AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9791022611756
368 pages
Editions Métailié (18/02/2022)
3.91/5   16 notes
Résumé :
Moscou 1927. Que les histoires se mêlent à la réalité au point de prendre vie, n’est-ce pas le rêve secret de tous les romanciers ?

C’est ce qui arrive à Alexandre Bogdanov, écrivain de science-fiction, mais aussi révolutionnaire, scientifique et philosophe. Pendant les préparatifs des célébrations des dix ans de la Révolution d’Octobre et que s’approche le règlement de comptes entre Staline et ses opposants, l’auteur du célèbre Étoile rouge reçoit la... >Voir plus
Que lire après ProletkultVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Moscou 1927. Les préparatifs du 10ème anniversaire de la Révolution d'Octobre vont bon train, mais Alexandre Bogdanov ne s'y intéresse que de loin. Ce personnage historique, auteur de science-fiction (« L'Etoile Rouge »), philosophe et scientifique, a fait partie des pionniers de la révolution aux côtés de Lénine notamment, avant d'être mis à l'écart en raison de ses convictions idéologiques divergentes. Aujourd'hui, il est directeur d'un institut spécialisé dans la transfusion sanguine et expérimente le collectivisme physiologique, c'est-à-dire des transfusions de sang entre jeunes et vieux dans le but de prolonger la vie humaine.
Un jour, Denni, une jeune fille, débarque à l'institut, un exemplaire de « L'Etoile Rouge » sous le bras. Elle prétend être arrivée de Nacun, la planète imaginée par Bogdanov dans son roman, sur laquelle est mis en oeuvre un modèle socialiste idéal d'organisation et de fonctionnement de la société. La jeune fille est également persuadée que son père (qu'elle n'a pas connu) est l'humain héros du roman qui a vécu quelques temps sur Nacun avant de revenir sur Terre. Et qui, dans la réalité, est un ancien camarade révolutionnaire de Bogdanov qui lui a inspiré le roman, perdu de vue depuis des années mais qui est peut-être toujours vivant. Bogdanov et Denni se mettent à sa recherche.
Cette quête est entrecoupée de flash-backs qui reviennent sur la genèse de la Révolution à la charnière des 19ème et 20ème siècles. Il y est question du rôle et des actions politiques de Bogdanov, de ses relations avec Lénine et d'autres fondateurs du futur Parti communiste, de ses convictions philosophiques et de sa rupture progressive avec la stratégie et la vision de Lénine.

Ce roman me laisse perplexe : à la réalité historique, il mêle des éléments de fiction mais aussi de science-fiction, sauf qu'à la fin je n'ai pas saisi si c'était réellement de la SF, ou simplement de l'onirisme, une métaphore de quelque chose, ou un trouble psychique chez Denni. Par ailleurs, l'aspect historique prend le pas sur l'intrigue finalement assez mince et qui semble servir de prétexte à une rétrospective de la vie de Bogdanov, ses regrets, sa nostalgie, son questionnement existentiel. Je crois qu'il faut être familier de cette période de l'Histoire et de la terminologie philosophico-communiste (ce que je ne suis pas) pour apprécier pleinement ce livre. Personnellement, la tectologie et l'empiriomonisme me sont passés loin au-dessus de la tête. Tout cela m'a semblé confus et répétitif et je n'ai pas compris en quoi (comme le dit la 4ème de couverture) la quête de Bogdanov « va bouleverser complètement les convictions de toute une vie ».

En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
Commenter  J’apprécie          460
Vous ne rêvez pas, c'est bien une faucille et un marteau déguisés en vaisseau spatial d'opérette qui est dessiné en couverture de « Proletkult », dernière oeuvre en date traduite en français du fantôme subversif et collectif Wu Ming.

