AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Eric75


Eric75
11 septembre 2012
Francis Zamponi hésite entre deux genres, et c'est dommage. D'une part, le Boucher de Guelma s'affiche comme une fiction, un roman policier judiciaire (de la collection Folio Policier), dont il emprunte la plupart des codes. Mais, d'autre part, c'est aussi manifestement le résultat d'une enquête journalistique sur les débuts du nationalisme algérien et sur le soulèvement de Sétif du 8 mai 1945, qui fut suivi d'une sanglante répression organisée par les autorités françaises de l'époque.
Ces événements, « méconnus » du grand public (c'est-à-dire de tous ceux, probablement comme vous et moi, qui n'ont pas vécu les événements en direct, qui n'ont pas recueilli les témoignages de leur famille, qui ne se sont jamais intéressés, ni de près ni de loin, à la colonisation ou aux relations franco-algériennes), ont été, semble-t-il, longtemps occultés, et constituent indéniablement les « signes avant-coureur » de la guerre d'Algérie (1954-1962).
Le Boucher de Guelma évoque une page sombre de notre histoire, une page sans doute déjà tournée depuis longtemps (pour certains) mais peut-être aussi jamais définitivement ni complètement écrite (pour d'autres).
Il est probable que Francis Zamponi, avec la meilleure volonté du monde, souhaite dénoncer les exactions commises, ou à minima rappeler l'extrême dureté de cette époque troublée, en soulignant la banalité ordinaire des tueries, actes de barbarie, excès de zèle, manipulations, censures, trahisons, hypocrisies, désinformations, faux témoignages… qui furent monnaie courante. Mais, comme il s'agit d'un roman, donnant libre cours à l'imagination, on ne sait plus très bien, au bout d'un moment, identifier ce qu'il convient de dénoncer, car on ne peut discerner les éléments relevant du pur fantasme fictionnel et ceux relevant du contexte historique. L'utilisation de caractères typographiques différents suggérant des « fac-similés » de témoignages recueillis insérés dans le récit est un procédé assez troublant.
Se réfugiant derrière la fiction, ne cherchant pas réellement à prendre parti et ne voulant pas trop heurter les susceptibilités (je suppose), l'auteur développe néanmoins un certain nombre de thèses et laisse son lecteur face à deux interrogations majeures : Que s'est-il passé réellement ? Quel message veut délivrer l'auteur ?
Maurice Fabre – le personnage du roman, certes peu sympathique – est-il un parfait salaud ? Ou est-il une victime (tardive) des événements, qui n'a fait qu'obéir aux ordres ? En fin de compte, l'ambigüité sur la position de l'auteur demeure.
Le site internet de l'auteur, que je recommande, nous éclaire un peu plus : « Mon récit n'a pas eu l'heur de plaire aux Pieds-noirs qui ne veulent se souvenir que des victimes européennes de cette boucherie. Il n'a pas non plus satisfait les Algériens… ». Personne n'est donc satisfait. L'équilibre recherché semble parfaitement réussi ! le site propose par ailleurs des liens vers d'autres articles, essais, analyses, témoignages… qui sont autant de textes incontournables pour le lecteur qui cherchera à creuser un peu le sujet (cf. articles de Benjamin Stora, de Médiapart et de Mohammed Harbi, du Monde diplomatique).
Au-delà des polémiques inévitablement engendrées par le sujet traité (nombre de victimes, etc.) il reste que le lecteur peut se sentir frustré par la méthode utilisée : un essai-récit reposant sur des témoignages réels n'aurait-il pas été préférable ? L'idée de démontrer, au moyen d'un procès fictif, qui d'ailleurs n'aura pas lieu, une manipulation américaine rend-elle la chose plus crédible ? A contrario, le but de l'auteur est-il de raconter une jolie fiction pleine d'imagination ? (si on doit juger ce livre uniquement sur ses qualités romanesques, il n'est pas certain que celui-ci gagne au change, malgré le coup de théâtre final, que l'on peut interpréter comme une pirouette bien pratique).
Un petit coup de wikipédia nous apprend qu'un certain André Achiary, dans la vraie vie, « participe à l'opération d'accueil du débarquement allié en novembre 1942, devient officier du SDECE puis sous-préfet de Guelma (…), et conduit, en mai-juin 1945, les massacres de Guelma ». Maurice Fabre, n'est donc autre qu'André Achiary ! Démasqué ! Mais André Achiary, décoré en janvier 1946 de la Légion d'honneur (soit un an après les faits), n'est pas un personnage de fiction, et ne peut ni se rendre à son procès fictif, ni être inculpé de génocide ou de crimes contre l'humanité. Il meurt de sa belle mort à Madrid en novembre 1983.
N'étant pas un révélateur de scoops, le Boucher de Guelma aura néanmoins pour mérite de faire connaître un peu mieux, à travers une fiction, l'état d'esprit des protagonistes de cette période, et d'être, pour les lecteurs les plus curieux, le déclencheur d'une recherche personnelle permettant d'approcher la « vérité » en s'appuyant sur les études disponibles plus « historiques », publiées ou sur le net. Ce n'est déjà pas si mal.
Commenter  J’apprécie          160



Ont apprécié cette critique (13)voir plus




{* *}