AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Rickola


Avant d'entrer dans le vif du sujet, resituons comme toujours la série. Il s'agit du premier manga au long cours de Tsubasa Yamaguchi, qui avait uniquement proposé un one shot au Japon auparavant, inédit en France. La série est prépubliée dans le magazine Afternoon de Kodansha depuis 2017 et son neuvième volume sortira au Japon en même temps que le premier arrivera chez nous.
La série a réussi à se faire une belle petite réputation en quelques années, remportant notamment l'édition 2020 du Prix Manga Taishô, ainsi que les 44ème Kôdansha Manga Awards 2020 catégorie générale. Après lecture du premier tome, je subodore que c'est à la fois la thématique et le traitement de la mangaka qui ont contribué à lui valoir ses prix prestigieux, car un ouvrage graphique traitant des arts me semble destiné à trouver écho auprès de passionnés des cultures visuelles de tous bords.
C'est d'ailleurs pour moi un des gros points forts de ce titre. En tant qu'amoureux du manga, j'ai à coeur de faire découvrir ma passion à des gens qui ne sont pas forcément attirés de prime abord. Heureusement, ce médium regorge d'oeuvres qui permettent d'établir des connexions avec des publics divers, et après lecture de ce premier tome, je suis convaincu qu'il pourrait parler à un large public, de préférence adolescent ou adulte à partir du moment où celui-ci est un peu sensible à la question des arts.

Ceci étant dit, voyons ce que ce premier tome a dans le ventre !

Blue Period entre d'emblée dans la catégorie des mangas centrés sur une passion. le résumé l'indique, Yatora se caractérise par son aisance générale dans un peu tous les domaines, qui l'amène à être un peu blasé. On dirait qu'il s'occupe, qu'il passe le temps et fait les choses parce qu'il faut les faire, mais sans que rien ne le fasse vibrer. Jusqu'au moment où quelque chose se déclenche en lui, en voyant une peinture.

J'insiste sur ce point, car c'est celui qui, d'emblée, a le potentiel de parler à n'importe quelle personne vivant une passion dévorante selon moi. Car je pense que personne ne naît « passionné ». Il y a bien souvent une sorte de « choc originel » qui fait office d'élément déclencheur, et ce quel que soit le domaine. Une oeuvre, une expérience, quelque chose qui va nous amener à ressentir une émotion forte et nous faire nous dire « on peut donc transmettre ça ! ». Ce qu'on a tendance depuis plusieurs années à qualifier d' « effet Wahou ».

Et c'est ce dont il est question au début de ce tome, et qui est particulièrement bien retranscrit par la mangaka. J'en ai parlé en introduction, mais je pense qu'il y a là une rencontre entre le sujet et le moyen d'expression de celui-ci, puisque n'importe qui un tant soit peu passionné de manga doit avoir une petite attirance pour les arts graphiques en général. Ainsi, il est très facile de se projeter dans le personnage de Yatora et comprendre ce qu'il ressent.

Sur ce point, la rencontre entre Yatora et la peinture est déjà un très beau moment de mise en scène, proposant des illustrations en pleine page pour accentuer l'impact de cette découverte, et surtout un détail qui m'a particulièrement plu : la femme sur la peinture semble bouger pour faire un clin d'oeil à Yatora, comme une petite facétie de la perception du jeune homme.

Et ce détail n'en est pas un selon moi, car il exemplifie la connexion qui se fait entre une personne et une oeuvre. Encore une fois, tout passionné a surement déjà ressenti ce sentiment de connexion intime avec une oeuvre en particulier, ayant l'impression que son créateur ou sa créatrice l'avait produite exprès pour nous tant elle entrait en résonance avec nous au niveau intime. Et je pense que ce clin d'oeil est là pour montrer que c'est ce qui arrive à Yatora à cet instant. Et à partir de là, il a attrapé le virus, se demandant comment a été faite cette toile, et se retrouvant davantage en phase avec ses émotions et son rapport au monde, et comprenant que la peinture peut être un mode d'expression à part entière. Cette découverte va finalement lui faire trouver sa voie.

Un manga technique et didactique

Après ce premier chapitre, Yatora entre comme nous, lecteurs et lectrices, dans le vif du sujet. Il commence à peindre, et va comprendre que c'est ce qu'il veut faire, qu'il a ça en lui. Sauf qu'on ne devient pas Picasso en un jour. Il a désormais un objectif, intégrer une école d'art, et seulement un an et demie afin d'acquérir la maîtrise nécessaire pour faire partie des quelques élus. Ainsi, la question de l'enjeu à moyen terme est réglée, nous allons pouvoir nous focaliser sur la peinture !