D'abord le Proletkult a réellement existé entre 1917 et 1925, il siégeait dans l'extravagante villa Morozov à Moscou, il avait pour rôle de faire émerger une culture prolétarienne dans le tout jeune régime socialiste. Plusieurs personnages rencontrés pendant le roman sont réels. Dont Anatoli Lounatcharski, Nadejda Kroupskaia, et Alexandre Bogdanov, médecin, auteur de « L'étoile rouge », roman de science-fiction et d'anticipation politique publié en 1908, sur une société martienne où la révolution communiste a réussi et dure depuis deux cents ans.
Bogdanov est un des personnages importants du roman, plutôt taciturne, même pas membre du Parti ! Il dirige un service médical expérimental où il propose de régénérer les corps par l'échange mutuel de sang. Les lecteurs de science-fiction l'ont déjà croisé sous le prénom d'Arkady chez Kim Stanley Robinson, dans « Mars la rouge ».

Il n'y a pas que d'éminents fonctionnaires du Parti dans « Proletkult », il y a aussi Denni, une jeune femme androgyne qui apparaît presque instantanément dans la baraque d'un pauvre couple de vieux. Elle a l'air de débarquer d'ailleurs, son langage, sa mémoire sont d'une autre époque.

le roman s'ouvre par un cours prologue qu'il faudra bien garder en mémoire, quitte à y revenir.

On pourrait se croire en pleine lecture d'une monographie sur les premières années du bolchévisme ou d'une biographie d'Alexandre Bogdanov, absolument pas. C'est simplement que le cadre historique, culturel et politique est solide, et puissamment stimulant !
Plus on avance, et plus tout nous ramène vers « L'étoile rouge », et pour nos personnages, tout part de « L'étoile rouge » à la fois vers le futur mais aussi vers le passé ; le roman de Bogdanov semble se comporter dans « Proletkult » comme un fleuve qui changerai indifféremment de direction entre l'amont et l'aval.
Il y a un glissement de l'histoire soviétique vers les excentricités de Wu Ming à partir de la rencontre entre Bogdanov et Denni.
Denni est la fille de Léonid Volok, celui qui a inspiré « L'étoile rouge » à Bogdanov. Elle dit venir de la planète Nacun, commune en tout point à la planète du livre de Bogdanov. Est-ce que Denni est folle ou vient-elle de la planète Nacun devenue trop petite pour sa civilisation ? Est-elle une admiratrice de « L'étoile rouge » ?
Denni tient à la fois du Candide de Voltaire mais aussi d'Usbek et Rica des « Lettres persanes », elle découvre, parfois émerveillée d'autres fois perplexe, et compare avec ce qu'elle sait et connaît. Denni n'est pas seulement née sur Nacun ou au coeur de « L'étoile rouge », elle vient aussi directement des Lumières du XVIIIème siècle.
Il n'est pas étonnant que les italiens de Wu Ming s'intéresse à Bogdanov. C'est un hérétique, Lénine a tenté plus d'une fois de le décrédibiliser, notamment parce qu'il n'a jamais adhéré au parti communiste. Quand on connaît le goût des Wu Ming pour les subversifs, les cas à part, les vaincus plutôt que les vainqueurs cela n'est pas surprenant.

Bien qu'ils soient plusieurs à écrire ce roman historique où les frontières entre fiction et réalité sont floues, tout paraît facile, les mots et les phrases s'enchaînent sans efforts (pour nous), rien ne vient heurter la lecture de cette histoire qui file sur une ligne de crête entre deux possibilités, la naissance de Denni sur une lointaine planète ou au creux des pages de « L'étoile rouge » de Bogdanov. Il est aisé de penser à la rencontre entre des historiens des révolutions russes avec des auteurs comme Jorge Luis Borges ou Philip K. Dick. Il faut quand même signaler que dans les années 60, l'idée du communisme extraterrestre a été défendu très sérieusement par J. Posadas, un trotskiste argentin.

