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Critique de thedoc


Voici sûrement une des nouvelles les plus connues de Stefan Zweig, auteur que je n'avais encore jamais lu. C'est suite à une série de critiques toutes plus élogieuses les unes que les autres que je me lance moi aussi dans la découverte de son oeuvre en commençant par "Nouvelle du jeu d'échecs". Cette nouvelle est le dernier écrit de Stefan Zweig, envoyée à son éditeur allemand deux jours avant son suicide et celui de sa femme Lotte Altmann en février 1942. de nombreuses analyses et explications remarquables ont été faites de ce texte et je ne livrerai ici que mon simple ressenti.

Un paquebot en route pour Buenos Aires avec à son bord un champion du monde d'échecs, Mirko Czentovic, qui vient de faire une série de tournois à travers l'Amérique. A son bord également, le docteur B., un amateur du jeu royal et ancienne victime des nazis. Autour d'eux, les voyageurs sont les spectateurs attentifs d'un match entre ces deux hommes que tout oppose : âge, origine et culture sociale, intellect. Une confrontation de deux hommes et de deux époques, analysée et racontée par un narrateur fasciné.

Ce n'est certes pas l'émotion qui m'a emportée dans cette nouvelle de 100 pages mais bien plutôt la vision du monde que nous donne Zweig, sa vision d'une époque donnée. J'ai été particulièrement frappée par la très grande modernité de son style et la facilité avec laquelle nous suivons son récit axé sur son époque et ce qu'il vit. Il apporte ici une sorte de dernier témoignage sur l'histoire qui est en cours - le joug nazi - et la fin d'un monde - une civilisation de penseurs, l'Autriche d'avant l'Anschluss.

Le docteur B, comme le double de Zweig, représente une certaine classe viennoise, lettrée, instruite et élégante. Victime de la répression nazie, il a subi un enfermement qui aurait pu le conduire à la folie s'il n'y avait eu les échecs et les parties mentales qu'il jouait à longueur de journées au risque de basculer dans la schizophrénie. Mais il a survécu et même battu les nazis puisqu'il n'avoue rien et est finalement relâché. Est-il sauvé alors ? Est-il sauvé comme Zweig qui ne subit pas "physiquement" la violence nazie mais qui vit un ostracisme forcé ? le docteur B. n'est pas sauvé, on le voit dans la suite de la nouvelle, comme Zweig non plus, désespéré par une civilisation qui tombe dans l'obscurantisme. le jeune Czentovic, à sa manière, représente cette nouvelle civilisation inculte, peu curieuse et servile. Son seul talent et sa seule obsession, les échecs, sont eux-mêmes dénigrés par ses motivations qui sont l'appât du gain et la conquête. Son apprentissage même des échecs, basé sur l'observation et la tactique, rivalisent avec les représentations uniquement mentales et pensées du docteur B.
Et pourtant, les deux hommes se rejoignent sur un terrain commun, l'échiquier. Mais c'est encore pour mieux s'affronter.

L'échiquier justement, plus que le paquebot, semble être la scène où tout se joue. Pour le docteur B., c'est un échiquier mental, une geôle, dont il n'est jamais sorti. Pour le champion, ce sont les 64 cases, hypnotiques et aveuglantes, au point que Czentovic ne croise quasiment jamais le regard des autres personnes. Qui sera le vainqueur ? Aucun des deux puisque qu'en pratiquant le jeu royal, l'un retombe dans sa folie et que l'autre ne peut exister sans lui.

Le monde n'a plus rien à espérer : les valeurs et pensées d'autrefois ne peuvent subsister dans cette époque qui élève au rang de héros de simples exécuteurs et tacticiens. le temps des penseurs est révolu.

Pour Zweig, en 1942, son monde avait disparu. Sans espoir, tout était bel et bien fini.
Quant à moi, je ne fais que commencer avec Zweig...
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