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Critique de Musa_aka_Cthulie


L'Importance d'être constant se trouve être la toute dernière pièce d'Oscar Wilde, créée en 1895 en même temps qu'Un Mari idéal, avant le malheureux procès en diffamation que Wilde intenta au marquis de Queensberry et qui lui valut d'être condamné à deux ans de travaux forcés pour homosexualité. Les écrits De Wilde ne seront après ça plus empreints de la moindre légèreté ; or, Wilde était-il aussi léger et superficiel qu'il le clamait ? On peut en douter notamment avec L'Importance d'être constant, comme l'annonçait d'ailleurs également Un Mari idéal. Wilde a toujours joué d'une certaine ambiguïté, ambiguïté qui est portée par le titre et le sujet de cette pièce. le titre original est "The importance of being earnest", ce qui permettait à Wide un jeu de mot sur le prénom "Ernest" et l'adjectif "earnest", qui dans ce cas implique essentiellement la notion de sincérité... dans une pièce qui traite allègrement, sous une apparence de grande légèreté, de l'hypocrisie dans la société victorienne, rien de moins. Et Wilde savait bien de quoi il parlait. La traduction française ne permettait pas une transposition littérale de cette notion essentielle de sincérité, mais on a trouvé un expédient et, ma foi, on comprend en français malgré tout le jeu de mots central de la pièce et ce qu'il implique.


Une intrigue très simple, qui reprend les fameux schémas de la comédie depuis des siècles : projets de mariage contrariés, quiproquos et chassé-croisé, fin à la "Oh, voilà que je retrouve mon enfant qui me fut enlevé alors que..., etc., etc." Avec un détail qui compte : la double personnalité que Jack, un de nos deux protagonistes principaux, s'est inventée sous le nom de Constant afin de passer pour un tuteur modèle auprès de sa pupille, et dans le même temps faire la bringue sous le prénom de Constant / Ernest, censé être son frère. Mais il est percé à jour par Algernon, son meilleur ami, qui recourt au même genre de diversions pour éviter les obligations mondaines et familiales ennuyeuses. Si Jack a son frère imaginaire Constant, endossant tous les défauts que réprouve la société victorienne, Algernon a imaginé son ami Bunbury, malade et au seuil de la mort selon les besoins. Jack et Algernon sont donc, selon les termes de ce dernier, des bunburistes : des bons viveurs qui mentent pour échapper aux règles sociales tellement pénibles. Or l'amour s'en mêle, ainsi que la tante d'Algernon et une floppée de personnages tout aussi intéressants les uns que les autres, rivalisant de virtuosité, de spiritualité et d'humour dans leurs dialogues, quitte à se contredire eux-mêmes avec allégresse.


Ce qui frappe par conséquent, c'est entendu, c'est la virtuosité des dialogues De Wilde, permettant à la pièce de tenir un rythme qui ne ralentit à aucun moment ni ne perd de sa verve ou de sa finesse. On a l'impression de retrouver les fameux aphorismesDe Wilde à tout moment, on a même la sensation de reconnaître Wilde dans le personnage d'Algernon. Mais, à mon sens, ce serait une erreur de croire que Wilde a cherché à se détourner de la critique sociale et de ne chercher qu'à divertir son public. Évidemment, on est facilement trompé par tout ce que Wilde a clamé ici et là pendant des années, par l'image de dandy qu'il avait mis un soin particulier à se construire, et par ses théories esthétiques, qu'il a développées au fil des années. On sait que Wilde était proche des préraphaélites et qu'il se faisait le chantre de l'aestetic movement. Il en ressortait notamment que Wilde promouvait l'art pour l'art et fustigeait toute notion de morale dans une oeuvre d'art. Il prônait également les critiques littéraires totalement subjectives et même, carrément, de mauvaise foi.


Sauf que... Sauf que les préraphaélites, desquels il était si proche, ont souvent créé des oeuvres imprégnées de morale d'ordre religieux, social, politique. C'est le cas de Rossetti, de Millais, de William Hunt entre autres, qui pourtant ont également commis des oeuvres sans arrière-pensée moralisante (ce fut au moins le cas de Millais et de Rossetti). Quant à Morris, on sait assez qu'il était un socialiste convaincu, et que ses papiers peints n'avaient pas seulement pour but de faire joli ; il a donné des conférences sur des thématiques clairement sociales, et il était important pour lui que chacun puisse vivre dans un environnement personnel donnant la priorité aux valeurs esthétiques (je ne parle même pas du concept de partage du travail, qui devait faire grincer bien des dents) ; mais ceci demanderait un article à lui tout seul, et même bien plus. Toujours est-il que Wilde a navigué dans ces eaux ambiguës qu'étaient le mouvement préraphaélite et l'aestetic movement, prônant le règne de l'apparence et de la superficialité comme indispensable, tout en étant une personne érudite, ayant beaucoup étudié et réfléchi aux concepts d'art et d'esthétique... ainsi qu'à l'hypocrisie de la société dans laquelle il vivait.


Et tout cela se retrouve dans L'Importance d'être constant. L'hypocrisie de la société victorienne est clairement au centre de cette pièce, ne serait-ce que via les personnages de Jack et d'Algernon qui montrent un double visage à leur entourage. Mais ce n'est pas si simple ! Car s'ils choisissent cette forme d'hypocrisie, c'est que la société elle-même les y poussent. Et d'autres personnages - en fait, tous ou presque, - incarnent cette hypocrisie généralisée. Là ne s'arrête pas le sous-texte : idées féministes émergeantes, avec la caricature des idées farfelues que les jeunes filles se font du mariage (épouser un homme qui a pour prénom Constant est l'idéal absolu), comportement et idées sur les "classes inférieures" d'Algernon, sorte de double De Wilde, traitées de façon ironiques, répliques sur ces mêmes sujets de la part de la jeune Cecily tout aussi ironiques (elle a le tort de faire fonctionner sa cervelle), tout comme ce qui relève en général de la connaissance, de la culture, de l'idée parfaitement grotesque de réfléchir par soi-même, du mariage, des relations de couple et de la vie en société.


Alors oui, c'est enlevé, c'est drôle et ça se lit tout seul. Mais c'est aussi sacrément caustique et critique, et ce serait dommage d'éluder cet aspect de la pièce sous prétexte que Wilde s'était jusqu'à cette année de 1895 ménagé une image d'auteur fantasque , chantre de l'apparence et de l'art pour l'art. Image qu'il laissera complètement tomber, et pour le court reste de sa vie, quand il sera, peu de temps après la création de L'Importance d'être constant, incarcéré...

Lien : https://musardises-en-depit-..
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