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Critique de colimasson


Clarissa est d'un tel ennui… le début du roman nous montre un personnage assommant dont l'esprit semble seulement mobilisé à songer à l'organisation de sa soirée mondaine. Et les fleurs, et l'ambiance, et les invités… Vite, une ballade à l'extérieur pour se changer les idées ! Malheureusement, la vue du paysage alentour n'apporte pas plus de réconfort au lecteur. Et tel détail rappelle tel souvenir anodin, lorsqu'il ne conduit pas à un déchaînement d'impressions lyriques sans aucun rapport avec leur motif. Ridicule de s'enthousiasmer pour si peu. Cela sonne faux. A quoi donc se dope Clarissa ? Peut-être à rien, finalement… Tout reste tellement terre-à-terre, pragmatique… Est-ce cela la vie de l'esprit ? Se tourner vers des détails, tout analyser, tout observer, créer sans cesse des liens entre tel élément de l'extérieur qui rappellerait tel souvenir passé, telle projection future, qui ferait écho à tel sentiment présent ? La conscience ne serait-elle vraiment qu'une stimulation incessante de la pensée ? L'esprit qu'on presse comme un citron pour en extraire jusqu'à la dernière goutte d'insignifiance ?

Les premières pages sont vraiment indigestes. On se prendrait presque à détester la nature humaine qui se sent obligée de décortiquer le moindre geste insignifiant sous prétexte de rentabiliser sa cervelle. Dans un sens, c'est fait exprès, et Virginia Woolf délaisse intentionnellement l'intrigue au profit de l'introspection et de la valorisation de la vie intime de l'individu. Reste maintenant à savoir si cette vie intime, telle qu'elle nous est présentée, ne relève pas à son tour de l'affabulation pure. Pour moi, la réponse est claire : oui. L'essai n'est pas concluant. Sans révolutionner particulièrement la narration, la volonté de faire évoluer parallèlement six consciences différentes au cours d'une seule journée de juin 1923, à Londres, rend le récit inutilement alambiqué. Les sauts entre les différentes consciences sont suggérés et le va-et-vient incessant entre réalité extérieure et pensée intime se traduit par des procédés lourds, qui ont au moins le mérite de représenter de manière réaliste la difficulté de passer d'un monde à un autre. Ceci mêlé au style de Woolf, déjà suffisamment pompeux à la base, rend la lecture ennuyeuse et inutilement compliquée. Des ambitions d'écriture aussi élevées présentent-elles un quelconque intérêt lorsqu'on s'attarde seulement à décrire une rue animée, la composition d'un bouquet de fleurs ou un ciel étoilé ?

Heureusement, les thèmes abordés par Woolf ne se limitent pas à cette multiplication de détails. Dans son désir de saisir la complexité de l'être, partagé entre superficialité mondaine et profondeur psychologique, les consciences subissent elles aussi des décorticages minutieux qui dessinent un maillage étroit de liens entre les personnages. L'évocation des souvenirs, des sentiments passés et présents, des conceptions différentes, les rapprochent ou les éloignent sans cesse. On s'approche d'eux de manière sincère, avant d'être étourdi par le gouffre qui se creuse entre ce que l'on sait d'eux, intimement, et ce qu'ils souhaitent montrer en spectacle, dans leurs rapports quotidiens avec les autres. Ce n'est sans doute pas une grande découverte de réaliser que le jeu des conventions nécessite de dissimuler certains de ses aspects et d'en faire ressortir d'autres, mais il est intéressant, dans ce livre, de lier la nature première des personnages avec ce qu'ils décident de révéler d'eux lorsqu'ils évoluent dans la mondanité. Dans cette manière de se dérober aux yeux des autres, on peut quand même deviner certains aspects de leur véritable caractère. Seul Septimus, engoncé dans sa folie, semble échapper à ce jeu de mascarades, et c'est pourquoi il effraie : sa femme, les médecins, les passants… Psychologiquement anéanti par l'expérience de la guerre, il retrouve une part de quiétude en hallucinant. Tout lui parle : les arbres, les oiseaux, la lumière lui font des signes et lui confirment qu'il est sur le bon chemin. le médecin veut l'envoyer en maison de repos, sa femme le hait, partagée entre terreur et pitié, mais Septimus est détaché de tout cela et s'embarque dans des passages magnifiques qui font jaillir en lui une foi et des espoirs que la réalité ne lui avait jamais permis de connaître. Dans la même lignée que Septimus, Clarissa offre aussi des réflexions lumineuses et inspirées qui essaient de s'imposer face au monstre qui accapare trop souvent sa quiétude.

Mrs Dalloway est à l'image de ses personnages : il engourdit le lecteur dans de longues phrases ampoulées qui soulignent le paraître mais, au milieu d'une torpeur qui n'est ni agréable, ni désagréable, l'illumination apparaît. Des passages lumineux et limpides se défont de la masse compacte du reste du livre. Ces moments justifient à eux seuls la lenteur et l'ennui du reste du texte. L'ambition de retranscrire le sentiment d'une journée ordinaire est accomplie : au milieu d'un immense ennui qui porte soit au mépris, soit à la lassitude, surgit soudain un évènement qui s'inscrit hors du temps et qui colore l'esprit pour lui donner la force de poursuivre son calvaire monotone.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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