Quel roman ! Quelle histoire ! Quelle maestria !
Trois exclamations qui n'ont littérairement parlant pas grand intérêt si ce n'est celui de la sincérité.
Difficile d'ailleurs "d'exceller" dans le billet, la chronique, la critique, lorsqu'on passe après celles et ceux dont le talent pour l'exercice est reconnu sur Babelio... et à raison...
Aussi n'attendez pas de mon humble retour qu'il dise plus et mieux que ce qui a déjà été si brillamment rapporté, décortiqué, analysé, démontré...
Pas de comparaison donc entre l'héroïne, la "hors-la-loi"
Duchess Day Radley, et d'autres grandes figures romanesques "panthéonisées" si ce n'est pour confirmer que
Duchess fait, via ce roman, son entrée parmi ces figures légendaires.
Pas de tentative non plus de résumer cette histoire touchante, haletante qui se joue des genres avec une habileté confondante.
Bien évidemment le talent de l'auteur est tel qu'il est impossible de ne pas avoir hâte de savoir ce que va nous apprendre la prochaine page, et si ce n'est pas elle, la suivante, sur ce qui ou qui se cache derrière l'une ou l'autre énigme, l'un ou l'autre mystère.
Mais au-delà de ces énigmes et de ces mystères, ce qui m'a bouleversé, c'est le "profondément humain" de cette oeuvre.
Et plus ou du moins tout autant que lesdites énigmes et lesdits mystères, ce sont celles et ceux qui en sont à l'origine, qui les font vivre, qui les vivent et souvent en meurent, qui sont allés murmurer au coeur des terminaisons nerveuses de mon être sensible, ne lui autorisant que de rares et très courtes pauses durant 520 pages remarquablement tenues, dans l'intensité et l'émotion sans complaisance, sans pathos.
Il est difficile de dire ce qui fait un chef-d'oeuvre littéraire.
On peut se risquer à penser que la langue, l'histoire, les personnages et les idées en sont quelques-unes des clés majeures.
Dans -
Duchess -, ces clés ouvrent les portes ou cochent les cases qui font d'un grand livre un chef-d'oeuvre.
La langue, j'en dirai deux mots à la fin de mon intervention.
L'histoire, j'ai dit que je ne chercherai pas à "paraphraser" ceux qui m'ont excellemment précédé. À la limite puis-je me risquer à écrire que le lecteur y trouvera du social, du sentimental ( au plus beau sens de ce terme ), du romanesque, du polar, du thriller, du "mythologique westernien", du psychologique, du souffle, du descriptif romantico écologique, du critique... là, vous devriez commencer à trouver que j'en fais trop... et vous auriez raison, car chacun trouvera dans ce magnifique bouquin quelque chose à ajouter ou à retirer à ce que je viens d'énoncer... Une fois encore, cette oeuvre enjambe les genres. Mais ce qui m'apparaît évident, c'est sa constance, son essence et sa raison d'être, en un mot la Violence.
La violence sous toutes ses formes... j'essaierai d'y revenir.
Les personnages... là est selon moi la grande réussite de ce livre.
Si
Duchess est au centre du récit, tous les personnages qui le composent ont une force, une présence, une dimension qui font qu'une fois le bouquin refermé, vous vous souvenez de chacun d'entre eux, ce qui, dans le cas d'un lecteur de mon genre, un lecteur au déficit mnésique chronique, est rarissime.
Je garde même le souvenir de tous les animaux... y compris celui par exemple de la truite péchée par Robin ( le petit frère de
Duchess ) lors de son excursion avec son "papi" et sa soeur, truite qu'il demande à remettre à l'eau.
Donc du boucher à l'ex-joueur de foot claudiquant, en passant par la dame qui laisse son affreux toutou en garde au shérif pendant qu'elle va faire son shopping, au client du club de strip-tease qui "pelote" Star ( la mère de
Duchess et de Robin ), de la guichetière qui vend un billet de train à
Duchess, du chauffeur de poids lourd qui la prend en stop, du vieux barman qui lui offre un coca en sachant qu'elle n'a pas d'argent pour le payer, à tous les gamins, toutes les familles d'accueil, les randonneurs, tous ceux qui ne font que "passer" dans ce roman, comme Sheen, le psy ou Madeline, la fille de Darke, qu'on ne voit pas mais dont on sent tout le poids de la présence... tous marquent.
