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Critique de Pouic


Pouic
24 février 2010
Béla Zsolt est journaliste, romancier, essayiste et hongrois. Né en 1895 et mort en 1949, il participe à la guerre de 1914-1918 et subit la guerre de 1940-1945.

Journaliste d'opposition, l'agacement qu'il provoque dans les milieux autorisés le contraindra à changer d'identité et prendra le nom de Hirschler. La forte consonance juive de son nom l'entraînera dans les affres de l'antisémitisme ambiant de l'époque. La menace qui pèse sur ses épaules et celles de son épouse les contraindra à s'éloigner de la Hongrie.

C'est durant le voyage qu'apparaîtront ces fameuses valises. Son épouse refusera d'abandonner les affaires égarées lors de leur embarquement en Allemagne. Obligés d'attendre le rapatriement des bagages vers Paris, le voyage pour Madrid ou Lisbonne sera irrémédiablement retardé et finalement abandonné.

Les événements ensuite se précipitent. A l'approche de la guerre, son épouse exige de retourner vers Budapest afin de se rapprocher de sa fille qui est sous la garde de ses grands-parents. Sa belle-mère, au nom d'une morale compulsive, refusera de laisser partir sa petite-fille dans une famille chrétienne ; s'ensuivra l'arrestation de l'enfant.

Zsolt est entraîné dans le tourbillon de l'Occupation : travailleur forcé comme fossoyeur en Ukraine, prisonnier dans un ghetto hongrois, enfermé dans un camp de concentration et finalement acheminé vers la Suisse à la fin de la guerre, il connaîtra les abominations les plus diverses.

Exploités, humiliés, torturés, assassinés, les êtres humains n'ont plus guère de valeur dans cette période de tourmente. Béla Zsolt nous raconte au-delà de son histoire la déchéance de l'humanité toute entière. Car son statut de juif n'est qu'un prétexte pour narrer ce qu'il a vu de la part de tous : chrétiens, civils, gendarmes, militaires, juifs, intellectuels...

Nul n'échappe à la critique, pas même lui.

« Mais je maintiens que ni l'enfer ni le diable ne ressemblent à la vision mythique et morale de Virgile ou de Dante, laquelle est un enfer supportable, réalisable, à la mesure humaine. Et même comparés à un feldgendarme ou au milicien d'Egreskata, apparemment revêtus d'une peau humaine normale et munis d'une cervelle et d'un coeur au bon endroit, les monstres du gothique ne sont que des animaux domestiques sous un déguisement effroyable [...] »

Ainsi Zsolt assiste-t-il impuissant à l'agonie de l'humanité, à l'exécution de sa morale, de son intelligence, de son libre arbitre ou de sa conscience. Plus rien n'a de sens. Combien de fois n'a-t-il pas vu des juifs s'évader d'un ghetto ou d'un camp pour faire demi-tour plus tard ne sachant où aller ? Combien de cadavres a-t-il enterré, hommes, femmes ou enfants, soldats ou civils, jeunes ou vieux ?

Ces histoires de race ou de religion ne sont pour lui que prétextes à l'assouvissement des plus viles bassesses de l'homme.

Lorsque les gendarmes hongrois amenaient les juifs à la brasserie qui était le lieu d'interrogatoire, ce n'était non pas pour ce qu'ils étaient mais pour ce qu'ils avaient.

Et lorsque les soldats de tout bord choisissaient des travailleurs destinés à des tâches humiliantes, ils prenaient d'abord les intellectuels, scientifiques, écrivains ou penseurs afin de venger cette insupportable supériorité qu'ils avaient sur la soldatesque.

Il raconte ses fuites, ses retours, son désarroi et sa lâcheté avec une âpreté, une sincérité et une honnêteté rare.

Même si par delà l'ignorance, le mépris, l'indifférence à la souffrance de l'homme quelques uns ont montré du courage, de la compassion et du dévouement il s'agissait souvent des plus improbables héros : un jeune russe de douze ans, une prostituée ayant pignon sur rue auprès des tortionnaires, des officiers allemands amoureux de littérature et de musique, de vieux paysans enrôlés de force et ne comprenant plus rien à ce qui arrivait...

Béla Zsolt dresse un portrait sans concession sur cette face cachée de l'humanité. Il ne s'agit pas d'un livre touchant, émouvant, poignant comme nous nous imaginons les récits de guerre. C'est un ouvrage cynique, dur, pénible qui nous fait honte en nous soufflant dans le creux de l'oreille : regarde, ces gens qui crèvent de faim ou meurent de maladie, qui sont battus, mutilés, volés et stockés mais aussi ceux qui frappent, torturent, humilient et spolient de même que tous ceux là qui détournent chastement le regard devant les cortèges de zombies, regarde ces gens : nous pourrions être chacun de ceux-là.

Neuf valises représente à mes yeux ce que devrait être un véritable travail de mémoire. Autre chose que ces interminables cérémonies où la foule fardée de breloques clinquantes écrase une larme oubliée le lendemain mais une prise de conscience absolue, totale et véritable de la bête immonde et affreusement ignoble qui se dissimule derrière nos airs empreints de civilités et de courtoisie mal préparée.

C'est à ce prix que nous serons conscients de la nécessaire vigilance, de l'indispensable patience et de l'infinie sagesse qu'il nous faudra pour aimer sans conditions les hommes.
Lien : http://livraison.over-blog.c..
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