Au travers de l'histoire de Bogdanov et de Denni, les Wu Ming nous tendent un miroir de questions. Qu'offrons nous aux dissidents ? Comment regardons nous les différents ? Qu'attendons-nous pour changer nos modes de vie ? le tout dans une uchronie qui emmêle joyeusement histoire soviétique, extraterrestres et autres surprises.
Commenter  J’apprécie          134
« Tenace comme la sentinelle d'un futur immédiat », un conte philosophique diabolique qui confronte l'après-révolution russe de 1917 à un détour science-fictif et mémoriel indispensable.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/04/27/note-de-lecture-proletkult-wu-ming/

Moscou, 1927. Alexandre Bogdanov, qui fut l'un des plus redoutés militants adversaires de Lénine au sein du mouvement bolchévique entre 1907 et 1913, philosophe et médecin, coule des jours presque tranquilles à l'approche des festivités de la célébration des dix ans de la Révolution. Largement retiré de la vie politique officielle depuis déjà longtemps, ne participant pas aux menées des différentes factions entrées en rivalité active depuis la mort de Lénine en 1924, il se consacre essentiellement à ses recherches médicales sur la transfusion sanguine, au sein de l'institut spécialisé qu'il dirige, et à garder un oeil quelque peu distant sur le mouvement d'éducation populaire Proletkult, dont il fut l'un des grands inspirateurs bien avant la Révolution.

Alexandre Bogdanov est aussi alors considéré comme l'un des plus grands écrivains soviétiques de science-fiction, depuis le succès de « L'Étoile rouge » en 1908 et de « L'ingénieur Menni » en 1913. Lorsqu'une jeune femme se présente à lui, prétendant être la fille d'un camarade de lutte clandestine depuis totalement perdu de vue, invoquant des circonstances semblant tout droit sorties de son propre best-seller, il croit d'abord à un bizarre canular. Alors que la réalité de cette science-fiction s'impose progressivement à lui, il doit emprunter à vive allure le chemin de la mémoire, et se voit forcé de mesurer ce qui, enraciné dans l'histoire et dans les individus, est d'ores et déjà en train de mener la Révolution prolétarienne à sa perte.

Héritiers italiens du mouvement d'agitation culturelle Luther Blissett qui répandit ses énormes canulars politico-artistiques en Europe entre 1994 et 2000, le collectif bolognais des Wu Ming conduit depuis son premier roman, « L'Oeil de Carafa » (1999), une intense guérilla littéraire à succès en remodelant les canons du roman historique (selon une ligne directrice évolutive en partie théorisée dans leur manifeste de 2008, « New Italian Epic »).

Auteurs de huit romans collectifs, de plusieurs recueils de nouvelles et novellas et de nombreux romans « individuels » (publiés sous leur numéro alphabétique au sein du collectif, Wu Ming 1, Wu Ming 2 ou Wu Ming 4, par exemple – les pseudonymes des membres de la librairie Charybde à sa création en 2011 constituaient un hommage non dissimulé à cette pratique), le collectif sait varier ses registres d'écriture avec une maestria étourdissante, jouant avec l'anachronisme stylistique (dans « L'Oeil de Carafa » et dans sa suite « Altai » de 2009, tout particulièrement), avec la réinterprétation de faits historiques avérés (dans « L'Armata dei Somnambuli » de 2014, non encore traduit en français), avec la vision des vaincus (dans « Manituana » en 2007), ou encore avec la mise en oeuvre de personnages-points-de-vue particulièrement improbables et savoureux (tels le premier téléviseur couleur importé en Italie dans « 54 », en 2002, non traduit en français mais disponible en anglais), pour toujours parvenir à créer un profond et subtil questionnement politique, tout à fait contemporain pour sa part.

Avec « Proletkult », publié en 2018 et traduit en français en 2022 chez Métailié par Anne Echenoz, les auteurs ont composé une nouvelle mosaïque décisive, hantant les corridors où les révolutions se construisent, en pensée et en action, que ce soit à Helsinki, à Paris, à Londres, à Genève, à Capri ou à Bologne, comme ceux où elles s'infectent et se désagrègent. Maniant discrètement le jeu d'échecs comme Lénine et Bogdanov eux-mêmes, soumettant les figures historiques authentiques, connues ou moins connues, au détour science-fictif précieux et diablement efficace que permettent le texte et le contexte étranges du roman « Красная Звезда » de 1908, ils élaborent un jeu de miroirs actualisant le conte philosophique voltairien et l'effet de distance cher à un « Micromégas » en le confrontant aux racines ironiques potentielles d'un Viktor Pelevine ou d'un Vladimir Sorokine, déjà. Et qu'au centre du jeu se retrouve, comme le pressentait aussi le Boris Groys de « Staline, oeuvre d'art totale » et de « du nouveau », la question de la culture et de l'éducation populaires accroît fort naturellement la résonance contemporaine de ce texte faussement rêveur et résolument incisif.
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          60
Utopie du système marxiste, dystopie martienne pour en préserver les possibles, récit malin sur les compensations de la fiction. le collectif d'auteurs Wu Ming signe un roman d'une grande intelligence sur la naissance de l'URSS, son moment de bascule à la mort de Lénine, sur l'invention et la liberté des théories scientifiques assez farfelues - le collectivisme physiologique - comme autant de prétextes à un passionnant roman historique. Proletkult ou l'invention d'une culture révolutionnaire qui nous changerait autant nous que le monde.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
Commenter  J’apprécie          20


