Grand coup de coeur pour ce bel album tendre, délicat et drôle en même temps ! Et avant toute chose, nous avons trouvé magnifiques les illustrations en aquarelle de
Juliette Lagrange. Elles emplissent les pages du livre, elles débordent presque en doubles-pages, forçant parfois notre regard à chercher le texte. Elles fourmillent de détails, offrent leur grande variété de couleurs et de mouvement, font des clins d'oeil aux nuits de van Gogh, comblent notre envie de nous y promener et de n'en rien perdre, notre envie d'être celui ou celle qui, en ouvrant le livre, fera attention à tout. le livre est, déjà dans les dessins, un éloge de l'observation, une invitation à prendre le temps de regarder. Ce qui sera un des messages de cette histoire.
Les illustrations sont très belles et servent un texte qui est beau lui aussi, très littéraire et poétique, tout en restant simple et accessible. C'est un texte court qui dit beaucoup en peu de mots, au travers duquel on entend les non-dits et une musicalité certaine : « Il vivait au rythme de la musique des bus. Les freins qui crissent, les portes qui s'ouvrent et se referment dans une ritournelle infinie. » Un texte qui laisse la porte grande ouverte à l'illustration, comme par exemple cette double-page où l'on ne voit en gros plan que les jambes et les pieds des gens qui passent devant
l'arrêt de bus, « légers », « pressés » ou « fâchés ». Il y a là un travail commun de grande qualité, partagé entre l'autrice,
Nathalie Wyss, et l'illustratrice.
Dans cette histoire, il est question de solitude. Dans les villes, certaines personnes, les plus humbles, sont invisibles. Il n'est pas dit que M. Henri est un SDF. On sait juste qu'il « vit » à cet arrêt de bus, quelle que soit la saison, le jour comme la nuit. Il est peut-être là uniquement pour se donner l'illusion de vivre parmi les autres, ceux qui passent, ceux qui prennent le bus, ceux qui courent toujours, ceux qui sont ensemble. Pour regarder les autres vivre. Car lui par contre, il est attentif et observe tout. L'apparition de l'éléphanteau se fait en douceur, en tendresse et en poésie, comme s'il était tout à fait normal qu'un éléphant débarque ainsi en ville sous un abri de bus, dans l'indifférence générale. Il « semblait porter une peine plus grande encore que celle des immeubles alentour ». Alors, comme M. Henri, nous l'aimons tout de suite. Et le miracle, grâce à lui, va s'opérer. En prenant soin du petit éléphant – et lui seul le fait parce que lui seul a été attentif au chagrin de l'animal – M. Henri se réapproprie sa vie, il retrouve une dignité, une raison de vivre. L'abri de bus devient leur îlot de tendresse. Ils y prennent soin l'un de l'autre. Et cela change tout.
Lorsque M. Henri, personnage si attachant, décide de suivre le troupeau, c'est un envol, quelque chose de léger et de festif malgré le poids du troupeau, c'est la fin de la solitude, de l'anonymat, le début d'une nouvelle vie avec une famille d'adoption qu'il s'est choisie.
C'est en fait une belle histoire de résilience, de solidarité, et le message est important à transmettre : N'oublions pas de regarder autour de nous. Soyons attentif aux autres et aux petites choses de la vie, arrêtons parfois de courir la tête baissée…Sachons regarder autour de nous.
Ce message est peut-être plus urgent à passer aux adultes qu'aux enfants. Car regardons bien les dessins de la première et de la dernière page de l'album. Qui se cache sous la délicatesse du mot « presque » ? Un petit garçon au pull à rayures rouges, que nous n'aurions peut-être même pas remarqué au premier abord ! Mais les enfants, oui…
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