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Critique de PetiteBichette


Ray sue à grosses gouttes, ses mains sont moites. Pourtant, cela n'a rien à voir avec la chaleur ambiante de cet été 1961. Non, Ray enroule le tapis. Ses mains tremblent, il craint que le sang poisseux ne se mette à transpercer la douce épaisseur de cette nouveauté tout juste sortie du catalogue de la dernière collection, et laisse des traces compromettantes sur le sol. Au moins, l'avantage d'être au début des années 60, c'est que toute l'équipe des Experts ne va débarquer manu militari pour tout passer au peigne fin dans son bureau.
Ensuite, il se baisse, hisse doucement le corps et se met à marcher en direction du pick-up. Là, il dépose le lourd paquet. Une fois derrière le volant, il pousse un premier soupir de soulagement. Il sait déjà où déposer son passager clandestin, comme si son paternel lui soufflait quoi faire. Alors qu'il conduit, une pensée le rattrape ; combien de cadavres ont été déposés par son père sur le plateau du pickup qu'il lui a légué ? Mieux vaut probablement ne pas savoir … D'ailleurs Ray se dit qu'il va devoir arrêter ses magouilles, elles pourraient finir par lui couter très cher.
Le récit chronologique de Colson Whitehead est découpé en 3 parties et nous présentent 3 tranches de la vie de Raymond Carney (dit Ray ou Rayray) : 1959, le voilà embraqué malgré lui dans un casse, le braquage de la salle des coffres de l'hôtel le plus chic de Harlem, le Theresa. Cet hôtel existe vraiment, on trouve ainsi des photos sur le net de la rencontre entre Fidel Castro et Malcom X qui s'y est déroulée. Ray se retrouve embarqué bien malgré lui dans cette histoire, à cause de son cousin Freddie, qui l'a désigné à ses coéquipiers comme planque et revendeur du butin « fourgue », chargé de l'écouler en toute discrétion.
Deuxième chapitre, 1961, intitulé la dorveille. La dorveille, c'est le sommeil fragmenté assez répandu avant l'ère industrielle, les gens se couchaient tôt avant la tombé de de la nuit, se réveillaient pour quelques heures d'activités nocturnes, puis se rendormaient pour 4 heures jusqu'au petit matin. Ce passage du sommeil au réveil en pleine nuit, c'est le passage de la face honnête à la face sombre de Ray.
Pourtant, Carney se considère comme un homme respectable, il est convaincu de lutter ardemment contre les instincts de brigand transmis par son père. Il a pignon sur rue avec la grande enseigne lumineuse clignotante de son magasin de meubles à son nom. Il va réussir, il a fait des études, de la comptabilité (c'est dire le niveau de respectabilité, et non, il n'est pas comme son père). Toute la clientèle noire aisée du quartier vient lui acheter ses produits de première qualité choisis avec soin.
Mais la nuit, Ray opère sa mutation, il se réveille après quelques heures de sommeil, quitte le lit et le domicile conjugal qu'il partage avec Elizabeth, l'épouse aimante et fière de lui, mère de ses deux enfants, ignorante de sa part sombre faite de magouilles, de questions d'honneur et de pouvoir dans le Harlem caché et interlope.
Troisième étape du récit, 1964, les affaires se corsent pour Ray avec la disparition de son cousin. « Je voulais pas te créer de problèmes » ne cesse de lui seriner Freddie depuis les chapardages de bonbons de leur enfance. Maintenant qu'ils ont grandi, cette maxime va-t-elle encore faire effet, amadouer Ray pour l'embarquer dans une nouvelle galère et surtout suffire pour tout effacer d'un coup d'ardoise magique ?
L'atmosphère, l'ambiance, le décor sont extrêmement bien plantés par Colson Whitehead, le lecteur admire ce décor de film et ses personnages travaillés et hauts en couleur.
C'est assez amusant, car j'ai lu plusieurs avis de babéliotes qui avaient été emballés par Nickel Boys et ont été un peu déçus de Harlem Shuffle. En ce qui me concerne, si j'avais très moyennement apprécié Nickel Boys dans lequel je m'étais pas mal ennuyée, j'ai beaucoup plus aimé ce Harlem Shuffle, qui, bien qu'il comporte de nombreuses longueurs, m'a vraiment fait vivre dans ce Harlem des années 60, respiré la chaleur étouffante d'une nuit d'été ou d'une nuit d'émeutes, et croisé les doigts pour que Ray se sorte de ses mauvais pas…
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