critiques presse (1)
LaTribuneDeGeneve
18 avril 2022
Avec «Proletkult», le collectif italien Wu Ming livre un roman historique sur l’URSS de 1927 qui flirte avec la S.-F.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
(En 1927):
- [...] L'Union soviétique devrait se doter d'une association unique de musiciens. Même chose pour les écrivains, les metteurs en scène de théâtre, les peintres. Le risque, autrement, est de revenir à une créativité individualiste, une fin en soi, qui brûle d'envie de se distinguer.
- Entièrement d'accord, intervient Bogdanov. L'unique association qui devrait demeurer en Union soviétique est l'Union soviétique elle-même. Même le parti communiste devrait se dissoudre. Quel sens a un parti quand l'intérêt du peuple est garanti par l'Etat? C'est un doublon inutile, une épave de l'Histoire.
Elle ne répond pas, désorientée par le sérieux apparent de Bogdanov.
Commenter  J’apprécie          170
[A propos de l'immortalité:]
- Notre cerveau, poursuit-il, a besoin de nouveauté, et dans un temps infini la nouveauté s'épuise, tout se répète. Nous avons l'impression que cela arrive en l'espace de cinquante ans, alors imaginez en cinq cents ans. Que vous resterait-il à faire après être tombé amoureux quatre-vingt-dix fois, avoir vu naître soixante enfants, avoir appris à travailler l'argile, à écrire de sublimes poésies, à escalader les plus hautes montagnes, à mener toujours les mêmes batailles?
Il soulève sa tasse et la porte à sa bouche, comme une pause étudiée.
- La seule réponse serait le suicide. Car l'immortalité individuelle est une condamnation. A vie.
Commenter  J’apprécie          160
Personne ne pouvait savoir que Zitomirski avait été recruté par la police secrète du tsar en 1902, quand il étudiait encore à l’université de Berlin. Nom de code « André ».
Kamo prit contact avec lui pour convenir d’une visite et lui remit la lettre de Lénine. Zitomirski le fit savoir à ses chefs qui demandèrent immédiatement à la police allemande d’arrêter Kamo. Quand les flics débarquèrent dans sa chambre d’hôtel, ils le trouvèrent en possession d’un passeport autrichien (œuvre de l’amie peintre de Krassine), d’une petite valise remplie des détonateurs et de vingt billets de cinq cents roubles.
Lorsque le sous-chef de la police russe reçut le rapport par l’intermédiaire de l’ambassade, il ne mit pas longtemps à deviner d’où provenaient les billets et quel était le plan des voleurs. Il télégraphia donc à tous les départements de police de toute l’Europe occidentale :
« Arrêter quiconque cherche à changer des billets de cinq cents roubles. Stop. Dangereux bandits. Stop. Alerte maximale. Stop. »
Quand, fin 1907, la nouvelle de l’arrestation de Kamo arriva à Kuokkala, il était désormais trop tard pour suspendre l’opération. Les camarades et leurs compagnes étaient déjà partis chacun dans une direction, vers une banque d’un des pays de l’Ouest. Mais à présent la police russe savait qui avait monté le coup. Et les mencheviks, les camarades du parti opposés aux vols, le savaient aussi. Personne ne les aiderait. Il fallait se mettre à l’abri comme on pouvait avant qu’on arrive de Saint-Pétersbourg pour les arrêter.
Natalia et Nadia nettoyèrent entièrement la maison : papiers, notes, livres, vêtements. Chaque trace de leur passage fut effacée, brûlée dans la cheminée de la salle à manger ou confiée à des camarades finlandais pour qu’ils la fassent disparaître. Lénine se rendit à Helsinki, en attente d’un bateau pour Stockholm. Les ports principaux étaient surveillés par la police. Pour embarquer il dut parcourir trois milles à pied sur une partie de mer gelée, jusqu’à l’île où le bateau faisait escale. À un moment la glace céda et il faillit se noyer.