Car le fait de suivre un personnage totalement novice n'est pas anodin, et est une ficelle classique (mais efficace) dans la fiction : quel meilleur moyen pour faire découvrir au lecteur un « univers » qu'il ne connait pas (ici la peinture) que de suivre un personnage qui ignore tout de ce milieu ? Ainsi, nous allons suivre Yatora dans son apprentissage des bases, que ce soit les techniques pour respecter des proportions, donner un effet d'ombre ou de lumière à un objet, et de nombreuses autres choses à maîtriser pour pouvoir espérer s'en sortir.

Encore une fois, le lien avec le monde du manga se fait tout naturellement puisqu'il est évident que n'importe quel apprenti mangaka passe par toutes ces étapes afin de maîtriser son art. le tout se voulant très didactique et surtout d'une vraie authenticité sur la question technique, sans jamais sombrer dans quelque chose de lourd. le rapport de Yatora à tout ça aidant pas mal à trouver nos marques, et à ressentir une évolution. Sur ce point, on pourrait tout à fait rapprocher Blue Period des mangas sportifs, ou de ceux sur un jeu de société (Hikaru no Go au hasard), puisqu'il s'agit dans tous les cas de nous intéresser à une domaine qu'on ne connait pas, et nous apprendre les subtilités de celui-ci.

Et grâce au travail d'écriture concernant le personnage de Yatora, on se projette sans soucis dans tout cela, prenant plaisir à en apprendre davantage sur ces techniques tout en voyant le jeune homme affirmer sa volonté d'aller de l'avant. Ces deux éléments se nourrissant l'un l'autre grâce à l'écriture habile de la mangaka. Mais si le titre est très bien écrit et est parfaitement fluide dans son déroulement, la question de l'esthétique est d'autant plus importante compte tenu du sujet abordé.

Une esthétique à la hauteur de son sujet

Décrypter l'esthétique d'un manga lorsque l'on n'a pas les notions techniques pour n'est pas vraiment chose aisée. C'est d'ailleurs pour ça que je passe en général rapidement sur cet aspect. Sauf qu'avec Blue Period, nous sommes sur un manga dont c'est précisément le sujet. Il serait donc malvenu de ne pas s'attarder sur cet aspect. Avant de l'aborder plus en profondeur, précisons que Pika a fait le choix de proposer des pages couleur afin de mettre en valeur la dimension artistique du titre justement, choix on ne peut plus judicieux tant celles-ci rendent bien.

Ce que je retiens surtout dans le trait de la mangaka, c'est son travail sur les visages et le dynamisme des mouvements des personnages. Non pas que ça bouge énormément dans tous les sens, mais il y a un travail sur les postures que je trouve intéressant, et qui est peut-être justement hérité d'un travail artistique sur les mouvements des corps. Les visages sont aussi dessinés d'une façon très particulière, donnant un cachet très spécifique au titre. Je trouve d'ailleurs qu'il y a un travail sur les regards vraiment intéressant, mettant bien l'accent sur cet élément si important dans le rapport à l'art. Tout ceci permet d'être au plus près des émotions des personnages, ce qui encore une fois colle parfaitement avec le sujet du manga, tout étant ici question d'émotion et de transmission. Enfin, précisons que les décors sont relativement simples, sans être laids pour autant. Cela crée un contraste avec le travail sur les personnages, mais qui contribue justement à mettre ces derniers en valeur.

Dernier détail intéressant, le manga mettant l'accent sur la peinture, toutes les oeuvres ont été réellement peintes, on a d'ailleurs toujours le droit au nom de l'artiste en signe de respect pour son travail. Bien qu'elles soient en noir et blanc sur papier, et pas en couleur sur leur support d'origine, le fait qu'elles soient, j'imagine, numérisées afin d'être intégrées aux planches de la mangaka produit un effet des plus réussit, et contribue à mettre en valeur les tableaux. Et je parle des tableaux importants dans le récit, mais aussi de tous ceux produits pendant les cours. Car un élément qui ressort est qu'il n'y a pas de création sans intérêt, et que tout mérite d'être traité avec soin.

En conclusion

J'espère que vous l'aurez compris à la lecture de cet article, un peu plus long que d'habitude pour un simple avis, mais j'ai vraiment été emballé par ce premier tome. Son sujet ne pouvait que me parler, étant sensible aux arts sous toutes leurs formes, et le traitement de la mangaka permet de dépasser le seul cadre de la peinture pour englober la création artistique dans son ensemble, manga compris.

Ainsi, Pika frappe déjà très fort avec cette première nouveauté, et à raison d'un volume tous les deux mois, on aura dans l'année le temps de se faire une bonne idée du potentiel du titre. Ce qui est certain, c'est que ce premier volume est des plus encourageants.

Pour finir, j'insiste une fois de plus sur son potentiel à toucher un public bien plus large que les simples lecteurs et lectrices de manga. Que ce soit par son sujet ou son esthétique, le titre a vraiment la capacité à entrer en résonance avec quiconque un tant soit peu sensible à la question des arts. En tout cas, j'ai vécu comme pour Yatora une rencontre avec une oeuvre qui transmets des choses !
Lien : https://apprentiotaku.wordpr..
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}