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Critique de AgatheDumaurier


Ah, je ne sais pas trop quoi penser. Je ne veux pas me ridiculiser, on parle quand même d'un des plus grands romanciers du XIXème siècle, dont les romans Nana, L'Assommoir, Au bonheur des dames, Pot-Bouille, et surtout Germinal, compte parmi les plus grands chef d'oeuvres de notre littérature ...Mais enfin quand même, il y a certains éléments qui m'ont paru un peu désuets, un peu "bruts", pour reprendre une expression chère à l'auteur. Ce sont ceux qui touchent sans trop de subtilité au naturalisme. On sent la jeunesse, la volonté de démonstration, l'expérience scientifique, mais qui nous paraît aussi scientifique aujourd'hui que l'étude des crânes de criminels...
D'abord les faits : Thérèse est "adoptée" par sa tante, qui l'élève avec gentillesse, mais la destine à son fils unique, Camille, faiblard et rachitique, comme épouse et garde-malade pour plus tard, quand elle ne sera plus là. Thérèse semble accepter son avenir sans broncher, mais la colère bout dans ses nerfs... Camille est souffreteux, égoïste, la jeune femme s'ennuie. Un soir, il ramène à la maison (lugubre et noire dans un quartier où le m2 est actuellement à 10 000 euros à peu près ahahah) un grand et robuste gaillard, Laurent, qui, par ses grosses mains et son cou de taureau, allume en Thérèse le brasier de la passion, et la pousse dans une luxure débridée avec lui. le mari devient gênant, on décide de l'éliminer. C'est le crime parfait : noyade à la guinguette. Mais la situation se retourne. Alors que les deux amants pensaient jouir tranquillement et passionnément de leur vie après le crime, ils entrent dans un cauchemar éveillé. le noyé les poursuit partout. Il s'insinue entre eux et commence à les détruire. La suite est le récit d'une chute terrifiante.
Ce qui m'a semblé vieilli est la théorie du sang et des nerfs. Laurent est une grosse brute sanguine, dominée par son "sang", et qui est donc jouisseur, paresseux, une "bête". Pourquoi appeler une bête ce qui n'est que trop humain ? le XXème siècle et sa série d'horreurs nous empêche d'adhérer à cette vision des choses. Thérèse est une "femme", mais c'est aussi un "homme". Elle est "homme" quand elle manque de sensibilité ...Elle redevient "femme" quand elle prend peur, quand elle pleure...mouais...Un peu daté tout ça...C'est une créature sèche, car elle est nerveuse. Elle est dominée par ses nerfs, donc elle entre en fusion avec le sang de la nature de Laurent...Mouais ouais...Aujourd'hui on dirait ça autrement, à grand renfort de psychanalyse...Ca paraitra peut-être aussi couillon dans 150 ans...Sûrement, même.
Bref, ces histoires de bestialité, de sang, de nerfs, c'est moyen, un peu simpliste. de quelle bête parle-t-on ? D'une vache ? D'une poule ? D'une grenouille ? D'une girafe vicelarde et meurtrière ? Cette violence et cette immoralité, c'est l'humain. C'est tout.
Bon, et d'ailleurs, qui est humain là-dedans, si Thérèse et Laurent sont des "bêtes" ? La tante ? Elle est bien aimable en surface, mais c'est un monstre d'égoïsme en profondeur : Thérèse n'est pour elle qu'un jouet de Camille. Camille ? C'est aussi un monstre d'égoïsme, et de bêtise. Les amis du jeudi ? de parfaits idiots. Ils ne voient rien de rien. Zola montre tout cela, ce qui fait la noirceur, là vraiment très intemporelle, du roman. C'est plutôt là qu'il est intéressant, dans les interstices, dans les personnages secondaires qui dressent un portrait bien triste de l'humanité. Tous les personnages, à l'exception de Thérèse et Laurent, semblent morts...Thérèse le répète souvent.
Un paradoxe intervient donc, qui fait la force du texte malgré la désuétude de certains éléments : les seuls êtres qui tentent de vivre sont les affreux, les damnés, les assassins. Ils tentent de vivre, mais ne parviennent qu'à la bassesse la plus extrême, l'hypocrisie, le mensonge, la destruction de toutes les valeurs. On ne voit pas d'issue à cette horrible impasse. Zola n'en propose pas. Ni rédemption, ni possibilité d'échapper à la mort lente de l'ennui d'une vie sans passion. Tout au moins les personnages sont trop limités pour voir quoi que ce soit, et nous ne serons pas plus éclairés.
C'est là que j'ai compris pourquoi le roman se nomme "Thérèse Raquin", et non plus "Un mariage d'amour", comme la nouvelle dont il est tiré. Parce que la solution, c'est Thérèse. Si Thérèse, symbole de toutes les jeunes filles, avaient été correctement élevée, comme un sujet pensant et libre et non comme un objet, rien ne serait arrivé. Elle n'aurait pas épousé Camille, elle ne serait pas tombé amoureuse du premier taureau venu, elle n'aurait tué personne. Elle aurait eu sa chance. Ce roman est donc, une fois encore, une critique violente de l'éducation ( du dressage) des filles, de leur négation en tant que personne. En cela il n'a plus rien de désuet, il est totalement d'actualité, et il est très brillant.
Excusez-moi d'avoir été un peu longue.
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