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Critique de Tempsdelecture



J'entame cette fois ma rentrée des Editions Métailié avec le premier des quatre titres prévus à leur programme, comme chaque année, qui l'oeuvre d'une autrice péruvienne : Gabriela Wiener. Elle écrit depuis l'Espagne où elle habite désormais et trace ici un roman autobiographique ou autofictionnel, on ne sait pas vraiment. Enfin, si l'on se penche sur sa wiki biographie, et lisant les quelques lignes dévouées à sa vie privée, on dira que ce roman penche davantage sur le récit autobiographique. Néanmoins, par principe de précaution, je pars du fait qu'il s'agit d'une (auto?) fiction, a minima.


Son nom de famille, Wiener, qui est son nom de jeune fille, n'a rien de péruvien et si l'on consulte la page Wikimedia de toutes les célébrités portant le même nom, on s'apercevra qu'ils sont toute une foultitude de Wiener plus ou moins connu. Parmi eux, Charles Wiener, non pas le graveur belge, mais son homonyme, l'explorateur d'origine autrichienne naturalisé français. Tout part de cette homonymie entre cet explorateur et l'autrice, unis par un lointain lien de parenté, dont elle n'est pas forcément fière, ce qui relève de l'euphémisme. Ce n'est rien de le dire puisque dès ce chapitre liminaire, en visite au musée du Quai Branly, devant les antiquités rapinées par son aïeul, l'autrice attaque en force en révélant justement sa qualité de vulgaire pilleur d'antiquités incas. En remettant en cause la légitimité de cet homme, juif et viennois d'origine, largement salué par ses paires à l'époque, nous n'allons pas simuler la surprise quant à ce dernier point, Gabriela Wiener va entreprendre des fouilles archéologiques sur ses propres racines, elle fille de Chola, à la peau si brune.

Roman des origines, roman de l'identité, en se penchant sur la vie de cet ancêtre dont elle tient son nom, elle considère d'abord d'un point de vue historique, les interrogations sur ses qualités ethniques au sein du monde : femme, autrice, péruvienne, métisse, indigène, mais aussi hispanophone, bisexuelle, fille, mère, soeur, héritière, compagne, sud-américaine exilée dans une Espagne raciste. Sa première préoccupation, c'est d'abord de symboliquement restituer au Pérou tous les objets subtilisés par notre explorateur d'un autre temps, remettre les choses à leur place même si les musées français sont d'un autre avis. Puis de reconstituer sa filiation, et son identité actuelle.

Le bien-fondé de Charler Wiener, dans sa posture d'explorateur est dès le début remise en cause, sa place en tant qu'aïeul sera discutée pendant le long du roman, et passer au second plan. Il y a la dimension personnelle de Gabriela Wiener, et la dimension générale de cette féministe racisée, qui évoque sa condition de femme maltraitée par une société blanche et patriarcale, tout ce que représente Charles Wiener, voleur de patrimoine, et pire, voleur d'enfant. Un homme qui exerce une forme de violence, parfait représentant de cette violence coloniale encore perpétuée en Espagne comme en France, une violence patriarcale d'une société aux schémas simplistes et préremplis. On observe lentement que se libérer de cette ascendance dérangeante, l'homme a poursuivi son rôle du parfait, petit colonisateur en abandonnant femme et enfant au pays, est le but même de ce roman : un travail d'émancipation qu'elle a commencé avant d'arriver en Espagne, qu'elle a poursuivi sur ce ring de boxe, là où les Américains latins restent encore pris à partie.

L'écriture de Gabriela Wiener est fantastiquement éloquente et pittoresque, elle est celle d'une femme dont l'écriture est sa forme d'activisme, pour faire éclater les cadres, elle vit ainsi en trouple (couple +1), dans le pays colonisateur devenu pays d'adoption où sa couleur de peau la fait passer pour les boniches de service, celles dont les familles de moyenne catégorie employaient au noir. Son pays d'origine n'est pas en reste, la violence est celle que l'on subit, le vol, racisme. Comme elle l'a dit de sa propre mère, fille d'Indienne, Gabriela Wiener construit son propre mythe personnel, d'abord à travers son identité familiale, fille d'un couple mixte, puis à travers son identité personnelle, femme métissée au Pérou, femme noire en Espagne, artiste, bisexuelle, refusant de choisir entre deux amours, une femme ou un homme. C'est ce portrait huerta, de cette femme qui sait aussi user d'ironie, dépassant le racisme pur et dur, le renvoyant dans sa propre médiocrité, celle du nazisme. Si légalement les formes de racisme sont punissables, il n'empêche que toutes les lois du monde ne sauraient y mettre un terme ou un frein, l'auteure use aussi de son pouvoir – rabaissement, humiliation moquerie – pour le traiter à sa façon, le niveler à sa vulgarité, son inconsistance.

Avec le temps, je suis de plus en plus réceptive à ces ouvrages qui ont une dimension féministe, il faut dire que j'aime assez comme Gabriela Wiener tourne son homonyme en dérision, démontant minutieusement sa pseudo postérité, lui qui a oeuvré toute sa vie pour marquer l'histoire de sa personne, et finalement la mythologie ou mythomanie de ce parait parangon du sauveur blanc. La meilleure phrase qui le caractérise c'est encore celle-ci : « son plus grand mérite est de ne pas avoir trouvé Machu Pichu, mais d'avoir été à deux doigts de le faire« . C'est un récit qui opère une remise en place salutaire de mensonges qui ont été ténus lieu de vérité historiques, un peu comme ces légendes urbaines dont on parle comme des vérités avérées.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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