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Critique de Isa0409


♟ Je ne sais pas vous, mais quand je lis Stefan Zweig, il se passe deux choses : la première, c'est que je suis happée par le récit et, bien souvent, je lis ses romans d'une traite, impossible de m'arrêter en cours de lecture. La seconde, qui n'est autre que le pourquoi de la première, c'est que je suis fascinée par cette plume incroyable, ce choix des mots, cette apparente facilité d'écriture qui révèle une beauté, un talent inégalables.

♟Dans le Joueur d'échecs, Zweig situe l'action sur un paquebot en route à destination de Buenos Aires depuis New York. A son bord, le champion du monde d'échecs, Czentovic, un homme placide, froid, dépourvu de toute intelligence, dont l'ignorance est « universelle » et dont le seul talent, le seul don, est celui de savoir jouer aux échecs, qu'il n'hésite pas à marchander (250$ pour pouvoir jouer une partie contre lui). le narrateur, piqué de curiosité face à cet étrange personnage inabordable, tente de mettre en place, avec d'autres voyageurs, dont le vaniteux MacConnor,une partie d'échecs avec le Maître. Bien que la tâche soit peu aisée, ce dernier parvient à ses fins et le rendez-vous est pris pour le lendemain.

♟Etant des « joueurs de troisième classe », la partie de déroule ainsi : Czentovic joue contre tous ses adversaires. Mais il faut croire que leur infériorité est telle que, même à plusieurs, aucun d'eux ne peut le battre. Tout à coup pourtant, attiré par cette partie, un homme se joint à eux et les interpelle : « Pour l'amour du Ciel, pas cela ! ».

♟ C'est à ce moment précis que le récit prend une toute autre tournure et que le talent de Zweig prend toute sa splendeur : du narrateur initial, nous glissons subrepticement vers un autre, cet homme qui sort de nulle part, M. B., et qui, à travers sa terrible histoire, raconte son obsession du jeu. Arrêté par les nazis en Autriche, on l'enferma dans une chambre d'hôtel, pour exercer sur lui une torture psychologique, l'enfermement et l'isolation étant les pires phobies, les pires crimes contre l'âme humaine. Enfermé des mois durant dans sa chambre, le seul livre qu'il réussit à se procurer en le volant à l'un de ses bourreaux fut un manuel d'échecs.

Des mois durant, il s'imagina jouer les parties des plus grands maîtres et, après les avoir apprises par coeur, il joua contre lui-même, blanc contre noir, le moi contre lui, il se détesta, se haït, jusqu'à devenir complètement fou. 25 ans plus tard et pour la première fois, sur ce paquebot, la chance lui est donnée de jouer une partie sur un véritable échiquier et face à ce maître.

♟Zweig s'est suicidé avec sa compagne le 22 février 1942, à l'aube d'un monde en perdition, dont l'inéluctable dessein lui est insupportable. le Joueur d'échecs, publié à titre posthume, en est le parfait reflet : un homme dénué de tout sentiment, ignorant mais néanmoins intelligent (pourvu d'un don, disons) supérieur, hautain et imbu de sa personne qui fascine pourtant le monde, fait face à un homme au bord de la folie, détruit et reconstruit, torturé et maltraité,prêt à rechuter à n'importe quel coup, pourvu que les parties se multiplient, et dont seule l'intelligence raisonnée, exercée avec acharnement, a permis le salut. Deux hommes se font face, deux intelligences, deux secrets, deux vies, deux mondes, le mécanique et le combatif, sur ce microcosme infini que représentent soixante-quatre cases.

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