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Critique de horline


1985. Pour l'été de ses quinze ans, Benjamin Cooper dit Benji quitte New York pour rejoindre comme chaque été le bungalow familial de Sag Harbor, communauté noire des Hampton, et les copains qu'il ne voit pas le reste de l'année. Ces potes ayant abandonné le vélo pour leur première voiture, le Ice tea pour la première bière, les batailles pour le premier job, on s'attend à un été riche en découvertes pour le narrateur. Mais pour ce « gentil garçon opportunément invisible », seul noir d'une école huppée de Manhattan, il importe d'abord de rattraper son retard en matière d'argot et de culture afro-américaine…


Pas d'évènements fracassants dans ce roman qui se déploie lentement au fur et à mesure que l'été avance. Nourri d'anecdotes savoureuses vécues comme autant de rites d'émancipation, le récit est une rétrospective des composantes nouvelles et permanentes de cet été 1985 sur un territoire balisé entre le bungalow, la plage, les collines, le cinéma et Jonni Gaufres. Avec un regard captivant et une lucidité amusée, l'auteur inspecte non seulement les infimes détails de ces petites choses futiles qui occupent les journées interminables de l'été mais aussi ce qui résiste au temps qui passe.


Roman de la mémoire, roman de la nostalgie des petites et grandes choses, roman des « générations qui se [succèdent] et se [réincarnent] », on sort de cette lecture ébloui grâce au narrateur, double parfait de l'auteur, intelligent et sensible. On ne peut être que séduit par l'écriture magnétique, la langue qui capte les petits sarcasmes, les subtilités très drôles et les drames en suspens. Benji observe, s'amuse des tics de sa génération, s'irrite de sa maladresse comme de sa « coupe afro pourave ». C'est une oeuvre remarquable dans laquelle la réflexion et l'humour s'enrichissent mutuellement.
Oeuvre d'autant plus remarquable que Colson Whitehead ne construit pas. Loin du roman de formation, l'auteur n'a d'autre ambition que de raconter les futilités d'un été à l'adulte qu'il est devenu, avant que le temps ne trahisse ces souvenirs, avant que la mémoire n'altère ces images du passé. Style doublement efficace car il permet à Whitehead de restituer et de manière magistrale le chaos de l'esprit chez les adolescents. Même si s'annonce de manière sous-jacente une double quête, identité personnelle et communautaire, le récit dessine avant tout les contours de cette période où l'enfant encore subjugué par le banal cherche à inventer l'adulte en devenir. Il dépeint habilement les grandes contradictions et les petites victoires, les mortifications et l'excitation pour des petits riens, l'enthousiasme pour la nouveauté et le réconfort de ce qui est familier comme la fierté noire attachée aux pionniers qui ont conquis ce bout de terre aux blancs de East Hampton.
Auteur brillant, roman passionnant et certainement l'une des meilleures œuvres que j'ai pu lire depuis bien longtemps.
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