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Critique de Pecosa


Pecosa
19 décembre 2019
Faire table rase du passé, oublier son nom, son pays pour repartir de zéro, comme nombre d'immigrés, c'est ce qu'a fait Tal Chani lorsqu'il a quitté adolescent l'URSS pour partir en Israël dans les années 70.
Quand quelques années plus tard l'Agence Juive l'invite à un Festival de culture israélienne dans sa ville natale, l'homme hésite, puis accepte.
Les souvenirs de Tal, autrefois Anatoli Shneidermann ressurgissent avec une grande force, et charrient une kyrielle d'évènements familiaux, intimement liés au passé de l'URSS, fantômes de la Grande Guerre Patriotique, spectres du Goulag, des arrestations arbitraires, des famines, de l'antisémitisme quotidien, rengaines patriotiques, exaltation de l'immense Mère Patrie ….

Hemingway et la pluie des oiseaux morts est le récit d'une enfance russe et d'une vie israélienne. Cette double culture, pétrie de russe, de yiddish, d'hébreu, nourrie de nostalgie, de mélancolie et de beaucoup d'ironie est un témoignage intéressant sur une composante de la population israélienne, originaire de l'ancien bloc soviétique . L'immigration russe évoquée par l'auteur est bien antérieure à celle évoquée par Eshkol Nevo dans Jours de miel, et il est intéressant de comparer l'état d'esprit des nouveaux arrivants au cours des différentes décennies.
Le choc culturel est rude pour ceux qui, comme Tal, ont quitté un pays au quotidien difficile , à tel point que l'enfant qu'il était devait le transcender par la littérature, les rêves, l'imagination, le fantastique.

Après un périple digne d'un roman d'aventure, l'adolescent découvre ses nouveaux compatriotes:
« Indigènes. C'est ce vocable que les Russes employaient.
L'expression recelait un mélange d'arrogance et de résignation, avec certaines limites toutefois. Les Indigènes, à leur corps défendant, bien sûr, manquaient de racines, étaient dépourvus d'épaisseur. Comme un gâteau à la farine malade de la jaunisse, en comparaison d'un gâteau aux cerises et fruits de la forêt. Comme un couscous froid en comparaison d'une potée de céréales brûlantes , au beurre et au sel. Comme de l'arak zahlawi en comparaison d'une vodka Stolychnaïa. Comme une pita flasque en comparaison d'une miche gonflée de pain noir. Ce n'est pas seulement leur incommensurable analphabétisme au chapitre de Pouchkine, Lermontov ou Dostoïevski et leur déficit chronique en matière de « Si vous voulez bien vous donner la peine. », ou « Mille mercis » , ou encore « Jeune enfant, veux-tu bien, s'il te plaît, laisser la place à la citoyenne auréolée de ses cheveux blancs »… Ces choses-là, certes, mais pas seulement. C'était quelque chose d'impalpable, de transparent, d'écrit à l'encre sympathique entre les lignes de la vie, et c'est pourquoi ça hurlait encore plus fort dans les cieux brouillés de hamsin, le vent chaud du pays."

Hemingway et la pluie des oiseaux morts est un ouvrage sur l'acceptation de soi, un miroir tendu à tous ceux qui doivent un jour oublier d'où ils viennent pour continuer d'avancer, et ne pas trop souffrir. J'ignore si Boris Zaidman a écrit d'autres romans, mais je compte bien poursuivre si jamais d'autres oeuvres devaient être traduites.
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