AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nicolino


Vous ne rêvez pas, c'est bien une faucille et un marteau déguisés en vaisseau spatial d'opérette qui est dessiné en couverture de « Proletkult », dernière oeuvre en date traduite en français du fantôme subversif et collectif Wu Ming.

D'abord le Proletkult a réellement existé entre 1917 et 1925, il siégeait dans l'extravagante villa Morozov à Moscou, il avait pour rôle de faire émerger une culture prolétarienne dans le tout jeune régime socialiste. Plusieurs personnages rencontrés pendant le roman sont réels. Dont Anatoli Lounatcharski, Nadejda Kroupskaia, et Alexandre Bogdanov, médecin, auteur de « L'étoile rouge », roman de science-fiction et d'anticipation politique publié en 1908, sur une société martienne où la révolution communiste a réussi et dure depuis deux cents ans.
Bogdanov est un des personnages importants du roman, plutôt taciturne, même pas membre du Parti ! Il dirige un service médical expérimental où il propose de régénérer les corps par l'échange mutuel de sang. Les lecteurs de science-fiction l'ont déjà croisé sous le prénom d'Arkady chez Kim Stanley Robinson, dans « Mars la rouge ».

Il n'y a pas que d'éminents fonctionnaires du Parti dans « Proletkult », il y a aussi Denni, une jeune femme androgyne qui apparaît presque instantanément dans la baraque d'un pauvre couple de vieux. Elle a l'air de débarquer d'ailleurs, son langage, sa mémoire sont d'une autre époque.

le roman s'ouvre par un cours prologue qu'il faudra bien garder en mémoire, quitte à y revenir.

On pourrait se croire en pleine lecture d'une monographie sur les premières années du bolchévisme ou d'une biographie d'Alexandre Bogdanov, absolument pas. C'est simplement que le cadre historique, culturel et politique est solide, et puissamment stimulant !
Plus on avance, et plus tout nous ramène vers « L'étoile rouge », et pour nos personnages, tout part de « L'étoile rouge » à la fois vers le futur mais aussi vers le passé ; le roman de Bogdanov semble se comporter dans « Proletkult » comme un fleuve qui changerai indifféremment de direction entre l'amont et l'aval.
Il y a un glissement de l'histoire soviétique vers les excentricités de Wu Ming à partir de la rencontre entre Bogdanov et Denni.
Denni est la fille de Léonid Volok, celui qui a inspiré « L'étoile rouge » à Bogdanov. Elle dit venir de la planète Nacun, commune en tout point à la planète du livre de Bogdanov. Est-ce que Denni est folle ou vient-elle de la planète Nacun devenue trop petite pour sa civilisation ? Est-elle une admiratrice de « L'étoile rouge » ?
Denni tient à la fois du Candide de Voltaire mais aussi d'Usbek et Rica des « Lettres persanes », elle découvre, parfois émerveillée d'autres fois perplexe, et compare avec ce qu'elle sait et connaît. Denni n'est pas seulement née sur Nacun ou au coeur de « L'étoile rouge », elle vient aussi directement des Lumières du XVIIIème siècle.
Il n'est pas étonnant que les italiens de Wu Ming s'intéresse à Bogdanov. C'est un hérétique, Lénine a tenté plus d'une fois de le décrédibiliser, notamment parce qu'il n'a jamais adhéré au parti communiste. Quand on connaît le goût des Wu Ming pour les subversifs, les cas à part, les vaincus plutôt que les vainqueurs cela n'est pas surprenant.

Bien qu'ils soient plusieurs à écrire ce roman historique où les frontières entre fiction et réalité sont floues, tout paraît facile, les mots et les phrases s'enchaînent sans efforts (pour nous), rien ne vient heurter la lecture de cette histoire qui file sur une ligne de crête entre deux possibilités, la naissance de Denni sur une lointaine planète ou au creux des pages de « L'étoile rouge » de Bogdanov. Il est aisé de penser à la rencontre entre des historiens des révolutions russes avec des auteurs comme Jorge Luis Borges ou Philip K. Dick. Il faut quand même signaler que dans les années 60, l'idée du communisme extraterrestre a été défendu très sérieusement par J. Posadas, un trotskiste argentin.

Au travers de l'histoire de Bogdanov et de Denni, les Wu Ming nous tendent un miroir de questions. Qu'offrons nous aux dissidents ? Comment regardons nous les différents ? Qu'attendons-nous pour changer nos modes de vie ? le tout dans une uchronie qui emmêle joyeusement histoire soviétique, extraterrestres et autres surprises.
Commenter  J’apprécie          134



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}