– Quelle stupide façon de mourir ça aurait été, commenta Lénine trois semaines plus tard quand ils se revirent à Genève, sains et saufs.
Pour s’y rendre ils étaient passés par Berlin, ils avaient rencontré Rosa Luxemburg. Quelle perte a été son assassinat pour le mouvement ouvrier. Une de ses phrases semblait spécialement écrite pour contredire Lénine : « Le marxisme doit toujours lutter pour les vérités nouvelles ».
Commenter  J’apprécie          20
Bogdanov a à peine le temps de serrer des mains, d’oublier quelques noms et de s’installer que le commissaire à l’Éducation rejoint déjà le centre de la scène, devant les deux pianos, pour la liturgie des saluts et du discours inaugural. Petit bouc et calvitie à la Lénine, corpulence stalinienne et petites lunettes à la Trotski ; plus il vieillit et plus Anatoli Vassilievitch Lounatcharski incarne, même dans son aspect, l’équilibre entre les factions. Quand il était encore d’un seul côté, ils partageaient l’encre, les pensées et les batailles, mais aussi l’aversion de Lénine. Pendant une vingtaine d’années, ils ont même été beaux-frères. Maintenant il est marié à une actrice qui fait scandale avec ses bijoux. Trop nombreux pour une femme soviétique. Sera-t-elle là, elle aussi ? L’occasion n’est pas assez mondaine.
Sur le ton de celui qui propose un toast dans un repas de famille, le bon Anatoli explique ce que tout le monde sait déjà. La section musicale du Proletkult de Moscou doit proposer un morceau pour le dixième anniversaire de la révolution. Étant donné l’importance de l’événement, il a été décidé de choisir le compositeur au moyen d’un grand concours dont cette matinée est l’étape finale.
Tandis qu’un rayon de soleil se reflète sur son crâne chauve, le commissaire rappelle les résultats de l’organisation dans le champ de la musique, du théâtre et du cinéma. C’est précisément ces jours-ci que Sergueï Eisenstein, vieille connaissance de tant de proletkultistes, est occupé par le tournage d’un long métrage sur Octobre, produit par le gouvernement avec le plus important financement jamais attribué pour un film. Loué soit donc Proletkult qui en seulement dix ans a apporté une contribution déterminante à la culture soviétique.
L’éloge sonne comme une épitaphe. Et pourtant Anatoli aussi a participé à la fondation du Proletkult, pour pousser les ouvriers à inventer un art nouveau, à dépasser l’individualisme et à semer les graines de la future collectivité humaine. Réduire tout cela à une « contribution », aussi déterminante soit-elle, à la culture soviétique, est un lot de consolation.
Même la référence à Eisenstein n’est pas vraiment flatteuse. Le metteur en scène s’est désormais éloigné du Proletkult et son exemple évoque une parabole idéale, de l’art prolétarien au cinéma de propagande. De l’autonomie créative à l’œuvre de commande du gouvernement.
Au contraire, le Proletkult est né pour rester indépendant. C’est justement Lounatcharski qui soutenait que les travailleurs devraient avoir quatre organisations distinctes : le Parti pour la politique, les syndicats pour le travail, les coopératives pour l’économie et les cercles pour la culture. C’est ce qu’il écrivait du temps du gouvernement provisoire, et puis le gouvernement, il l’a rejoint, et en l’espace de trente ans le Proletkult est devenu un des nombreux cénacles dépendant de son ministère.
Louée soit donc aussi Nadejda Kroupskaïa, assise à la droite de Bogdanov, après le fauteuil vide du commissaire. En tant que directrice du comité central pour l’éducation politique, la plus illustre veuve du pays a su diriger les si nombreux cercles culturels, évitant les jalousies et stimulant la collaboration réciproque.
