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Critique de HundredDreams


Quel plaisir de lire Emile Zola ! Dès les premières pages, les mots de l'auteur créent une ambiance telle qu'il nous projette dans le Paris du XIXe siècle, dans un décor fait de ruelles obscures, sordides et malfamées.
On s'y croirait, tellement l'auteur excelle à dépeindre, avec force détails, les lieux, les personnages dans des teintes grisâtres et sombres. le lecteur visualise aisément les décors en clair-obscur, comme s'il regardait un vieux film en noir et blanc : les quartiers pauvres de Paris, les ruelles étroites et sinistres, le passage du Pont-Neuf, étroit et sombre, la mercerie poussiéreuse et lugubre qui fait penser à l'antre d'une bête.

« Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu'on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse.
Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d'hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble. »

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Thérèse Raquin est l'un des portraits les plus célèbres d'Emile Zola. Il s'agit en ce qui me concerne, de l'oeuvre la plus aboutie de l'auteur avant la série romanesque des Rougon-Macquart.
Ce drame psychologique introduit de nombreux thèmes qui seront développés plus tard dans son cycle : l'étude de l'homme dominé par ses instincts, le déterminisme et les influences conjointes de l'hérédité et du milieu social, l'étude des tempéraments et la bestialité humaine.

C'est une histoire qui parle d'amour, d'adultère, de passion, de rancoeur, de haine, d'obsession allant jusqu'à la folie. Les personnages y sont dépeints dans toute leur bassesse, leur vilenie, leur égoïsme. Ils sont mauvais, détestables et malaisants pour le lecteur.

« La nature et les circonstances semblaient avoir fait cette femme pour cet homme, et les avoir poussés l'un vers l'autre. À eux deux, la femme, nerveuse et hypocrite, l'homme, sanguin et vivant en brute, ils faisaient un couple puissamment lié. Ils se complétaient, se protégeaient mutuellement. le soir, à table, dans les clartés pâles de la lampe, on sentait la force de leur union, à voir le visage épais et souriant de Laurent, en face du masque muet et impénétrable de Thérèse. »

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Tout se déroule dans l'ambiance très sombre d'une mercerie miteuse et crasseuse du passage du Pont-Neuf à Paris.
C'est l'histoire de Thérèse, une femme secrète et taciturne, mariée selon les souhaits de sa tante, à son cousin Camille, un jeune homme souffreteux qu'elle n'aime pas.

« …elle savait qu'elle faisait le mal, et il lui prenait des envies féroces de se lever de table et d'embrasser Laurent à pleine bouche, pour montrer à son mari et à sa tante qu'elle n'était pas une bête et qu'elle avait un amant. »

Lorsque la jeune femme rencontre Laurent, elle tombe amoureuse de cet homme qui est tout l'opposé de Camille. Mais cette passion cachée ne satisfait aucun des deux amants qui aimeraient trouver un moyen de vivre leur amour au grand jour.

« … ils sentaient l'impérieuse nécessité de s'aveugler, de rêver un avenir de félicités amoureuses et de jouissances paisibles. »

Dans ce triangle amoureux, une personne est de trop et cette relation adultère ne peut avoir qu'une seule finalité, la violence et le drame.

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La préface, signée par l'auteur lui-même, est particulièrement intéressante quant à l'accueil du roman par les critiques de l'époque. En effet, lors de sa parution en 1867, le roman a été qualifié d'obscène, d'atteinte aux moeurs pour avoir retranscrit, à travers un drame violent, les passions et les comportements brutaux et meurtriers de ses personnages. L'auteur s'est alors senti obligé d'ajouter aux éditions suivantes un prologue pour défendre et justifier son livre.

« Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. »

Plus d'un siècle plus tard, à la lecture de ce roman, je dois avouer que je n'ai pas du tout ressenti son côté « pornographique ».
Par contre, j'ai été particulièrement sensible à l'atmosphère pesante, sordide et claustrophobe que dégage l'histoire, à l'attitude malsaine des personnages, aux émotions très violentes qu'ils portent en eux.
L'auteur n'hésite pas à les souligner en les accordant aux décors et aux scènes.

« Rien n'est plus douloureusement calme qu'un crépuscule d'automne. Les rayons pâlissent dans l'air frissonnant, les arbres vieillis jettent leurs feuilles. La campagne, brûlée par les rayons ardents de l'été, sent la mort venir avec les premiers vents froids. Et il y a, dans les cieux, des souffles plaintifs de désespérance. La nuit descend de haut, apportant des linceuls dans son ombre. »

Ce récit très réaliste, percutant, choquant même, a contribué à me faire ressentir une sorte de mal-être, une impression d'enfermement et j'ai ressenti le besoin de faire quelques poses tout au long de cette lecture. J'en suis la première surprise car cela m'arrive très rarement.

Ce ressenti très fort, ces décharges d'émotions négatives prouvent sans aucun doute possible l'immense talent d'Émile Zola. Dans ce récit pourtant de jeunesse, il m'a fortement impressionnée : il a réussi à me faire ressentir physiquement et psychologiquement l'antipathie et le dégoût que m'inspiraient Laurent et Thérèse.
C'est une étude passionnante des émotions et des sentiments, de la peur, du remord, de la culpabilité, de la folie.

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L'écriture de Zola est puissante, tendue, pleine d'une beauté sauvage et laide. Sans pudeur, il met à nu ses personnages. Il dissèque avec réalisme et froideur leurs motivations et la façon dont les regrets, les remords les hantent et les rongent de l'intérieur.

L'auteur maîtrise parfaitement l'intrigue, tel un marionnettiste tirant les ficelles invisibles des émotions humaines et des désirs. Il excelle à décrire ses personnages dans toute leur complexité, s'intéressant à leur évolution physiologique et psychologique, jusqu'à l'implosion. Ils apparaissent dans toute leur animalité, leurs instincts.
En cela, ce livre m'a rappelé un autre grand roman d'Emile Zola, « La bête humaine », mon préféré de l'auteur à ce jour. Thérèse et Laurent sont comme deux bêtes humaines, cherchant à satisfaire leurs désirs, leurs besoins, leurs intérêts sans tenir compte des actes et de leurs conséquences.

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Pour conclure, malgré certains passages éprouvants, j'ai été entraînée dans ce triangle amoureux par la puissance de l'écriture d'Emile Zola. L'histoire, de plus en plus sombre et dramatique, devient aussi très prenante, encourageant le lecteur à poursuivre sa lecture pour découvrir le châtiment réservé à chacun.
"Thérèse Raquin" est sans conteste un très grand roman.

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C'est accompagnée que j'ai entrepris cette lecture. Sans eux, je ne l'aurais peut-être jamais lu. Alors mes derniers mots seront adressés à mes compagnons de route, Dominique (Domm33), Francine (Afriqueah), Fanny (Fanny1980) et Bernard (Berni_29) que je remercie chaleureusement pour cette lecture partagée riche d'échanges et d'une belle amitié littéraire.
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