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Critique de chachourak


Stefan Zweignous raconte ici comment deux personnages se sont rencontrés et aimés, comment ils ont été séparés et surtout comment ils se sont retrouvés. le récit commence au moment où cet homme et cette femme se retrouvent après de nombreuses années loin l'un de l'autre. Si la première scène semble racontée d'un point de vue externe et objectif, la suite du récit se focalise entièrement sur le point de vue de Louis puisque le narrateur fera un bond en arrière d'environ 10 ans pour nous raconter l'histoire et l'évolution de ce héros. 

Je voudrais commencer en vous disant que cela ne m'étonne pas du tout que le livre ait inspiré un film (Une Promesse de Patrice Lecomte) puisque le récit se visualise immédiatement et est très cinématographique.

En effet, dans la première scène, Stefan Zweignous plonge in medias res dans le récit en nous décrivant les retrouvailles passionnées des personnages sur un quai de gare (imaginez deux amants qui se retrouvent dans une gare après des années de séparation), avant de rompre soudainement la narration et de la reprendre par un flashback de Louis : alors que celui-ci est dans le train avec sa bien-aimée, il se remémore la première fois qu'ils se sont rencontrés et remonte le temps jusqu'à son enfance, comme dans Forrest Gump : le film commence alors que Forrest est sur son banc, mais le « vrai » film ne commence que quand Forrest se remémore son histoire et la raconte.

J'ai trouvé que le roman en entier était à l'image de cet incipit, c'est-à-dire très visuel. D'habitude, je ne suis pas vraiment du genre à me représenter mentalement les histoires que je lis et à essayer de les illustrer, mais là, c'est venu spontanément sans même que je n'essaie de le faire !

Mais ce qui me frappe surtout dans ce roman, c'est qu'il est très romancé. Reprenons l'exemple du début du roman : sur un quai de gare, les deux héros se retrouvent de manière passionnée et emportée, leurs émotions sont décrites intensément… Lisez par exemple le premier paragraphe du livre :

« Te voilà ! », dit-il en venant à sa rencontre les bras ouverts, presque déployés. « Te voilà », répéta-t-il et sa voix grimpa dans les aigus, passant de la surprise au ravissement, tandis qu'il embrassait tendrement du regard la silhouette aimée. « Je craignais tant que tu ne viennes pas ! »

Vous ne trouvez pas ça hyper enflammé, et même carrément cliché ?! Franchement, ça fait très « mauvais roman d'amour »… le décor est cliché, les éléments sont très conventionnels, sans compter les émotions, les gestes et les réactions physiques qui sont mille fois vus et revus ! Au début du livre, j'ai été très surprise par le style très langoureux que prenait Zweig. Ce qu'il faut savoir à propos de cet auteur, c'est qu'il a pour principe d'utiliser les mots avec beaucoup de précaution et de parcimonie. Je crois que c'est dans une de ses lettres extraites de sa Correspondance (1920 - 1931) qu'il disait qu'il ne cessait de retravailler ses livres afin de les raccourcir, et qu'il chassait avec acharnement chaque mot superflu et inutile (d'où la brièveté de ses romans !). Vous comprenez donc que l'on peut être surpris quand on voit tant de minauderie dans un de ses livres, et ce dès le premier paragraphe !

En partant du principe que chaque mot utilisé par Zweig a sa place dans le roman et est minutieusement choisi, on comprend donc que les mots en gras de l'extrait ne sont pas là par hasard, mais pour nous faire comprendre quelque chose.

Selon moi, ces mots sont là pour nous montrer à quel point la situation est absurde et ridicule. En effet, Louis a rencontré cette femme (dont on ne connait pas le nom) et en est tombé amoureux alors qu'il logeait chez son mari, dont il était l'assistant. Mais après plus d'un an de loyaux services, il s'est vu offert une proposition pour le Mexique : s'il est d'abord très enthousiaste à propos de cette évolution de carrière, il déchante rapidement lorsqu'il comprend qu'il ne verra plus celle qu'il aime, puisque son contrat s'étend sur deux ans. C'est à ce moment là qu'ils se déclarent l'un à l'autre, mais c'est déjà trop tard : à peine dix jours plus tard, Louis part pour le Mexique, lourd du regret de ne pas avoir pu « posséder entièrement le corps aimé »… La guerre éclate, et le contrat de Louis se prolonge finalement sur neuf ans ; les lettres qu'il avait pris l'habitude d'échanger avec son amante s'espacent et Louis finit par se marier avec une autre.

Pourtant, lorsqu'il revient en Europe presque dix ans plus tard, il ne pense qu'à la revoir et reprendre leur histoire là où ils s'étaient arrêtés. « As-tu l'intention d'honorer ta promesse ? » lui demande-t-il. C'en est presque une obsession, malsaine et cruelle : « Cette soirée, cette nuit, il les exigeait encore d'elle. »

Le beau roman d'amour, fougueux et enflammé, se transforme ainsi en un roman beaucoup plus sombre, dans lequel Louis s'enchaîne à cette femme à cause d'une promesse qu'elle lui a faite dans le passé, dix ans plus tôt. Ce qui ressemblait à de l'amour devient alors domination et manipulation.

A travers ce roman, Zweig accuse ainsi l'envie que l'on peut avoir de croire que l'on peut reprendre une histoire là où on l'a arrêtée, et que le temps ne change rien. le voyage en train, qui met en abyme le voyage dans le passé lui-même, symbolise notre volonté de revenir sur des moments heureux, de croire que le temps n'a pas passé et qu'en reprenant une histoire là où on l'a arrêtée, on retrouvera les mêmes émotions et le même bonheur. Mais cette vision des choses est idéaliste, comme nous le fait comprendre Zweig : la vie continue et le passé ne peut pas être rattrapé.

En voulant retrouver le passé, Louis a commis une erreur et s'en rendra compte très brutalement : la fin du livre est en effet aux antipodes de l'incipit joyeux et naïf dont je vous parlais plus haut. A l'inverse, le livre se termine presque violemment : Louis devient haineux à la vue d'un défilé militaire, fait pleurer sa bien-aimée et la met terriblement mal à l'aise en l'emmenant dans une chambre d'hôtel miteuse, de telle sorte que le récit de Zweig se termine sur un constat amer et plein de désillusion. le héros conquérant et ambitieux qu'on nous décrivait au début est à la fin plutôt misérable.
Lien : http://ulostcontrol.blogspot..
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