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Critique de RogerRaynal


Un ouvrage un peu particulier à présent, puisqu'il s'agit d'un recueil de poèmes. Je vois déjà les grimaces et les pensées du genre « ce n‘est pas pour moi », ou bien les souvenirs pas toujours heureux de quelque lointaine salle de classe où il fallait laborieusement annoncer des rimes…

Toutefois, je crois nécessaire, pour comprendre un tant soit peu un pays, et à fortiori une civilisation, de connaître ses formes poétiques. C'est pourquoi je vous parlerai bientôt de Basho. Mais revenons à notre poétesse, puisqu'il s'agit ici d'une oeuvre féminine, écrite en 1901…

Évacuons tout de suite la technique : il s‘agit là d'un recueil de près de quatre cents tanka, poèmes de trente et une syllabes, magistralement traduits par Claire Dodane, une éminente spécialiste de la littérature féminine classique japonaise. Si traduire du japonais au français est « presque » impossible, traduire de la poésie l'est tout à fait, et pourtant, c'est ici réussi. le livre est imprimé sur un papier légèrement pelucheux, très agréable, la composition est aérée (trois tanka par page) et les caractères suffisamment gros. il comprend une postface de la traductrice d'une vingtaine de pages, qui situe brillamment l'oeuvre dans la littérature et souligne son intérêt, ainsi que des repères biographiques qui complètent heureusement la brève notice imprimée sur un des rabats de la couverture.

Pour la suite, oubliez les rimes et les sens obscurs sous prétexte de profondeur : les poèmes de Yosano, simples et beaux, imagés et sensibles, sont tous ceux d'une jeune femme amoureuse qui célèbre sa passion envers Tekan, son amant, qui deviendra son mari et le compagnon d'une vie bien remplie. À leur parution, ils établirent la notoriété de la poétesse tout en faisant scandale, car celle-ci n'hésitait pas à abandonner les périphrases et circonvolutions obscures pour dire les réalités de l'amour, même physique, entre deux êtres. de nos jours, rien d'étonnant ou de choquant, mais dans le Japon de 1901, il en était tout autrement. Yosano devint par la suite une figure de proue du féminisme qui oeuvra tant pour la reconnaissance sociale des femmes au Japon que pour la mise en avant de leur propre sensibilité.

Combien autrefois
plus haute encore que les cieux
était la saveur
de ce sous-vêtement de soie
qui enveloppait nos matins !

Ce livre romantique à souhait peut se lire rapidement d'une traite, mais je conseille plutôt de lire chacune de ses six parties (pourpre, fleurs de lotus sur l'eau, le lys blanc, femmes de vingt ans, les danseuses, pensées de printemps) les unes après les autres, en savourant chaque poème. Des notes de bas de page bienvenues nous éclairent sur des images typiquement japonaises (symbolique des couleurs, par exemple) ou des lieux précis (le plus souvent dans la ville de Kyoto).

Lorsque ce recueil est paru, cela faisait trois mois que Akiko, sans l'assentiment de sa famille, ce qui était alors déjà scandaleux, avait rejoint Tekan à Tokyo. Ce dernier s'était séparé de se seconde épouse en avril, mais tous deux échangeaient des lettres enflammées depuis deux ans, ayant réellement débuté leur relation six mois auparavant, en janvier 1901, à Kyoto.

En refermant ce livre, peut être partagerez vous la réflexion de Yosano, et penserez-vous, vous aussi que:

Jusqu'à mes vingt ans
peu profonds furent les bonheurs
de mon existence
si seulement pouvait durer
le doux rêve du présent.

Certains critiques ont vu dans ce recueil une « référence érotique » que vous chercherez en vain. On n'y trouve que l'histoire, aussi éternelle qu'internationale, d'un homme et d'une femme ayant, au creux d'une nuit ou sous un soleil complice, tendrement emmêlé leurs chevelures…
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