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Critique de Lutopie


Après le roman à l'eau de rose, Virginia Woolf invente l'essai à l'eau de rose.
Et elle n'oublie pas d'intégrer dans sa composition les épines de la rose : l'essai de critique littéraire s'avère être assez piquant.

Virginia W. s'est vu confier la mission de traiter le sujet suivant : Les Femmes et le Roman. Je corrige : un personnage de roman intégré à un essai littéraire se voit confier cette mission ... mais Virginia Woolf ne se cache pas très loin derrière son personnage alors faisons comme si son personnage s'appelait non pas Mary mais Virginia.

Virginia se plonge dans les rayons de la bibliothèque du British Museum pour y puiser son inspiration et surtout pour établir sa bibliographie , et elle trouve quelques perles :

"La condition de la femme au Moyen Âge,
Coutumes féminines aux îles Fidji,
Femmes adorées comme déesses,
Faiblesse du sens moral chez les femmes,
L'idéalisme des femmes,
La conscience des femmes est supérieure à celle des hommes,
Les femmes des îles des mers du Sud,
Le charme des femmes,
Offert en sacrifice aux femmes,
Petit volume du cerveau féminin,
Le subconscient des femmes plus grand que ...
Moindre développement du système pileux féminin,
L'infériorité psychique, morale et physique de la femme,
L'amour des enfants chez la femme,
Longévité plus grande de la femme,
Faiblesse musculaire de la femme,
La force des affections chez la femme,
La vanité de la femme,
Les études supérieures chez les femmes,
L'opinion de Shakespeare sur les femmes,
L'opinion de lord Birkenhead sur les femmes,
L'opinion du doyen Inge sur les femmes,
L'opinion de la Bruyère sur les femmes,
L'opinion du Dr Johnson sur les femmes,
L'opinion de M.Oscar Browning sur les femmes...

Elle constate qu'une majorité écrasante de livres sur les femmes sont écrits par des hommes et elle constate que certains hommes aiment un peu trop les femmes, et que d'autres n'aiment pas du tout les femmes. Elle se moque de certains de ces hommes illustres les plus agressifs envers les femmes en faisant leur portrait : l'un est tellement affreux qu'il ne peut séduire les femmes, ce qui expliquerait sa rancoeur, un autre préfère les hommes aux femmes etc. Elle ne se prive pas de l'attaque ad hominem dans ces deux cas, après tout, la rose blessée qu'elle est se défend avec ses épines , mais la plupart du temps, elle garde la tête froide pour traiter le sujet avec sérieux.

Elle étudie donc conscienceusement son sujet mais Virginia Woolf, sans surprise pour celles et ceux qui la connaissent, laisse dériver son esprit sur un fleuve, elle déambule, se promène entre les rayons comme à l'extérieur du British Museum, elle marche et elle navigue jusqu'à des barrages, jusqu'à des portes fermées comme la porte de l'Université dont le libre accès est strictemement réservé aux hommes, alors elle rentre, en elle-même pour tenter de comprendre pourquoi les hommes et les femmes n'ont pas un traitement égal pour ce qui est d'accéder aux livres, à l'éducation, à la culture. Et elle mène sa barque jusqu'à démontrer que les femmes sont plus pauvres que les hommes parce qu'elles n'ont pas une chambre à elles, parce qu'elles ne pouvaient écrire au temps de Jane Austen que dans le salon commun, qu'elles n'avaient pas toujours le temps d'écrire, cantonnées qu'elles étaient aux tâches domestiques. Elle regrette qu'elles n'aient pas eu leur indépendance. Et ceci explique pourquoi selon elle les femmes de son temps à elle n'ont pas accédé au même statut social que les hommes. le sujet est donc aussi sociologique que littéraire.

En même temps, elle ne se prive pas de faire remarquer la pauvreté intellectuelle des femmes, de certaines poétesses par exemple, ou de celles qui écrivent des romans, mais à leur décharge, elle rappelle que c'est parce qu'elles n'ont pas accédé à la même éducation que les hommes. Et elle est moins sévère envers elles qu'envers les critiques masculins de la femme de sexe masculin.

Elle essaie de comprendre les relations entre l'homme et la femme et donne pour illustrer son propos l'exemple d'un jeune homme et d'une jeune femme qu'elle observe depuis sa fenêtre. Ils viennent chacun de deux endroits différents -car l'homme et la femme sont différents - et cheminent chacun de leur côté jusqu'à ce qu'ils se rejoignent et prennent ensemble un taxi, c'est ainsi qu'ils disparaissent de sa vue. Elle se dit qu'il est primordial que l'homme et la femme se complètent. La femme doit accepter l'homme y compris l'homme qui est en elle, et l'homme doit accepter la femme et sa propre part de féminité. Elle écrit qu'une femme doit écrire comme une femme, et plus loin, elle écrit qu'une femme ne doit plus tenir compte de son sexe ( elle se contredit par moments, comme moi sans doute, les questions de genre génèrent des questionnements alors on tatônne, forcément).

Elle réfléchit tout au long de cet essai romancé, elle chemine, progresse, recule par moments, parce qu'elle erre, c'est comme ça qu'elle avance. Par moments, elle arrive face à un obstacle (l'appariteur de l'Université qui lui interdit l'accès), elle évite quelques écueils, elle se promène sur l'herbe mais elle se retrouve à l'eau, sur une barque, et elle rame ou se laisse dériver au gré du courant ... Aussi n'est-elle pas à l'abri de retourner sa barque, mais elle remonte sur sa barque avec courage pour affronter le courant et à la fin, je crois qu'elle parvient à son but.
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