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Critique de PhilippeCastellain


Peut-être avez-vous déjà vu cette photographie d'Edith Wharton assise, sa maigre figure dévorée par deux grands yeux sombres. L'une de ces aristocrates nés dans la grandeur, élevés dans des rêves de grandeur, pour qui les parents firent de grands rêves… Et qu'un feu intérieur jeta soudain un jour sur les routes de Mongolie ou dans les bouges misérables où des artistes en loque caressent dans leur tête les idées qui révolutionnent un style. C'est à Paris qu'elle posa ses bagages et fréquenta les plus grands écrivains de son temps, mais c'est à New-York que sa jeunesse fut dorée sur tranche.

Ce New-York qui fut le sien, et que nous découvrons via les yeux de son héros, Newland Archer. Et ce n'est pas le New-York des buildings et de de Time Square des séries. C'est un monde totalement à part, isolé, constitué des quelques dizaines de familles les plus riches et les plus anciennes de New-York – et par extension, de l'Amérique. Leurs vies se déroulent entre leurs magnifiques demeures, l'opéra et les réceptions chez leurs paires. Ceux qui ne font pas partie de leur petit cercle n'existent tout simplement pas à leurs yeux. Cette minuscule société est régie par un nombre absurde de codes. Qui on fréquente, quelles réceptions on snobe ou on honore de sa présence, quels vêtements on met pour le dîner, comment on décore son intérieur, quelle fleur on pique à sa boutonnière… Tout est méticuleusement réglé.

Et ce qui est intéressant c'est que le héros, Newland, ne remet absolument pas tout cela en cause. S'il ne voit pas ce petit codex comme une liste de commandements sacrés et absolus, il les apprécie pour ce qu'ils sont : les liens invisibles qui maintiennent la cohérence d'une minuscule élite, le ciment de la puissante conscience de classe (au sens marxiste du terme) qui leur permet de se considérer comme non seulement supérieur au reste de la société américaine mais surtout à leurs homologues européens dont ils envient tant les particules. Newland aimerait parfois avoir plus de marges de liberté mais au fond, ces codes, c'est sa vie.

Mais son monde est chamboulé par le retour impromptu d'une des membres de cette petite société, la comtesse Olenska, qui n'est autre que la cousine de la fiancée de Newland. Que fuit - elle ? Pourquoi a-t-elle abandonné son mari et veut même – scandale !!! – en divorcer ? Personne ne sait. Personne ne demande. Sa famille resserre les rangs autours d'elle, mais doit bientôt se rendre à l'évidence : pour elle, les codes de la société new-yorkaise sont transparents. Choisit-elle délibérément de les ignorer en étant consciente de l'opprobre qui en retombera sur ses parents, ou est-elle simplement inconsciente de ces règles non écrites ? On ne le saura jamais.

Mais ce que sait Newman, c'est ce que représente pour lui ce beau visage un peu triste. Brusquement, quelque chose a fait irruption dans sa vie. Quelque chose qu'il ne trouvera jamais auprès de la beauté parfaite et du tempérament marmoréen de sa fiancée. Quelque chose qui remet en cause tous les codes de son monde, toutes les règles auxquelles il s'est conformé, tous les choix de vie qu'il a pu faire jusqu'à présent…

L'écriture, magnifique, sait souligner avec ironie le côté absurde de ce monde ultra-codifié que s'est construit une minuscule classe d'ultra-privilégiés, et où les sentiments humains peuvent brutalement – et pour peu de temps – reprendre la place qui leur a purement et simplement été refusée. Et pour autant, quelque chose transparait clairement dans la totalité du récit : aussi consciente qu'elle puisse l'être de ses travers c'est SON monde à elle, Edith Wharton, et elle l'assume.
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