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Critique de mesrives


Accompagnée de Diane Wilson j'ai suivi la piste des gardiennes de graines pour retrouver Les semeuses, des femmes grand-mères, mères, filles. Une piste bordée d'asclépiades menant aux rives du Minnesota, le fleuve, l'eau source de vie. Une terre, berceau des Dakhotas aujourd'hui cultivée par les descendants de colons européens subissant le contrôle de firmes agro-alimentaires, des fermiers du Midwest des années 70 pris dans le maelström d' une agriculture en mutation, certains à terre comme un siècle plus tôt l'avaient été les Dakhotas, affamés puis déportés, leurs terres confisquées.

Sur la piste des gardiennes de graines, un détour sur les lieux de la bataille de Birch Coulee (1862), une marche jusqu'à Mankato pour commémorer l'exécution collective de dizaines d'amérindiens, un pow -wow pour ne pas les oublier. Et sur le chemin, à la lisière d'un bois, une cabane abandonnée où Rosalie Iron Wing, la narratrice principale, le coeur de ce récit intergénérationnel, reprend son souffle pelotonnée sous le plaid de son enfance, une courte pointé élimée, délavée, parsemée d'étoiles.

Rosalie se rappelle et n'a pas oublié les récits de son père, les Dakhota sont le peuple des étoiles. A quarante ans après avoir été arrachée à sa communauté, placée en famille d'accueil, devenue épouse d'un fermier, mère d'un adolescent, et aujourd'hui veuve, elle fait le deuil de son époux, l'inventaire de sa vie, se demandant qui est-elle vraiment, épuisée, en bordure du cercle communautaire. Venue se ressourcer en plein hiver sur les lieux de son enfance, Rosalie à bout de force doit se revigorer pour trouver sa voie ou une issue afin de re-naître. Confrontée à son passé elle va retrouver un chemin de vie grâce à des gestes ancestraux pressentis quelques années auparavant lorsqu'elle s'occupait avec son jeune fils du jardin familial.

Diane Wilson construit son texte comme un patchwork, le patchwork de la courtepointe de Rosalie, symbole de son identité amérindienne, de son appartenance à un passé douloureux où chaque pièce révèle et réveille une mémoire. Celle de la terrible guerre des Sioux de 1862 avec les exécutions à Mankato, les déportations, les réserves, celle du temps des pensionnats, des familles disloquées, des enfances brisées, des vies violées mais aussi celle de l'acculturation, de la marginalité et de l'invisibilité avec son lot d'addictions, du diabète qui lamine les siens puis celle du pardon, de l'acceptation, de la résilience et enfin celle de la réappropriation et de l'espoir.

Diane Wilson nous donne à entendre des voix féminines fortes et courageuses, reliées les unes aux autres par la connaissance des plantes, la culture et la conservation des graines. Des voix qui se font écho. Les voix des semeuses qui permettront à Rosalie de retrouver ses racines et se tourner vers l'avenir grâce à la transmission de ces savoirs ancestraux. Les pièces du patchwork assemblées, les plaies cautérisées un chemin s'ouvre alors pour rejoindre le cercle, être un maillon de la communauté et participer à un avenir maîtrisé et devenir à son tour une nouvelle graine fortifiée par la mémoire de sa lignée .

Les semeuses une immersion dans la cosmogonie des peuples premiers de la Prairie, leurs traditions et leurs mode de vie. Les semeuses, un texte qui rappelle la destruction d'un monde harmonieux transformé en chaos par les Blancs où spiritualité, respect du vivant, cueillettes de baies sauvages et plantes médicinales participaient à un équilibre vertueux où la reliance avec la Terre et l'Univers était sacrée.

Avec Les semeuses, Diane Wilson écrivaine d'origine autochtone, de la tribu sioux Mdewakanton du Minnesota évoque un pan de leur histoire de 1860 à 2002 à travers les moments charnières de la domination blanche et ses conséquences sur la population autochtone tout en montrant la capacité de résistance et la vitalité de la communauté amérindienne. Comme fil conducteur une histoire de plantes, de graines, sauvages ou cultivées garantes de la survie des Dakhotas et des être humains comme de celle d'une partie de la faune. En exergue, un hommage à Ernie Whiteman (1947-2019), né et élevé dans la Réserve de Hinino'ei (Wyoming) un artiste aux multiples facettes, professeur et éducateur, devenu un chantre de la culture contemporaine autochtone, le symbole de cette renaissance et d'une présence au monde ranimée. L'éclairage et l'esprit du poème, Les graines parlent, de l'épigraphe prend alors tout son sens.

Diane Wilson, militante environnementale, signe ici avec ce premier roman inspiré de sa vie, un texte fort, intime et pudique, poétique, émouvant et poignant, plaidoyer pour la reconnaissance des peuples autochtones et de leurs savoirs tout en alertant les consciences sur des problèmes écologiques majeurs (pollution chimique des eaux de rivière, utilisation du maïs transgénique).

Mais le jour se lève, une pluie bienfaitrice à arroser la Terre Mère, le cycle naturel et éternel de la vie et des saisons continue : dormance, germination, pollinisation. Un dernier rituel avant de reprendre la route le corps et l'âme purifiés par la fumée de sauge, j'enterre une pincée de chamsasa sous un chêne centenaire en ultime offrande et serre très fort dans ma poche une poignée de graines : « Du maïs couleur lavande et rose, des haricots tachetés de noir et blanc, et la graine de courgette en forme de larme ». Fin de la piste, les rencontres ont été belles et j'ai les yeux humides, je m'éloigne sous un ciel sans nuages. Les herbes dansent toujours ...

Je remercie la traducteur Nino S. Dufour et les éditions Rue de l'échiquier pour ce nouveau titre et ce livre objet dont la première de couverture est promesse de cueillettes à venir et de graines à conserver.
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