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Critique de Colchik


Nous connaissons Annette Wieviorka pour ses travaux sur la Shoah sans parfois connaître la femme qui se dissimule derrière l'historienne. L'Écureuil de Chine, publié en 1979, abordait déjà ses années chinoises, mais désavouant ce livre qu'elle juge lucide tout en étant exhibitionniste – je ne l'ai pas lu – elle revient ici sur son expérience chinoise, avec un avant et un après : tout d'abord l'engagement à l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCml) cristallisé par Mai 1968 (elle a 20 ans), ensuite le militantisme aux Amitiés franco-chinoises, organisation chapeautée par le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF).
Le chemin de Wieviorka mène d'une illusion, défendue envers et contre tout, à une renaissance, au prix d'une dépression et d'un suicide raté.
Tant qu'il s'agit de vivre le maoïsme dans la mouvance de l'extrême-gauche des années 68 et « de faire connaître au peuple de France les réalisations de la Chine « rouge », tout va bien, puis vient le moment de l'installation en Chine, avec époux et enfant, en 1974. Elle enseigne deux ans le français à l'Institut d'enseignement supérieur de Canton et fait partie des rares étrangers séjournant en Chine.
Dans l'enthousiasme face à l'émergence d'un monde nouveau se glissent peu à peu les doutes, réprimés par la chape idéologique environnante et l'autocensure. Quand le malaise se fait trop grand, Wieviorka redouble de démonstrations de fidélité au régime : vacances harassantes passées à visiter les réalisations de la société socialiste, participation aux travaux de terrassement dans l'agriculture ou travail à l'usine. Les rares Occidentaux de son entourage font assaut d'allégeance avec l'encadrement communiste et se jalousent devant les maigres manifestations de considération qui leur sont accordées. Quant aux Chinois, ils se tiennent à distance, renforçant le sentiment d'isolement et d'incompréhension.
J'ai dévoré ce livre, emportée par la sidération. J'ai eu l'impression de voir un noeud coulant se resserrer jour après jour sur le cou d'une jeune femme ne voulant pas trahir un engagement embrassé dans l'effervescence révolutionnaire des années soixante-huitardes. Aveuglement, oui. Tout en vouant un amour sincère à la Chine pauvre et rurale qu'elle a connue. Pas de reniement, mais un bilan sans appel sur sept années d'endoctrinement : « J'ai compris que ma trahison résidait dans cette volonté de s'enraciner au pays de la terre, de se fondre au pays de la multitude, là où le mot « Juif » même est inconnu. »
Je ne rentrerai pas dans la polémique de ce qui était connu ou su, à l'époque, du goulag chinois et des horreurs de la Révolution culturelle : Simon Leys avait publié en 1971 Les Habits neufs du président Mao, Ombres chinoises en 1974 et Images brisées en 1976. Comme le dit Wieviorka, « On se méfie d'eux (les sinologues), car ils sont porteurs d'une tare redoutable : ils savent généralement de quoi ils parlent, et la connaissance est ce qu'il y a de plus dangereux. »
« Ce récit au pays de ma mémoire est aussi une réflexion sur le devenir de la Chine aujourd'hui » annonce l'historienne. Je dois avouer que je ne l'ai pas vue, si ce n'est un constat sur la mise au pas de Hong Kong et le triste sort fait aux Ouïgours.
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