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Critique de PedroPanRabbit


Les incasables, qu'est-ce c'est? du "on", je vais passé au "je", parce que c'est un sujet qui me touche tout particulièrement. Non pas parce que "je est un autre" mais parce que "je est éducateur spécialisé". Dans notre jargon, le mot d'"incasable", entré dans le vocabulaire officiel du travail social (attention, je n'ai pas dit qu'il y avait que du positif, chez nous) traduit un usager (oui, là aussi, le terme est sujet à débat, mais chez nous, il n'y a ni patient ni client, il fallait donc bien trouver quelque chose) en rupture de parcours et à la limite des institutions. le plus souvent, il s'agit d'adolescents ou de jeunes adultes qui ont mis en échec toutes les alternatives proposées et pour lesquels aucune réponse adaptée ne semble exister. L'évolution des publics, enfin, de "ces" publics, ceux de l'ombre, ceux dont la plupart ignore ou préfère ignorer l'existence, nous amène à reconnaître des situation d' "incasables" de plus en plus tôt, à des âges de plus en plus jeunes, parce que le caractère multifactoriel et multidimensionnel des problématiques et des difficultés de ces jeunes nous dépasse totalement.

Dans ce témoignage, Rachid Zerrouki, enseignant en SEGPA, utilise ce terme pour évoquer les élèves en rupture ou difficultés scolaires qu'il a été amené à accompagner au cours de deux années dans un collège de Marseille. Si le titre est choisi en connaissance de cause, on est encore loin des situations d'incasables que les travailleurs sociaux sont amenés à rencontrer ; mais que cette remarque ne laisse pas une seconde imaginer que je remets en cause le constat de l'auteur, car il reste bel et bien juste. Ces élèves, ces parcours de vie, ces anecdotes restent celles d'une population d'invisibles qui méritent qu'on les mette en lumière.

En cela, l'approche de l'auteur est gagnante : partir de sa propre expérience d'enfant issu de l'immigration (lui-même raconte qu'à lui, "l'école a tout donné") pour raconter son désir et sa passion de la transmission, puis, alternant entre sociologie, histoire et témoignage, raconter par portraits croisés ces élèves si particuliers dont la vie vient remettre en question ses convictions mais aussi l'école républicaine française dans ses fondements et ses adaptations, encore à parfaire. Les références et rappels théoriques, jamais lourds, viennent éclairer les situations relatées; ils montrent les multiples interrogations de l'auteur, avant tout homme de terrain en constante réflexion, lequel use en même temps d'une plume tantôt profonde, tantôt pétillante, pour raconter ce groupe d'adolescents avec fraîcheur et spontanéité malgré la gravité du sujet. Très vite, pour moi qui ai accompagné des jeunes aux parcours similaires (et souvent dans un contexte scolaire ou dans de nombreux projets pédagogiques), j'ai reconnu ces élèves et je me suis pris d'affection pour eux. Car à travers ce livre, Rachid Zerrouki leur redonne cette humanité qui leur a bien souvent été prise par ce système imparfait.

Comme il l'indique en début d'ouvrage, ce livre n'a pas vocation a réinventer quoi que ce soit ni à se prétendre ouvrage de référence ; "Les incasables" est avant tout un partage d'expérience, un témoignage à la fois personnel et professionnel qui a pour but de donner à réfléchir. Je suis curieux de savoir quels types de lecteurs il touchera : ne sera-t-il lu que par les enseignants et les travailleurs sociaux ou les lecteurs lambdas feront-ils preuve de curiosité ? Je l'espère, car de telles histoires méritent d'être connues de tous, que les invisibles deviennent visibles et qu'on prenne conscience que ces chemins de vie, plus qu'on ne le croit, dépendent bien souvent des nôtres.

Je n'ai qu'un petit reproche à formuler : si Rachid Zerrouki n'a pas hésité à faire les recherches nécessaires pour cerner et comprendre la grande hétérogénéité de parcours de ses élèves, il reste un amalgame qui m'a dressé les cheveux sur la tête. En effet, la façon dont sont évoqués en même temps les services et foyers de protection de l'enfance et les ITEP (Instituts Thérapeutiques Éducatifs et Pédagogiques) laisse à penser que ces dernier sont des institutions de placement (qui plus est pour des raisons assez floues), ce qui n'est pas du tout le cas. S'il est vrai que certains enfants peuvent cumuler un suivi d'aide social et un suivi en ITEP, ces établissements relèvent du champ du handicap, vers lesquels les usagers sont orientés (et non dans lesquels ils seraient placés, ce qui est, croyez-moi, tout à fait différent) pour la raison qu'ils présentent des troubles du comportements venant perturber les apprentissages et l'accès à la socialisation. Il ne s'agit que de deux paragraphes dans un livre au demeurant excellent, mais quand on travail comme moi en dispositif ITEP, la confusion électrise un petit peu (voire beaucoup...).

En bref : Malgré une légère confusion que pourront relever les connaisseurs, "Les incasables" est un ouvrage d'une grande humanité qui donne à réfléchir. Ce témoignage fort et lumineux met au premier plan les parcours de vie d'élèves qu'on invisibilise encore trop et pour lesquels l'égalité des chances n'est pas toujours de fait. Un ouvrage capital pour prendre conscience de leur réalité.
Lien : http://books-tea-pie.blogspo..
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