De nombreuses mains applaudissent pour saluer la fin du discours ministériel et l’entrée des deux pianistes, très élégants dans leur jaquette grise.
Commenter  J’apprécie          00
Au congrès de Londres, ce printemps-là, les bolcheviks avaient encore une ligne commune. Il fallait des armes et des militants prêts à s’en servir. Pendant la révolution perdue, deux ans auparavant, les ouvriers avaient subi la violence de l’armée. Ils ne se feraient plus jamais prendre sans s’être préparés. Les bombes artisanales de Léonid Krassine ne suffisaient pas. Ni l’argent récolté par Gorki, le grand écrivain, grâce à sa renommée internationale. Il avait trouvé des sympathisants prêts à ouvrir leurs portefeuilles jusqu’aux États-Unis. Mais ça ne suffisait pas. Il fallait prendre les sous là où ils étaient. À Londres la proposition fut rejetée. Les mencheviks ne voulaient plus d’expropriations. Pas de bombes. Pas d’insurrection armée. Ça ce sont des trucs d’anarchistes. Il fallait plutôt resserrer les liens avec les syndicats. Dans cette sombre petite église de Hackney, les camps s’inversèrent. Les bolcheviks se retrouvèrent en minorité. Trotski s’en mêla, tentant de jouer un rôle de médiateur. Comme les gens peuvent changer.
Sur le trajet du retour, au milieu de la Manche, sous un ciel chargé de nuages, Koba laissa tomber une question dans le sillage des vagues.
– Qu’est-ce qu’on dit à Kamo ?
Depuis des mois les camarades géorgiens surveillaient un transport de fonds qui traversait Tiflis à intervalles réguliers et sous assez maigre escorte. Kamo et sa bande étaient prêts à attaquer le convoi à la dynamite et à profiter du désordre pour prendre l’argent.
– Combien d’argent ? avait demandé Krassine.
Un demi-million de roubles.
– Faisons-le, avait suggéré Lénine dans le train qui les ramenait en Finlande.
Les mains se levèrent. Approuvé à l’unanimité.
Le soin d’apporter la bonne nouvelle à Kamo avait été confié à Koba.
Koba & Kamo. Les Géorgiens. Amis d’enfance, ils s’étaient fait renvoyer ensemble du séminaire. De prêtres manqués à révolutionnaires, il n’y a qu’un court chemin. Et de prêtres à bandits, il est encore plus bref. Ils volaient les armes pour les bolcheviks, les leur procuraient par tous les moyens nécessaires. Kamo n’était pas un brigand sorti d’un roman de Dumas. Il n’avait pas besoin d’habiller ses exploits de romantisme. Il résistait aux arrestations. Il s’évadait des prisons. Et quand la révolution avait échoué et que les cosaques l’avaient torturé pour obtenir les noms et les adresses, ils n’avaient pas réussi à lui arracher un mot.
Il était l’homme de la situation pour le plus grand vol qu’ils aient jamais tenté.
Il fallait un camarade qui assure la communication. Quelqu’un qui ne soit pas connu des autorités du Caucase.
Léonid Volok avait combattu dans la Marine, il connaissait les armes. C’était un militant déterminé. Il avait cette bague au doigt, « pour taper plus fort ». Il avait tout et il n’avait rien. Il était parfait.
Léonid accepta, enthousiaste, et partit pour la Géorgie avec le camarade Koba.
– Ne te fie pas aux apparences. Celui-là il boite et il a un bras mal en point mais il n’y a pas plus rusé que lui. Ne le perds pas de vue.
Un bon conseil.
Lénine s’est en revanche aperçu un peu tard qu’il fallait avoir le Géorgien à l’œil. Entre-temps, Koba a changé de nom de guerre. « L’homme de fer ». Staline.
Commenter  J’apprécie          00

Video de Wu Ming (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de  Wu Ming
Manituana - Wu Ming Foundation
autres livres classés : urssVoir plus
Les plus populaires : Imaginaire Voir plus


Lecteurs (66) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4882 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..