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Critique de elan_noir


Quel talent ! Quel ennui !

Il suffit d'avoir, au moins une fois, tenté d'aligner trois mots en plaçant la virgule au bon endroit, pour mesurer l'étendue de la virtuosité de Virginia Woolf. Comment fut-il possible d'être dotée d'un aussi prodigieux talent pour l'écriture et de le gâcher en d'aussi vaines considérations bourgeoises ?

Je me fous, à un point qui pourrait vous donner une idée de l'infini, de ce que la grande bourgeoisie anglaise du début du XXe siècle pouvait suggérer d'elle-même. Et pourtant, je n'ai cessé d'être fasciné par cet incroyable foisonnement de pensées, de mots, de futilités, de couleurs, d'odeurs, de résonances, d'âmes errantes, de détails, de regards, de vies gâchées, de folie, d'égoïsmes, de snobisme, de bruit et de fureur qui caractérise l'histoire de Mrs Dalloway. Quand je lisais, parfois sautant un chapitre, revenant sur un autre, je voyais Virginia seule, au bord d'un étang. Elle se nourrissait d'une brume indécise et du chant d'une mésange, s'emparait d'une poignée de gravier et brisait ce fragile équilibre. Et de ces dizaines, ces centaines, ces milliers de remous à la surface de l'eau, elle échafaudait un imaginaire. Capable de décrire du bouleversement de cette harmonie précaire la moindre irisation, la plus étroite vibration, le souffle le plus ténu avec autant de fougue et d'ingéniosité que s'il avait s'agit de représenter les dernières heures de Pompéi ou des passagers du Titanic. Son tableau de la traversée de Londres par une automobile relève d'une précision et d'une fantaisie presque irréelles.

Peintre, elle aurait probablement été impressionniste. Musicienne, elle aurait surpassé Gould dans ses interprétations de Bach. Elle fut écrivaine et sculpta les mots et les âmes par petites touches avec une vigueur, un charme et une précision qui par moment faisait d'elle l'égale des dieux. Alors pourquoi cette impression de chef-d'oeuvre inachevé ?

Parce qu'il me manque quelque chose avec Virginia Woolf. Il me manque l'essentiel. Je suis imperméable à ces incessants jeux de miroirs dont les reflets en viennent, invariablement, à se perdre dans les méandres de l'ennui. Je comprends son cheminement, j'admire ses tenues, les plus petits recoins de son visage, l'infinie grâce de son âme, mais elle ne me touche pas. Elle ne m'atteint pas. Je n'en tire aucune gloire. Cette impression de passer à côté me questionne.

Je crois que Virginia avait le talent, peut-être unique, de savoir donner corps aux plus insignifiantes subtilités d'un monde tout droit issu des circonvolutions de son imaginaire. Un monde créé qui la fascinait au point de s'y perdre elle-même. Un monde peuplé de ses fantômes intérieurs, de ses cris, de ses doutes, de ses espoirs aussi. Un univers presque infini, mais borné par la croûte interne de son crâne. Elle se nourrissait de l'arborescence de ses rêves et du jaillissement de ses angoisses qui s'étendaient en une myriade de personnages pourtant lisses et froids. Submergée par ses figures de verbe et papier, incapable de s'extirper de ce gigantesque canevas intérieur elle se noya. Au plus profond d'elle-même…

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