Lorsque j'ai dit que ce livre était bouleversant d'humanité, je pense avoir voulu utiliser le mot humanité d'une manière polysémique.
Car dans tous les personnages de
Chris Whitaker chacun peut trouver une part de lui-même.
Celui dont je me sens proche est Walk, le flic "au coeur d'or" dont on pense que les tremblements de ses mains sont imputables à l'abus d'alcool alors qu'ils sont en réalité les effets d'une maladie qui porte le nom d'un certain monsieur Parkinson.
J'ai également un faible pour Shelly, l'assistante sociale infatigable "réparatrice" des malheurs sisyphiens de ce monde.
Et que dire de Thomas Noble, ce petit black affecté d'une Symbrachydactylie ( malformation non héréditaire d'une de ses mains ), amoureux fou de la "hors-la loi" qui va jusqu'à risquer sa vie pour
Duchess...
Je terminerai par Cuddy, le ( ange ) gardien du pénitencier et de Dolly, "l'alter ego" septuagénaire de
Duchess.
Cela étant, c'est grâce au quatuor Star, Vincent, Martha, Walk, épicentre de ce roman, que tous les personnages qu'il introduit peuvent naturellement exister, mais c'est grâce au talent de l'auteur qu'ils réussissent à atteindre une si incroyable dimension romanesque.
Les pensées, les réflexions, les interrogations, les constats, les critiques contenus dans une oeuvre littéraire comptent pour beaucoup dans l'impact qu'elle va avoir sur la matière grise du lecteur.
-
Duchess - ne déroge pas à la règle.
L'hérédité, le déterminisme, le libre arbitre, la morale, les moeurs, le social, les institutions, le racisme, l'histoire, la force, la peur, le courage, la lâcheté, l'enfance, l'éducation, la liberté, la maladie, la mort, la foi ou pas etc etc, tous ces thèmes collent aux personnages et à l'histoire, sans prétention, mais ils sont là et s'imposent "d'eux-mêmes".
Et c'est parce que chacun de ces thèmes véhicule intrinsèquement de la violence que ce roman m'est apparu comme un roman sur la Violence, violence à laquelle quelques-uns des personnages essaient de trouver "l'antidote"... somme toute, ce que nous faisons tous ou presque tout au long de nos vies auxquelles la violence fait office d'inséparable dame de compagnie...
La langue de l'auteur est, traduite en français, "réaliste"... c'est le premier mot qui me vient. Elle ne cherche pas les effets stylistiques mais l'efficacité lucide, la non-dénaturation du réel... une forme d'authenticité ; ce qui n'exclut pas de très jolis passages, essentiellement sur la nature, les paysages ou "l'affect"...
Pour terminer, je vais oser un reproche et me citer.
Extrait de mon billet sur -
Écoute la ville tomber - de
Kae Tempest.
" le maniaque, l'obsessionnel malheureux que je suis qui, lorsque par exemple un auteur emploie le mot " arcanes " ou la locution prépositive " à l'aune de ", retrouve ce mot ou cette locution deux ou trois fois dans un livre de même un millier de pages s'ulcère de ce qu'il ressent comme étant une répétition à la limite du tic, imaginez un instant ce que j'ai pu éprouver en lisant quatorze fois en 425 pages " balayer du regard "... une crise d'exacerbation phobique !!!"
Eh bien...
Chris Whitaker m'a fait revivre la même chose.
13 fois " balayer du regard "... assorti ( le roman ) de quelques répétitions comme " rouler des yeux ".
Je n'en veux pas aux auteurs. Pour avoir fait moi-même un peu de traduction ( italien-français )... j'aurais tendance à penser que celle ou celui en charge de la traduction a son mot à dire afin d'éviter ces pièges répétitifs qui altèrent l'esthétique de l'oeuvre dont on leur a confié la traduction.
Peut-être et vraisemblablement ne souffrez-vous pas de cette stupide manie et c'est tant mieux !
Cela étant, -
Duchess - reste un livre formidable, une expérience de lecture magnifique !