AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lucilou


En voilà un roman somptueux qui n'a usurpé ni son prestigieux prix Pulitzer, ni les louanges qu'on lui attribue souvent.
Roman de l'amour impossible et de la dénonciation de l'hypocrisie de la bonne société et des conventions qui enchaînent, "Le Temps de l'innocence" est pour moi l'un des meilleurs ouvrages d'Edith Wharton (avec "Chez les Heureux du Monde"), un parfait condensé de son talent tant du point de la vue de l'intrigue romanesque que de la forme.

Nous sommes à New-York dans les années 1870. Il y a la plèbe et il y a la haute-bourgeoisie puritaine et traditionnelle, celle qui s'enorgueillit de descendre des passagers du Mayflower, qui prend le thé dans un froissement de soie et le tintement de la porcelaine, celle qui brasse la finance et l'immobilier mais ne parle jamais d'argent -c'est bien trop vulgaire-, celle qui fait des mariages de convenance et qui se doit d'adopter le mode de vie et de pensée du troupeau. Celle qui vit dans les plus beaux quartiers et qui feint d'ignorer qu'ils sont comme autant de cages dorées où qui a été éduquée à ne pas s'en rendre compte. On en remet pas en question un modèle social qu'on a hérité de ses ancêtres, surtout quand celui-ci est aussi distingué, convenable et luxueux
Newland Archer est un jeune homme issu de cette excellente société. S'il en épouse certains principes -plus par habitude qu'autre chose- c'est également un être cultivé, brillant, ouvert surtout et passionné. Il est fiancé à la jeune et jolie May, véritable joyau de la haute-société new-yorkaise: délicate petite poupée de porcelaine, elle est tout ce qu'on attend qu'elle soit dans ce monde raffiné. Belle, douce, effacée, soucieuse des convenances et de son avenir, la jeune femme fera sans doute une bonne épouse et plus tard une mère parfaite. Elle semble éprise de son fiancé, qui lui ne la déteste pas. Pour autant, ce n'est pas de l'amour, pas vraiment. C'est que la petite est froide quand Newland se montre plus ardent. Elle est même lointaine, dure parfois et insipide surtout... Mais qui a dit que les mariages étaient affaire d'amour et d'inclination après tout? C'est bon pour les poètes et le théâtre, les mariages d'amour... Enfin, les fiancés sont beaux et font bonne figure. Tout va bien... jusqu'à l'arrivée dans ce petit monde bien rôdé de la comtesse Olenska, cousine de May. Cette femme est tout ce que la société réprouve: fantasque, profondément vivante. Mal mariée à un noble polonais, elle a quitté son époux -ce qu'on ne lui pardonne pas- et au lieu de se terrer, discrète, chez elle, comme elle devrait le faire suite à sa conduite scandaleuse, elle n'hésite pas à dire haut et fort ce qu'elle pense, ce qu'elle aime. Elle, une femme! Une femme libre. Et fascinante. Newland s'éprend de la cousine de sa promise qui est tout ce que n'est pas sa fiancée. Or, dans le microcosme que constitue leur société, rien ne peut demeurer cacher et il faut faire des choix. Les doutes et les déchirements de Newland constituent la partie la plus clairvoyante du roman.
"Le Temps de l'innocence" ou la triste découverte que toute la volonté d'un homme n'est rien face à son milieu, qu'il est bien plus douloureux qu'on ne le pense de s'en couper...
Au delà d'une très belle histoire d'amour impossible, Edith Wharton nous livre un roman d'une clarté féroce et d'une grande intelligence. Elle fouille ses personnages avec beaucoup d'empathie et de finesse et analyse leurs ressorts avec pertinence; tente et réussit une véritable analyse sociologique dans une langue somptueuse, délicate dont la richesse n'entrave nullement la fluidité.
Il n'y a rien d'innocent ni de doux dans ce livre qui dénonce l'hypocrisie de la bonne société, sa capacité à briser et qui révèle l'injustice et la cruauté de la condition féminine.
Un très grand et beau roman, qui a eu droit à sa très belle adaptation par Martin Scorsese, un film époustouflant qui a su restituer à l'écran toute la beauté et la profondeur de l'intrigue (et avec le très séduisant Daniel Day-Lewis en plus!). A lire et à voir.
Commenter  J’apprécie          123



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}