait dit qu'elle avait 19 ans, en réalité elle n'en avait que 16. Heureusement la Marine lui avait évité un tas de tracas en l'affectant au loin sur un navire.
Seize ans s'étaient écoulés, ils ne s'étaient jamais revus et jamais il n'avait pensé que la star hollywoodienne, dont il avait vu quelques films, n'était autre qu'Estelle Anlic ! Elle avait tellement changé ! Rien à voir avec ce qu'elle était autrefois, on ne la reconnaissait tout simplement pas, « comme une maison de bois se transformerait en maison de brique ».
Alors que lui à l'inverse n'avait pas changé d'un pouce, il était resté exactement le même type qu'auparavant, plus âgé certes mais pas différent.
Cette histoire l'avait à ce point perturbé qu'il avait pris une permission, destination Los Angeles, dans le but de rencontrer Dawn Dewayne pour tenter de comprendre cette si radicale transformation.
Pendant plusieurs jours, des bureaux d'impresarios aux plateaux de tournages en passant par les luxueuses résidences de Bel Air, il avait partagé un peu de ce monde de paillettes, de strass et de faux semblants, des stars du cinéma d'Hollywood.

Comment une personne peut-elle devenir totalement quelqu'un d'autre ? Comment quelqu'un peut-il changer à un point aussi radical que tout ce qui le caractérisait auparavant a complètement disparu ?
Toutes ces questions apparemment anodines que se pose le marin Ordo Tupikos sur le changement de personnalité, sont la base d'un roman d'atmosphère totalement captivant qui va nous asservir jusqu'à la dernière ligne car la maîtrise de Donald Westlake en matière de suspense est vraiment d'un très haut niveau.
Il ne faut pourtant pas s'en étonner car Donald Westlake (1933-2008) est l'auteur d'une bonne centaine d'ouvrages et principalement de romans noirs ou policiers dont plusieurs ont été adaptés au cinéma.
C'est le cas d'« Ordo », adapté en France en 2004 par Laurence Ferreira-Barbosa avec Marie-José Croze dans le rôle de l'actrice métamorphosée.

« Ordo » n'a pourtant rien à voir avec un roman policier, pas d'enquête, pas de meurtre, pas de flic ni de détective. Mais l'ambiance générale de ce court roman qui traite de l'identité, du souvenir et de la mémoire, est saisissante dès le départ, car caractérisée par un style épuré et nerveux et un rythme impeccablement balancé sans aucun temps mort.
Les questions qui perturbent Ordo sont de celles qui vont avoir une résonnance dans sa propre existence et inévitablement dans notre propre conscience. Ainsi, jusqu'à quel point faut-il haïr sa vie et son être pour désirer que plus une seule partie n'en émerge ? Dans quel recoin caché les souvenirs, que l'on sait souvent tenaces, se nichent-ils afin d'être entièrement occultés?
Et le bonheur ne passe-t-il que forcément par l‘oubli ?
Beaucoup de questions identitaires auxquelles Ordo tentera de trouver les réponses dans un milieu où justement les faux-semblants sont légion.

En élaborant son récit dans le monde du cinéma, Donald Westlake égratigne en même temps un milieu où il est bien difficile de démêler le vrai du faux, les acteurs endossant leurs rôles de célébrités bien au-delà des scènes de tournages…
« Tout le monde sait que les noms de stars de cinéma sont gravés sur les trottoirs d'Hollywood Boulevard. Chaque année, ces noms perdent un peu plus de leur signification. L'idée de ces noms, c'est l'immortalité, mais ce qu'ils révèlent vraiment, c'est la mort»…La mort de l'ancienne vie et de l'ancienne personnalité de bon nombre de vedettes que l'on crée de toute pièce pour alimenter le fantasme du public.

Le sacrifice en vaut-il la chandelle ? le bonheur est-il au prix de l'oubli et de la négation de l'être ?
En ne changeant pas, Ordo a-t-il finalement raté sa vie ?
Chacun se fera son opinion au terme de ce bref roman plein de subtilité, traduit de l'américain par Jean-Patrick Manchette - un autre auteur de polars - lequel a su retranscrire toutes les finesses et le charme de ce très bon scénario.
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